Langue Française n° 164, décembre 2009, 61–79
Laurent Perrin
(Université Paul Verlaine – Metz, CELTED, EA 3474)
L’objectif de cette étude sera d’examiner les faits polyphoniques sous l’angle de deux oppositions transversales. La première, entre voix et point de vue, distingue deux niveaux de subjectivité sémantique, constitutifs de la structure polyphonique des phrases de la langue, associés respectivement à la prise en charge des formes et des contenus à l’intérieur du sens des énoncés. La seconde opposition, entre polyphonie interne et polyphonie externe, tient au fait que la structure polyphonique des phrases peut se cantonner à l’articulation de voix ou de points de vue impliqués dans leur énonciation effective, assumée par un seul et même locuteur, mais que cette organisation peut aussi être enrichie dans l’interprétation des énoncés, de manière à intégrer matériellement en son sein, par citation ou reformulation interposée, certaines voix ou points de vue auxquels l’énoncé fait écho.
Ces distinctions permettent de rendre compte de ce qui oppose, toutes choses égales par ailleurs, le discours rapporté au style direct et au style indirect, les formes de modalisations autonymiques aux modalisations propositionnelles, le sens notamment des proverbes à celui des phrases génériques exprimant un stéréotype (Perrin à paraître 1), les expressions figées aux syntagmes ordinaires (Perrin à paraître 2), les dénominations dites délocutives (Benveniste 1966b, Anscombre 1985) aux simples dénominations. En ce qui concerne les marques grammaticales ou discursives, une telle opposition permet en outre de qualifier ce qui caractérise la visée métalinguistique associée à l’emploi de certains connecteurs – comme celle du mais traduit par sondern en allemand, par opposition au mais argumentatif traduit par aber (Birkelund, ce volume) – ou encore ce qui oppose la négation dite métalinguistique aux autres formes de négations (Larrivée et Perrin à paraître). La troisième partie de cette étude tentera d’appliquer ces distinctions à ce qui oppose les usages dits descriptifs, polémiques et métalinguistiques de la négation.
1. La voix et le point de vue
La première opposition qui va nous intéresser, entre voix et point de vue, concerne deux sortes de subjectivités sémantiques distinctes, associées respectivement à la prise en charge des formes et des contenus. La voix tient à l’acte locutoire consistant à énoncer les mots et les phrases, tandis que le point de vue tient au fait d’assumer ce qui est dit, les contenus qui s’y rapportent. Le point de vue n’est en fait qu’une projection plus abstraite de la subjectivité énonciative, qui s’ajoute et se combine à celle de la voix, une projection fondée sur ce qui est dit, plutôt que directement sur les mots et les phrases. Ainsi, selon Ducrot, le locuteur responsable de l’expression, de l’énonciation des termes, que nous associons à la voix, ne doit pas se confondre avec les énonciateurs, « ces êtres qui sont censés s’exprimer à travers l’énonciation, sans que pour autant on leur attribue des mots précis ; s’ils parlent, c’est seulement en ce sens que l’énonciation est vue comme exprimant leur point de vue, leur position, leur attitude, mais non pas, au sens matériel du terme, leurs paroles » (Ducrot 1984 : 204).
Les approches polyphoniques du sens des énoncés portent habituellement sur la multiplicité des points de vue (ou énonciateurs) associés à la prise en charge des contenus exprimés. Il s’agit de déterminer ce qui les distingue et ce qui permet ou non de les relier à la voix du locuteur, au responsable de l’énonciation comme dit Ducrot. La plupart du temps, les énoncés mettent en scène plusieurs énonciateurs ou points de vue relatifs à des contenus qui non seulement s’organisent hiérarchiquement, mais s’articulent différemment à la voix du locuteur qui les prend en charge ou au contraire les rejette, manifeste son accord ou son désaccord à leur égard. Ainsi l’énonciateur d’un contenu présupposé, par exemple, est assimilé par Ducrot à une instance collective à laquelle le locuteur s’accorde, tandis que les énoncés négatifs sont réputés mettre en scène un point de vue positif associé à un énonciateur auquel le locuteur s’oppose. Plus précisément, selon la Scapoline, la théorie scandinave de la polyphonie linguistique (Nølke, Fløttum & Norén 2004), les phrases négatives mettent en scène deux points de vue, à savoir respectivement un pdv1 correspondant à un contenu positif dont la source est indéterminée, et un pdv2 correspondant à un contenu que le locuteur assume, qui consiste à disqualifier le pdv1. Et de même un connecteur comme mais peut être analysé comme consistant à articuler deux points de vue antagonistes, un pdv1 antéposé auquel le locuteur s’accorde, et un pdv2 postposé qu’il assume personnellement. Diverses analyses sémantiques multipliant les énonciateurs au gré des enchâssements, clivages, appositions, connecteurs, modalisateurs, et j’en passe, se sont ainsi développées ces dernières années. Les auteurs de la Scapoline en particulier ont contribué à complexifier, mais aussi à clarifier et à systématiser certains aspects de la théorie de Ducrot, notamment en ce qui concerne la distinction des points de vue exprimés, ainsi que la nature des liens (de responsabilité, non-responsabilité, accord, désaccord) du locuteur à leur égard, leur possible délégation à d’autres instances énonciatives comme l’interlocuteur ou différents tiers, ou encore à un on-locuteur (Norén, ce volume).
Quant au locuteur, outre le fait qu’il se trouve indirectement impliqué, à différents degrés, dans la prise en charge ou le rejet des points de vue associés aux contenus, sa présence à l’intérieur du sens se manifeste essentiellement par le truchement d’une voix associée à l’emploi, à l’énonciation des mots, expressions, phrases et autres configurations discursives plus vastes, aux propriétés locutoires qui s’y rapportent. Telle qu’elle sera abordée dans cette étude, la voix du locuteur tient au fait que le langage est fait de mots, expressions, phrases, dont l’emploi instaure une forme de subjectivité distincte de ce qui est exprimé au plan des contenus. Ainsi un même point de vue associé à un contenu peut être pris en charge, concédé ou rejeté par le truchement d’une voix plus ou moins éloquente, précieuse, vulgaire, ou autre ; les propriétés stylistiques, ce qui a trait au registre, aux diverses connotations associées aux termes, émanent de la voix. Cette dernière ne tient pas à ce que les mots disent, mais à ce qu’ils montrent (Perrin 2008), à ce qu’ils apportent au sens en vertu de leur présence matérielle, indépendamment de ce qu’ils expriment, de leur fonction dénotative ou conceptuelle, qui contribue à l’élaboration des contenus et points de vue. La voix est présente partout par défaut, mais elle peut à chaque instant être accentuée ostensiblement, comme un indice ostentatoire de la subjectivité qui s’y rapporte. Les diverses formes de modalisation autonymique, d’hétérogénéité montrée selon Authier-Revuz (1995), ne sont autres que des formes marquées d’accentuation ostensive de la voix, par simple activation de la fonction métalinguistique du langage décrite notamment par Jakobson (1963 : 217–218).
Dans le cadre d’une conception selon laquelle le sens linguistique des expressions est exclusivement consacré à ce qui est dit (au plan conceptuel ou propositionnel), la voix ne peut être qu’une fonction purement rhétorique associée à l’usage des signes (Berrendonner à paraître). La voix, la force locutoire qui s’y rapporte, fonctionne pour une part comme un symptôme non conventionnel, du moins étranger au sens codé linguistique, comme un indice que l’on pourrait dire « naturel » de ce que le locuteur fait en parlant. La voix relève alors de la « gesticulation locutoire » dont parle Berrendonner (1981), plutôt que de la signification linguistique, du sens codé de l’expression. Mais le sens linguistique des expressions ne se réduit pas à ce qu’elles disent. Certaines expressions ont aussi (ou même parfois essentiellement) pour fonction d’attester conventionnellement, par le code linguistique, de telle ou telle propriété de leur énonciation, c’est-à-dire de la voix du locuteur qui les énonce. Nous parlerons alors de symptôme conventionnel associés à la voix. Certaines expressions encodent leur force de symptôme.
C’est le cas notamment des embrayeurs et autres marqueurs de subjectivité associés à l’appareil formel de l’énonciation de Benveniste (1966 : 258s), ou chez Jakobson (1963 : 176s). Les pronoms de première personne attestent conventionnellement de la présence, de l’existence même de celui qui en fait usage, d’un locuteur responsable de leur énonciation. Tandis que ceux de seconde personne attestent de l’existence de celui à qui le locuteur s’adresse, les démonstratifs de la présence contextuelle de tel ou tel élément que le locuteur désigne, les déictiques et temps verbaux d’une occupation de l’espace et du temps. Et de même, l’ensemble des expressions dont la visée est énonciative, notamment les expressions performatives ou modales, les interjections ou autres formules (Anscombre 1985), les adverbes de phrase (Nølke 1994, 113s), ne disent rien, ne conceptualisent rien la plupart du temps. Ces expressions ne font qu’attester conventionnellement de telle ou telle propriété de leur énonciation. L’exemple ci-dessous met en scène un énonciateur qui dit que c’est terminé, que la loi sur la protection des non-fumeurs est en place, que les critiques à l’encontre des fumeurs vont donc pouvoir prendre fin, mais ce dernier ne dit pas, ne représente pas conceptuellement ou propositionnellement (véri-conditionnellement si l’on préfère), qu’il en éprouve du soulagement. Les formules ouf, enfin, tant mieux ont bien le sens approximatif de « J’en éprouve du soulagement », mais ce sens n’est pas conceptuel ou propositionnel. Une proposition comme « Le locuteur en éprouve du soulagement » n’est autre qu’une paraphrase conceptuelle et propositionnelle appliquée à des expressions qui ne sont pas conceptuelles et propositionnelles. Ces expressions sont des symptômes conventionnels du soulagement que prétend éprouver le locuteur ; elles montrent conventionnellement par la voix le soulagement qu’il éprouve :
(1) Ouf ! C’est enfin terminé. La première étape de protection contre le tabagisme passif est en place. Tant mieux, n’en parlons plus ! La déferlante médiatique, l’assaut des hygiénistes et le haro des anti-fumeurs vont enfin s’arrêter. [Libération, 2.2.07]
Le soulagement qui est ici exprimé ne tient donc pas à mon sens à un contenu ou point de vue imputé à un énonciateur accordé au locuteur, mais directement à la voix de ce dernier par le truchement de formules consistant à montrer qu’il en éprouve du soulagement. Les formules ouf, enfin, tant mieux sont des symptômes conventionnels d’une forme de soulagement suscitée par une inquiétude (ouf), une impatience (enfin) ou une déconvenue préalable du locuteur (tant mieux). Tout comme ouf, enfin, tant mieux montrent le soulagement par la voix du locuteur dans l’exemple précédent, les formules bah et ouf dans les transcriptions ci-dessous montrent cette fois une forme de dévalorisation (pour bah), et de dramatisation (pour ouf).[1]Ce sens de ouf semble surtout attesté aujourd’hui à l’oral, mais Le Robert signale un sens vieilli de ouf comme interjection exprimant « la douleur soudaine, l’étouffement », qui subsiste dans des expressions figées délocutives comme ne pas avoir le temps de dire ouf, sans faire ouf. À sa manière, la répétition de l’adjectif totale en (3) est aussi une façon de montrer par la voix la gravité de la situation :
(2) Il y a toujours des projets vagues qui… Bah en fait c’est des idées comment je pourrais dire c’est : c’est pas vraiment des projets. [Interview 117. 84]
(3) Ouf je dis toujours. je souhaite à personne de passer au feu parce je sais qu’est-ce que c’est. [j’ai passé par là] C’était une perte totale totale totale. J’avais tout perdu. <humhum> Pis j’avais pas d’assurances. [Interview 59’84] [2]Les exemples oraux analysés dans cette étude sont tirés d’un corpus d’interviews et d’auto-enregistrements dans des familles montréalaises (Vincent, Laforest & Martel 1995).
Au-delà des formules et autres expressions à sens montré, pourrait-on dire, un très grand nombre de formulations, par ailleurs conceptuellement actives, contribuent de surcroît en ce qui les concerne, à côté de leur sens conceptuel associé à un point de vue, à produire certains effets de voix. Dans l’exemple (1), le fait de qualifier les adversaires du tabac d’hygiénistes ne consiste pas simplement à les décrire comme des adeptes de l’hygiène. L’expression en soi est péjorative, indépendamment de ce qu’elle exprime au plan conceptuel et propositionnel (véri-conditionnel). Sous l’influence sans doute du substantif plus récent hygiénisme (qui désigne une « tendance, souvent excessive, selon le Robert, à respecter strictement les règles de l’hygiène »), le mot hygiéniste ne catégorise plus aujourd’hui un simple adepte de l’hygiène (sauf s’il désigne une spécialité médicale comme un hygiéniste dentaire). Il qualifie péjorativement un comportement, par le truchement de sa force de symptôme. Il marque l’hostilité du locuteur à l’endroit des adversaires du tabac en l’occurrence. Et par ailleurs la forme des phrases atteste également de la voix du locuteur. En (1) la phrase N’en parlons plus ! ne consiste pas seulement à exprimer un contenu selon lequel il ne faut plus en parler. Sa forme exclamative contribue à l’encodage d’une impatience et d’une détermination associées à la voix du locuteur. Dans le cas du mot hygiéniste comme de la phrase n’en parlons plus !, l’expression à la fois représente un contenu pris en charge par un énonciateur auquel le locuteur s’identifie, et atteste d’une hostilité ou impatience associée à la voix de ce dernier.
Ce qui a trait à la voix relève de cette part subjective du sens linguistique, que Banfield (1982) intègre à un nœud qu’elle dénomme Expression dans son modèle syntaxique de la structure profonde des phrases en grammaire générative. Selon Banfield, les phrases recèlent certains éléments particuliers, étrangers à leur forme propositionnelle, relatifs à la subjectivité de celui qui les énonce. Ainsi les formules interjectives de soulagement en (1) se rattachent au nœud Expression de Banfield. Selon cette dernière, les éléments associés au nœud Expression ont notamment la propriété de ne pouvoir être enchâssés dans le cadre d’une phrase complétive au style indirect. Dans un énoncé du type Paul a dit que ouf, tant mieux, c’est enfin terminé, le soulagement associé à la voix de Paul est en quelque sorte étranger à la proposition complétive, même si les propriétés vocales (les formules en l’occurrence) semblent y être intégrées linéairement. Dans cet énoncé, le locuteur prétend reformuler par subordination complétive ce qu’il ne peut en fait que montrer en écho (par des formules), à savoir le soulagement de Paul. Et de même, dans le cadre d’un énoncé du type Paul a dit que Pierre était un hygiéniste, l’hostilité associée à l’énonciation du mot hygiéniste ne peut être propositionnellement (véri-conditionnellement) attribuée à Paul. C’est pourquoi ce terme fait ici écho à un usage du mot dans la bouche de Paul. De façon plus générale, il semble que les éléments associés à la voix résistent non seulement à l’enchâssement propositionnel, mais à toute forme de reformulation, de réfutation, de modalisation. Seul un point de vue associé à un contenu peut être reformulé, réfuté, ou modalisé au plan épistémique. Ainsi dans l’exemple (1), le soulagement du locuteur ne saurait être réfuté par un énoncé du type Non, c’est faux, c’est pas vrai, qui ne permet de réfuter que ce qui est dit, mais ne saurait s’en prendre au soulagement associé à la voix. Exprimé sous la forme d’un contenu dans le cadre d’un énoncé comme Je suis soulagé en revanche, le soulagement pourrait être l’objet d’un acte de réfutation. Et de même, dans le cadre d’un énoncé comme Paul n’est pas un hygiéniste, ou Paul est peut-être un hygiéniste, l’hostilité associée au mot hygiéniste ne peut être réfutée ou modalisée que si la négation ou la modalisation ont une visée métalinguistique portant sur la voix (nous allons y revenir).
2. Polyphonie externe par la voix et le point de vue
Outre la distinction entre voix et point de vue, la seconde distinction qui va nous intéresser concerne ce qui oppose, pour les auteurs de la Scapoline, la polyphonie interne et la polyphonie externe. Ces derniers parlent de polyphonie interne lorsque les différents rôles énonciatifs associés à la voix et aux points de vue mettent en jeu différentes images du locuteur à l’intérieur du sens, mais sans impliquer d’instance énonciative étrangère à l’énonciation effective. Ainsi, dans les exemples (1) à (3), la distinction entre voix et point de vue relève d’une analyse polyphonique interne, qui concerne l’examen des relations de responsabilité, prise en charge ou rejet de tel ou tel point de vue par le locuteur. Les auteurs de la Scapoline parlent en revanche de polyphonie externe lorsque certains rôles énonciatifs doivent être associés à des instances discursives étrangères au locuteur et à l’énonciation effective. Nous allons nous intéresser ici à deux grandes formes de polyphonie externe, associées respectivement à la voix et au point de vue. Les polyphonies externes associées à la voix impliquent une forme de citation directe ou apparentée. Celles qui sont associées au point de vue impliquent en revanche une reformulation de ce qui est censé avoir été dit ou cogité par ailleurs.
En ce qui concerne la voix, il apparaît notamment que les formules et autres propriétés vocales peuvent attester symptomatiquement, soit de la voix du locuteur effectif en cas de visée polyphonique interne comme en (1) à (3), soit d’une voix étrangère à leur énonciation effective, associée à l’énonciation virtuelle d’un autre locuteur, en cas de visée polyphonique externe. C’est le cas des formules d’exclamation et d’interpellation soulignées en gras dans l’exemple ci-dessous, dont l’association à la voix du locuteur effectif ne serait nullement pertinente (sous peine de considérer que le journaliste s’adresse ici personnellement aux dirigeants chinois ou à ses lecteurs comme à des camarades) :
(4) [En Chine] L’exécution par armes à feu a été remplacée par l’injection. Ce serait plus humain paraît-il. Ce doit être plutôt que des organes vendables étaient détériorés par les balles. Du gâchis hélas, camarades, du gâchis ! [Le Nouvel Observateur, 8.12.05]
Avant de faire écho à une énonciation virtuelle et à la voix des Chinois, le passage ci-dessus commence d’abord par exprimer un contenu présenté comme un fait, un point de vue indiscutable auquel le locuteur s’accorde par défaut (L’exécution par armes à feu a été remplacée par l’injection), pour transiter ensuite par une séquence polyphonique externe consistant à reformuler un point de vue que le locuteur attribue aux Chinois (à travers paraît-il et le conditionnel), et finalement qu’il rectifie personnellement à l’aide d’un modalisateur épistémique (ça doit être plutôt que). Les propriétés vocales associées à paraît-il, au conditionnel épistémique et au modalisateur, renvoient au locuteur effectif ; elles n’ont pour fonction que d’établir la relation que ce dernier revendique à l’égard du point de vue des Chinois, dont la voix n’intervient que dans le tout dernier énoncé. En raison de sa forme exclamative, de la formule d’interjection (hélas), de l’interpellation (camarades), en raison aussi du choix et de la reprise du mot gâchis, ce dernier énoncé fait entendre la voix des Chinois, plutôt que leur simple point de vue. Ces différences correspondent à des énoncés successifs en (4), mais elles peuvent aussi être intégrées à un même énoncé, comme dans le passage suivant :
(5) [Jérôme Kerviel] l’homme qui a failli faire sauter la banque de l’intérieur, ce « terroriste », pour reprendre le mot – malheureux – du président de la Société Générale Daniel Bouton, l’homme qui a fait trembler durant quelques jours le système bancaire mondial. (Le Monde, P.-A. Delhommais et C. Lacombe, repris par Le Temps, 9.8.08)
Tel qu’il est présenté ci-dessus, ce passage donne lieu à une forme polyphonique externe par la voix de Daniel Bouton, centrée sur l’énonciation du mot terroriste, dans le cadre d’un énoncé exprimant un point de vue selon lequel Jérôme Kerviel a mis sa banque en péril et fait trembler les marchés. Par défaut, ce point de vue semble devoir être imputé au locuteur effectif en polyphonie interne. Restitué cependant dans son intégralité, l’exemple original se présente ainsi :
(6) Les contempteurs des marchés financiers célèbrent [en Jérôme Kerviel] l’homme qui a failli faire sauter la banque de l’intérieur, ce « terroriste » […]
Dans ces conditions, qui ne changent rien à la voix, le point de vue n’est plus forcément imputé par défaut au locuteur ; il peut alors être attribué aux contempteurs des marchés dont il est question, ce qui complexifie l’interprétation en y ajoutant une couche polyphonique externe par le point de vue, tout à fait étrangère à la voix de Daniel Bouton. Cet exemple fait apparaître que la voix et le point de vue comme formes polyphoniques externes fonctionnent bien séparément, même si fréquemment elles se combinent, se superposent en fait, notamment au style indirect libre, ou pour former localement certains îlots citatifs dans le cadre d’une phrase complétive au style indirect :
(7) Le petit Louis a dit qu’il avait vu des voitures volantes passer au-dessus de sa tête durant sa disparition. Et en effet des hélicoptères ont survolé la zone durant plusieurs heures à sa recherche. (Journal télévisé, France2, 9.3.08)
Le locuteur fait ici écho à la voix du petit Louis, dans le cadre d’une phrase complétive consistant par ailleurs à reformuler son point de vue. Comme on l’a relevé précédemment, la voix ne peut être propositionnalisée dans une phrase complétive au style indirect simple, mais il n’est nullement interdit d’y faire alors simultanément écho. Accentués au plan intonatif à l’oral, les éléments polyphoniques externes associés à la voix sont généralement pourvus de guillemets à l’écrit, comme dans le passage suivant :
(8) Le témoin a constaté que les skinheads étaient agressifs « déjà par leur putain d’habillement » […]. Il a vu le plaignant se faire poignarder à terre, recevoir un coup de pied dans l’entrejambe et se relever seul tandis que ses agresseurs s’enfuyaient. Il ajoute que cet épisode l’a « déçu, putain de merde ». [Le Temps, 20.5.99]
À l’écrit comme à l’oral, le recours à une formule modale, à une interjection, à une marque déictique, pour marquer une effet de voix, un effet citatif, dans le cadre d’une phrase complétive indirecte, est très fréquent :
(9) Il m’a dit que, la semaine prochaine pour sûr, qu’il allait me le remettre. Pis il me l’a pas remis. [Interview 122’84]
(10) Puis il a dit que, Ah ! Il y allait avoir un nouveau guitariste dans notre groupe. [Interview 122’84]
Tout comme les formules énonciatives, les adverbes de phrase comme naturellement, certainement, bien entendu, les connecteurs comme donc, alors, avec ou sans guillemets, produisent systématiquement un effet de voix analogue en tête de phrase complétive. En (11), par exemple, bien entendu est citatif ; les guillemets ne font alors que confirmer la force citative de la formule :
(11) La porte-parole du candidat, Roselyne Bachelot, avait indiqué que, « bien entendu », le président sortant irait débattre avec Le Pen. Mais hier matin elle se ravise et affirme douter que « Jacques Chirac aille vers ce débat avec beaucoup d’appétit ». [Libération, 23.4.02]
Le même effet de voix accompagne l’intégration complétive d’un verbe modal ou performatif à la troisième personne. Les phrases du type Paul a dit qu’il pensait, imaginait que…, Pierre a dit qu’il affirmait que…, consistent systématiquement à faire écho à l’énonciation dont relève leur emploi modal ou performatif à la première personne. Même dépourvu de guillemets et à la forme infinitive, le verbe douter en (11), dans le champ du verbe affirmer qui le régit, fait écho à l’énonciation de la formule modale je doute que à la première personne, attestant ainsi de la voix de Roselyne Bachelot. L’absence de guillemets s’explique alors simplement par le changement de forme verbale, mais ne change rien à l’interprétation citative qui s’y rapporte. Les formes de délocutivité analysées par Anscombre (1985) ne sont en fait que des renvois métalinguistiques à la voix d’un autre locuteur.
En l’absence de guillemets à l’écrit, si l’on met à part le cas des formules et autres propriétés vocales, la distinction entre polyphonie externe associée à la voix ou au point de vue n’est cependant pas toujours facile à établir. Prenons un énoncé comme le suivant :
(12) Jeté à terre, menotté aux bras et aux chevilles, le délinquant est emmené au commissariat. [Libération, 23.10.08]
La voix et le point de vue ne font qu’un dans ce cas et surtout ne donnent lieu, par défaut, qu’à une forme polyphonique interne impliquant le locuteur. Mais qu’en est-il dans son contexte authentique, où l’énoncé en question conclut un récit mettant en scène des policiers aux prises avec un certain Jean-Jacques Reboux ?
(13) Le 2 juillet 2006, Jean-Jacques Reboux est dans sa voiture, avenue de Clichy, à Paris. Le feu est rouge. Il attend, puis démarre. Sa voiture, un rien âgée, peine un peu. Deux policiers l’arrêtent. L’un d’eux lui annonce qu’il va avoir un PV pour « obstruction à la circulation ». Reboux s’étonne et conteste l’infraction. Le policier lui demande de se calmer. Il persiste à contester : on l’inculpe d’outrage. Reboux prend son portable, avertit sa compagne qu’il sera en retard pour « des démêlés avec un flic maboul ». Lequel entend et appelle deux motards. Jeté à terre, menotté aux bras et aux chevilles, le délinquant est emmené au commissariat. [Libération, 23.10.08]
Très clairement l’expression le délinquant implique alors les policiers, mais à quel titre polyphonique exactement ? Faut-il admettre que cette expression fait écho à la voix des policiers, qu’il s’agit d’une forme de citation portant sur une énonciation virtuelle de l’expression le délinquant par les policiers ? Ou faut-il considérer que l’expression le délinquant ne fait ici que reformuler leur point de vue ? Et dans l’exemple ci-dessous, qu’en est-il des expressions le garçon et le petit Léo à la voix timorée ?
(14) Lorsque les gendarmes lui ont dit qu’il n’était pas Léo, ils ont vu le garçon se métamorphoser. Le petit Léo à la voix timorée s’est mis à parler avec une voix d’homme. Il a soulevé un lourd fauteuil pour le lancer sur les enquêteurs. Les gendarmes l’ont maîtrisé, avant de prendre ses empreintes digitales et de l’écrouer. Ils ont appris ainsi que le faux Léo s’appelle en réalité Frédéric Bourdin, qu’il a 30 ans […] [Libération, 8.3.04]
Une interprétation assimilant ces expressions à des formes de polyphonies externes par la voix n’est pas forcément exclue, mais semble trop forte, compte tenu de l’absence de guillemets et des effets de leur ajout dans ces exemples. La mise entre guillemets de ces expressions modifierait le statut polyphonique de ce qui est ici pris pour cible, qui en l’état concerne le point de vue et non la voix. Le locuteur effectif assume alors le choix des termes, la dimension locutoire associée à la voix, mais pas le point de vue (le contenu) que ces mots expriment. La distinction tient en l’occurrence à ce qui oppose l’interprétation des expressions que les logiciens assimilent à des formes de mentions (ou citations) à celle des expressions dites référentiellement opaques. Selon Quine (1960, 1961), en contexte oblique ou opaque, il n’est question ni des expressions en soi (de leur énonciation par un autre locuteur à travers une forme de citation comme c’est le cas lorsque l’expression est en mention), ni directement de ce à quoi les expressions réfèrent (de l’état de choses qu’elles représentent), mais de ce qu’elles signifient (c’est-à-dire du contenu qu’elle expriment, du point de vue qui s’y rapporte). En contexte opaque, notamment lorsqu’elles sont dans le champ d’un verbe de parole ou d’opinion, les expressions expriment un point de vue qui n’est plus seulement le moyen, mais l’objet de la communication. Ainsi les expressions en gras dans les exemples (15) à (17), bien que n’étant pas linguistiquement opaques dans la mesure où elles ne sont nullement citées, sont néanmoins référentiellement opaques, en raison du contexte oblique (ou opaque) où elles sont interprétées. Loin de référer simplement à un état de choses, ces expressions y réfèrent alors selon une façon de voir, selon un point de vue étranger qu’elles rapportent ou reformulent, qui constitue le véritable objet de la communication :
(15) [À propos de Michel Fourniret, le violeur, assassin, lors de son procès] Cet être singulièrement fat supporte mal de se taire, surtout depuis qu’il a pu constater que le procès pouvait se passer de sa précieuse parole. [Le Figaro, 5.5.08]
(16) J’évitais de trop parler à Mitterrand de Mendès, lui laissant le soin de le faire. Parfois il me proposait avec une sorte de curiosité agacée des questions sur le charisme de mon maître à penser. [Jean Daniel, Le Nouvel Observateur, 5–11.1.06]
(17) Maman a demandé à Papa de ne pas la contredire devant le petit […] Maman se met à pleurer et dit qu’elle va aller chez sa maman, et moi je pleure aussi parce que je l’aime bien Mémé [Sempé & Goscinny, Le petit Nicolas]
De même que les expressions citées font écho à une voix associée à une énonciation distincte de leur énonciation effective, les expressions référentiellement opaques font écho à un contenu associé à un point de vue étranger qu’elles reformulent. Tout comme les expressions citées, les expressions référentiellement opaques ne peuvent donc être altérées, ou remplacées par aucune autre expression même coréférentielle, sans altérer du même coup ce dont il est question. Ainsi l’expression le délinquant ne peut être remplacée par Jean-Jacques Reboux en (13), ou les expressions le garçon et le petit Léo à la voix timorée par le faux Léo en (14) ; pas davantage que l’adjectif précieuse ne peut être retiré en (15), ou l’expression mon maître à penser remplacée par Mendès France en (16), sans altérer respectivement le point de vue des gendarmes, de Fourniret ou Mitterrand. Tout comme en (17) l’expression le petit ne peut être remplacée par un pronom de première personne, ou l’expression sa maman échangée avec Mémé, sans altérer le point de vue que le petit Nicolas impute à sa mère. L’expression sa maman nous intéresse ici en particulier dans la mesure où elle manifeste à la fois ostensiblement la voix du petit Nicolas en polyphonie interne, et le point de vue de sa mère en polyphonie externe. En (16) l’expression mon maître à penser manifeste à la fois la voix de Jean Daniel à l’interne (par l’usage de la première personne), tout en reformulant le point de vue de François Mitterrand (puisque Jean Daniel ne considère pas personnellement Mendès comme son modèle).
3. Le cas de la négation
On sait que la tradition, notamment anglo-saxonne (Russell 1905), oppose deux emplois radicalement différents du morphème de négation, consistant respectivement à asserter une proposition négative, et à qualifier (ou plutôt à disqualifier) l’usage d’une expression, au plan métalinguistique[3]Voir à ce sujet les références données par Larrivée (2001 : 91), et par Horn (1989, 2001), qui concernent notamment l’ambiguïté du morphème de négation, la nature sémantique ou pragmatique de la présupposition d’existence associée à la négation propositionnelle, les propriétés définitoires de la négation métalinguistique. Or ces propriétés sont rarement distinguées morphologiquement à travers les langues. Certaines ont bien des marqueurs polyphoniques : le no du catalan, le mica de l’italien, le double não du portugais brésilien (Schwenter 2005), qui incluent les … Continue reading. Dans ce passage de notre corpus oral montréalais, par exemple, les négations en gras ont une visée métalinguistique :
(18) Tu-sais, tu as des mots qui… Chaque chose a un mot, mais il y a des mots qui sont moins beaux que d’autres. Une fille c’est pas une pelote, c’est une fille. Pelote c’est un mot, ça existe. Mais ça s’applique pas à toi ni à elle. Vous êtes pas des pelotes vous êtes des êtres humains. Une pelote c’est une balle. [Interview 2’84]
Bien que le mot pelote permette de désigner une fille en français du Québec, les énoncés Une fille c’est pas une pelote et Vous êtes pas des pelotes ne signifient pas ici que les filles ne sont pas des filles, ou même des pelotes au sens du français standard. Ces énoncés ne sont ni contradictoires (une fille n’est pas une fille), ni forcément analytiques (une fille n’est pas une pelote), car la négation n’est alors nullement associée à un prédicat du type ne pas être une fille, et pas forcément (ou pas uniquement du moins) à un prédicat du type ne pas être une pelote. La négation a ici une visée métalinguistique consistant à qualifier le mot pelote comme inélégant, comme inapproprié pour désigner une fille. La négation métalinguistique n’a de sens que par allusion citative (ou délocutive) à un usage jugé inapproprié de l’expression dont il est question. Elle peut soit se combiner, se superposer, soit purement et simplement annuler toute interprétation à visée propositionnelle de la négation, sous l’effet notamment d’un enchaînement correctif comme dans les exemples ci-dessous (analysés dans Larrivée & Perrin) :
(19) Tu ne l’as pas acheté à l’aréoport. Tu l’as acheté à l’aéroport.
Pierre n’a pas cessé de fumer, il n’a jamais touché une cigarette.
Paul n’est pas gentil, il est adorable, et il n’est pas intelligent, il est tout simplement génial.
Le Christ n’est pas mort sur la croix. Un certain Jésus sans doute a été crucifié.
La négation métalinguistique n’exclut évidemment pas toute interprétation propositionnelle interne du morphème de négation. Un énoncé comme « Tu ne l’a pas acheté à l’aréoport » pourrait permettre à la fois de nier qu’on ait acheté quelque chose à l’aéroport, et de corriger l’expression erronée. Dans ce cas, la négation a une double valeur (elle est polysémique et même sylleptique en quelque sorte) ; elle produit deux significations qui ne s’impliquent pas mutuellement et même s’excluent, ne se conçoivent qu’alternativement. Le fait de ne pas être allé à l’aréoport, si cela est dû au fait qu’il s’agit en fait d’un aéroport, n’implique pas de ne pas y être allé (et inversement le fait de ne pas y être allé n’implique pas que son nom soit erroné).
Ainsi dans le passage ci-dessous – détaché de son contexte et donc susceptible de plusieurs interprétations – les guillemets témoignent d’une allusion citative qui ne concerne pas forcément la négation ; s’ils ne sont motivés que par la valeur métaphorique du verbe éponger, la négation ne peut être que propositionnelle. Or ce passage est issu d’un droit de réponse où la locutrice réfute un article de presse affirmant que son mari a épongé ses dettes. Dans ce contexte, l’allusion citative agit sur la visée de la négation, qu’elle assortit alors d’une force métalinguistique susceptible de se combiner ou encore, le cas échéant, d’annuler toute interprétation propositionnelle associée :
(20) Mon mari, qui n’était pas homme à s’en laisser conter, n’a jamais « épongé » la moindre de mes dettes, ce que je n’aurais d’ailleurs pas imaginé lui demander. [Le Monde, Droit de réponse, 1.04.09]
Même si elle ne l’exclut pas dans ce cas, la lecture métalinguistique n’implique pas en soi que le mari n’a pas payé les dettes de son épouse (la locutrice), ou même que celle-ci ait eu la moindre dette. Ces implications sont celles d’une négation propositionnelle éventuellement assortie ; la négation métalinguistique implique seulement que le mari n’a pas fait ce que représente le verbe éponger dans le cadre d’une accusation que la locutrice récuse. Elle consiste à rejeter l’usage du verbe éponger pour rendre compte de ce qu’a fait son mari. Ainsi la locutrice pourrait alors enchaîner en précisant, par exemple : Pour la bonne raison que je n’ai jamais eu la moindre dette, ou encore, moins glorieusement : Il les a simplement honorées, comme il est normal entre mari et femme. Ce type d’enchaînement ne fait qu’annuler toute interprétation propositionnelle assortie. La négation serait exclusivement métalinguistique dans ces conditions.
Reste évidemment à clarifier, parmi d’autres points en suspens, ce qu’il advient de la négation lorsque, comme en (20), sa visée métalinguistique n’annule pas ses implications internes propositionnelles. Qu’advient-il de la négation si la locutrice enchaîne alors simplement en affirmant, par exemple : J’ai toujours payé moi-même ce que je devais, c’est-à-dire sans contredire les implications associées à une proposition négative du type : Le mari n’a pas payé les dettes de son épouse (notamment le présupposé selon lequel l’épouse avait des dettes). S’agit-il alors d’une simple négation descriptive interne, intra-propositionnelle, au sens des logiciens, assortie d’une visée métalinguistique accessoire ? Et qu’adviendrait-il de la négation si le verbe éponger n’était pas pourvu de guillemets dans ce passage, si aucune force citative ou métalinguistique n’était ici activée ? L’énoncé consisterait-il simplement à affirmer que la locutrice avait des dettes que son mari n’a pas épongées ? Serait-il alors dépourvu de toute dimension polyphonique ?
Plutôt que d’opposer deux sortes de négations irréductibles, les approches polyphonistes font l’hypothèse qu’il en existe au moins trois formes apparentées, respectivement qualifiées par Ducrot (1984) de négation descriptive, polémique et métalinguistique.[4]En dehors du paradigme polyphoniste (Ducrot 1984, Nølke 1992, 1993), la négation polémique n’est guère reconnue (Attal 1992 : 117). La raison en est que celle-ci ne remet pas en cause le renversement attendu de la valeur de vérité par la négation, et ne pose donc pas les mêmes problèmes apparents pour les postulats logicistes. En outre, la diversité des terminologies n’a pas aidé à fixer les choses, Ducrot remplaçant le métalinguistique de 1972 par le polémique en 1973, avant que la trichotomie métalinguistique, polémique et descriptif ne soit établie en 1984 (Moeschler 1992 … Continue reading Outre la négation descriptive consistant à asserter une simple proposition négative, le morphème de négation peut servir, selon Ducrot, soit à réfuter une proposition positive lorsque sa visée est polémique, soit à disqualifier une expression lorsqu’elle est métalinguistique. Ces trois interprétations sont susceptibles de s’articuler ou de s’exclure respectivement selon les cas. Ainsi en (20), la négation semble pouvoir être interprétée, soit comme purement propositionnelle et descriptive si l’on ne tient pas compte de sa force illocutoire de réponse et de réfutation (et que l’on consacre les guillemets à l’emploi métaphorique du verbe éponger) ; soit comme purement métalinguistique dans le cas envisagé initialement ; soit encore comme polémique si l’on considère que la locutrice réfute une affirmation selon laquelle son mari a payé ses dettes. Cette dernière interprétation est compatible avec les précédentes, elle ne les exclut pas mais les intègre, en quelque sorte, s’enrichit de leurs effets respectifs ; elle fonctionne même comme une sorte de pivot d’articulation abolissant entre elles tout effet sylleptique ou même polysémique. Rien n’interdit d’associer contextuellement une négation polémique à quelque effet métalinguistique ou descriptif que ce soit, mais inversement rien ne contraint non plus à un tel enrichissement. Tout comme la négation descriptive et la négation métalinguistique, la négation polémique peut fonctionner isolément, détachée notamment de toute visée métalinguistique. Elle consiste alors simplement à réfuter une proposition, sans faire écho à sa forme linguistique. Les guillemets peuvent ainsi être effacés en (20), sans neutraliser la visée polémique de la négation. Dans le passage suivant, issu cette fois d’un échange entre une mère et sa fille adolescente (la fille supplie sa mère, qui refuse de lui donner l’autorisation parentale de sortir le soir jusqu’à 1h), aucun effet métalinguistique ne permet alors d’opposer entre elles les négations :
(21) — Vous [mes parent] me permettez de rentrer à 1h jeudi, deuxièmement toi [ma mère] tu dors pas mais tu m’attends pas en bas, t’es couchée puis tu vas voir comment je vais rentrer.
— Marie-Ève à 1h c’est trop tard. Écoute-moi bien.
— C’est pas trop tard maman. [Auto-enregistrement, 117’95]
Bien que tous deux dépourvus d’effets métalinguistiques, les premiers énoncés négatifs, articulés par mais, ne reçoivent pas la même interprétation dans ce passage (compte tenu des instructions de mais). Le premier (« tu dors pas ») permet à la fille de concéder à sa mère de ne pas dormir avant son retour ; on pourrait le compléter par un d’accord, je veux bien, sans perturber ce qui s’y trouve communiqué. Le second énoncé négatif en revanche (« tu m’attends pas en bas ») a pour objectif de contrer une exigence que la fille impute à sa mère de l’attendre en bas, plutôt que de monter se coucher ; on pourrait dès lors le compléter par en aucun cas, par exemple, ou pas d’accord, je veux pas, j’espère que non. Dans le premier énoncé, la négation est descriptive ; dans le second énoncé, la négation est polémique. Quant au dernier énoncé négatif de la fille (« C’est pas trop tard »), il n’a pas le sens purement descriptif qui serait le sien dans un contexte où il servirait simplement à affirmer qu’il n’est pas trop tard, qu’on a encore le temps (Muller 1992, Moeschler 1992). L’énoncé en question met en jeu une négation polémique consistant à réfuter le point de vue précédemment exprimé par la mère.
Isolées de leur contexte, les phrases négatives simples sont ambiguës, mais cela ne signifie pas que le langage ne dispose d’aucun marqueur de négation polémique. Dans le passage suivant par exemple – qui fait suite au précédent dans le même corpus – la négation polémique est marquée :
(22) — Maman écoute-moi 1h là c’est une heure raisonnable.
— Non mais moi je trouve pas que c’est raisonnable. [Auto-enregistrement, 117’95]
Les formules de réfutation, les prophrases ou modalistateurs comme non, n’importe quoi, c’est faux, c’est pas vrai, je crois pas (que…), je pense pas (que…), je trouve pas (que…), je prétends pas que…, je me demande (si…), je vois pas pourquoi, on peut pas dire (que…), soi-disant (que…), c’est pas que…, c’est pas parce que… peuvent être assimilés à des marqueurs de négation polémique. La montée de la négation dans le modalisateur impose alors le sens polémique.
Bon nombre d’approches récentes semblent aujourd’hui s’accorder sur le fait que la négation polémique serait première par rapport à la négation tant descriptive que métalinguistique. Le morphème de négation serait donc fondamentalement polémique, quitte à être affaibli (ou neutralisé) dans certaines conditions (Muller 1991, Attal 1992, Moeschler 1992). Les approches polyphoniques ont ouvert la voie et durcissent même leur position sur ce point. À la suite de Ducrot (1984), Nølke (1992) et la Scapoline (Nølke, Fløttum et Norén 2004) conçoivent la négation descriptive comme une sorte de version affaiblie, dérivée délocutivement d’une négation polémique consistant à disqualifier un point de vue. Or une telle hypothèse semble relativement coûteuse, en ce qui concerne la notion de dérivation délocutive, appliquée jusqu’ici à des unités lexicales comme un m’as-tu vu, par exemple, qui font allusion à une énonciation dont elles dérivent. Si en effet l’allusion (non seulement à une voix mais un point de vue) est bien au cœur du débat sur la négation comme de toute forme de polyphonie, faut-il pour le coup en établir une entre négation descriptive et négation polémique ? Ne déplace-t-on pas ainsi inutilement la question de l’allusion en ce qui concerne la négation ? Ne s’agit-il pas ici simplement de se demander si un énoncé négatif peut être purement descriptif, c’est-à-dire tout à fait dépourvu de dimension polémique ? Si c’est bien le cas, si l’on considère que l’assertion d’une proposition négative est possible, sans pour autant réfuter une quelconque assertion de la proposition positive correspondante, il semble plus avantageux de concevoir la négation descriptive comme parfaitement autonome, dépourvue de toute force polémique ou métalinguistique. Ce que confirment par ailleurs certaines études de psycholinguistique établissant que la négation descriptive serait la seule à pouvoir être produite et interprétée par certains autistes, inaptes à la négation polémique (ou métalinguistique), car incapables de concevoir un point de vue étranger au cadre d’un énoncé donné (Larrivée 2006).
A défaut donc de formuler une hypothèse selon laquelle la négation descriptive serait dérivée, elle ne serait qu’une forme affaiblie de négation polémique, ne reste-t-il dès lors que la relation inverse, selon laquelle la négation polémique serait au contraire issue d’une négation fondamentalement descriptive, le fruit d’un enrichissement contextuel de cette dernière ? Si c’était le cas, la négation descriptive serait à la base et donc en quelque sorte incluse, ou impliquée, par toute négation polémique. La réfutation d’une proposition positive serait issue et aurait donc systématiquement pour effet d’impliquer en retour, de présupposer en quelque sorte, (la vérité de) la proposition négative correspondante. Or une telle hypothèse fait fi non seulement de la négation métalinguistique – que l’on ne sait plus bien dès lors à nouveau où placer dans le modèle – mais elle se heurte surtout au fait que l’on peut réfuter un point de vue sans pour autant affirmer ou même sous-entendre un point de vue contraire. Si relation implicative il y a, au sens logique pour le coup, elle s’établit plutôt en sens inverse, de l’assertion d’une proposition négative à la réfutation de la proposition positive correspondante. On en conclura donc prudemment – suivant en cela Larrivée (2006), Larrivée et perrin (à paraître) – que la négation descriptive et la négation polémique ne sont pas issues l’une de l’autre, mais que toutes deux sont issues, tout comme la négation métalinguistique d’ailleurs, d’une forme d’enrichissement contextuel de la négation. Mais enrichissement de quoi exactement ? Quel schéma sémantique abstrait pourrait être associé à l’ensemble des emplois possibles de la négation en contexte ? Une solution serait de détacher le schéma polyphonique de ce qui a trait en particulier à la négation tant métalinguistique que polémique, afin d’inscrire ce schéma dans le sens même du morphème de négation grammaticale. Plus faible sans doute que celle de Ducrot ou de la Scapoline, qui conçoivent la négation comme fondamentalement polémique, une telle hypothèse repose néanmoins sur une conception polyphonique (que nous dirons faible) du sens linguistique de la négation.
La distinction entre négation descriptive et négation polémique peut à mon sens être fondée sur ce qui oppose, à un niveau très général, polyphonie interne et polyphonie externe. En tant que forme polyphonique interne, la négation descriptive consiste simplement à ne pas saturer contextuellement la variable associée à un point de vue positif que rejette la négation, c’est-à-dire à ne la saturer que sous la forme d’une valeur actancielle (vs énonciative), dans le cadre d’un énoncé consistant à affirmer une proposition négative. La dimension polyphonique de la négation descriptive se réduit ainsi à la simple mise en cause, par le locuteur, d’un point de vue positif, mise en cause dont résulte alors contextuellement l’assertion d’une proposition négative. Quant à la négation polémique, en tant que forme polyphonique externe, elle tient à une forme de réfutation associée à la reformulation d’un point de vue étranger à l’énonciation effective, point de vue susceptible d’être associé à ce qui a été dit précédemment ou même à une simple opinion supposée de l’interlocuteur ou d’un tiers. Dans un contexte où le point de vue positif ne reformule rien, ne fait nullement écho à un point de vue étranger à l’énonciation effective, la négation est descriptive et ne déclenche que certaines implications associant le rejet de ce point de vue par le locuteur à la prise en charge d’un point de vue contraire, plutôt qu’à un acte de réfutation. Mais dans un contexte où le point de vue positif reformule un point de vue étranger à l’énonciation effective, la négation peut dès lors être interprétée comme polémique et ses implications sont donc compatibles avec l’acte de réfutation qui s’y rapporte.
Ainsi définie, plutôt que de consister simplement à disqualifier un point de vue positif, la négation polémique relève d’une forme de discours rapporté indirect et bien entendu implicite, dépourvu de verbe introducteur et d’attribution du contenu rapporté à une source. Tout comme les verbes de parole ou d’opinion en tête de phrase complétive, la négation polémique crée un contexte oblique ou opaque où les expressions expriment un point de vue que le locuteur reformule (pour le réfuter en l’occurrence). Ce serait le cas par exemple si l’on supprimait les guillemets du verbe éponger en (20). Dans ces conditions, l’expression ne serait plus citée, elle ne serait plus matériellement en cause, mais elle ne serait pas pour autant dépourvue d’effets échoïques. La négation consisterait alors à réfuter, c’est-à-dire à reformuler, à rapporter un point de vue. Dans l’exemple ci-dessous, tiré d’une interview de Jacques Mesrine, la première négation (en ni… ni) est polémique ; le locuteur reformule un point de vue qu’il réfute, selon lequel il serait pour certains un justicier et un héros. Les expressions justicier et héros sont opaques, car elles font écho à un point de vue positif imputé à une instance collective que le locuteur réfute[5]Je n’entre pas ici en matière sur les autres négations de ce passage, respectivement descriptive et ensuite à nouveau polémique. :
(23) Je ne suis ni un justicier ni un héros. Je suis un homme d’action qui n’est pas trop con, et qui fait des actions que tout le monde ne ferait peut-être pas. [Mesrine, Libération, 3.01.79]
Quant à la distinction entre négation polémique et métalinguistique, elle tient simplement au fait que la seconde ne récuse pas un point de vue, mais une voix. La négation métalinguistique est une forme polyphonique externe impliquant une citation directe de l’énonciation d’une expression associée à une voix qu’elle disqualifie, plutôt que la reformulation d’un point de vue positif qu’elle réfute. Deux cas peuvent alors se présenter. Dans le cadre d’un énoncé du type Paul n’est pas gentil, il est adorable – pour reprendre un exemple emblématique de négation métalinguistique – le mot gentil ne reformule pas un point de vue réfuté selon lequel Paul serait gentil. Le mot gentil produit alors simplement un effet citatif portant sur l’une ou l’autre de ses énonciations préalables ou virtuelles, que l’énoncé négatif disqualifie comme trop faible. En (18) et (19) et dans une certaine lecture de (20), la visée métalinguistique de la négation suspend les implications associées à la réfutation d’un point de vue positif réfuté. La négation ne fait alors que disqualifier l’usage de telle ou telle expression citée dans sa portée, en l’occurrence l’adjectif gentil, le substantif pelote, ou le verbe éponger. Mais il advient alors aussi fréquemment que la voix ainsi rejetée ne soit pas détachée du point de vue qu’elle exprime, que même elle ne soit rejetée que dans la mesure où elle l’exprime. Dans ce cas la négation métalinguistique est aussi polémique, car elle fait écho à un discours objet qu’elle reproduit et rejette d’un seul trait, à la fois dans sa forme et dans son contenu.
Couplée transversalement à l’opposition entre voix et point de vue, l’opposition entre polyphonie interne et polyphonie externe permet ainsi de simplifier les instructions associées au morphème de négation grammaticale, qui ne varient pas fondamentalement lorsque la visée de la négation est descriptive, polémique ou métalinguistique. Une telle analyse repose sur une conception polyphonique affaiblie, selon laquelle le morphème de négation consisterait à disqualifier un quelconque élément assimilé à une variable destinée à être saturée en contexte. Les distinctions pertinentes entre différentes sortes de négations ne tiennent pas tant alors au morphème de négation en soi qu’à l’identité de ce que la phrase négative disqualifie. Le morphème de négation grammaticale ne marque pas en lui-même la distinction entre négation descriptive, polémique et métalinguistique.
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Notes
⇧1 | Ce sens de ouf semble surtout attesté aujourd’hui à l’oral, mais Le Robert signale un sens vieilli de ouf comme interjection exprimant « la douleur soudaine, l’étouffement », qui subsiste dans des expressions figées délocutives comme ne pas avoir le temps de dire ouf, sans faire ouf. |
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⇧2 | Les exemples oraux analysés dans cette étude sont tirés d’un corpus d’interviews et d’auto-enregistrements dans des familles montréalaises (Vincent, Laforest & Martel 1995). |
⇧3 | Voir à ce sujet les références données par Larrivée (2001 : 91), et par Horn (1989, 2001), qui concernent notamment l’ambiguïté du morphème de négation, la nature sémantique ou pragmatique de la présupposition d’existence associée à la négation propositionnelle, les propriétés définitoires de la négation métalinguistique. Or ces propriétés sont rarement distinguées morphologiquement à travers les langues. Certaines ont bien des marqueurs polyphoniques : le no du catalan, le mica de l’italien, le double não du portugais brésilien (Schwenter 2005), qui incluent les expressions spécialisées dans le rejet – comme le français Non, Mon oeil!, Tu parles ! (Muller 1992 : 30) – mais ces marqueurs ne sont pas exclusivement consacrés aux emplois métalinguistiques (nous allons y revenir). Si la négation métalinguistique semble bien reposer sur certaines constructions en français et en anglais – comme non pas X mais Y (Mignon 2006, McCawley 1991, Muller 1991, Gross 1977) – aucune des deux langues n’a de négation grammaticale spécifiquement métalinguistique (Moeschler 1992 : 11, Carston 1998 : 324). Le morphème de négation est généralement ambigu, mais cette ambiguïté concerne-t-elle la forme logique des phrases négatives ? L’opérateur de négation doit-il pouvoir potentiellement figurer, comme chez Russell, à différents endroits de la forme logique d’une phrase ? Ou cette ambiguïté ne concerne-t-elle que le plan pragmatique ? Ne s’agit-il que d’une information secondaire dont on devrait pouvoir se défaire assez facilement (Moeschler 1992), comme semble l’indiquer le caractère intuitivement singulier d’un emploi qu’Attal (1990) va jusqu’à qualifier d’anormal. En supposant, contre le scepticisme de Geurts (1998) et Davies (2003), que la négation métalinguistique relève d’un ensemble d’emplois cohérent, les limites de l’ensemble sont difficiles à définir, comme le montrent les désaccords entre auteurs. Ce n’est qu’avec Horn (1989) et son article de 1985 que sont documentés à la fois une série de cas de figure métalinguistiques et un ensemble de comportements qui seraient communs à ces emplois. La difficulté à réunir des exemples de négation métalinguistique est réelle, partie parce qu’elle constitue une action discursive défavorisée, partie parce qu’elle semble appartenir à un oral non préparé donnant des résultats sales. Quoi qu’il en soit, malgré l’abondance de travaux, ces questions ne sont pas closes, loin s’en faut. Un résumé est fait par Carston (1998) des propriétés de la négation métalinguistique, qui se rapportent selon elle à la force citative ou échoïque de telle ou telle expression qu’elle a dans sa portée. Ce n’est pas la négation en soi qui est métalinguistique pour elle, c’est le fait qu’elle s’articule à une métareprésentation échoïque, dont l’objectif n’est pas de décrire, de représenter conceptuellement ce à quoi elle réfère, mais de faire écho à une énonciation que l’énoncé négatif rejette ou récuse (Larrivée et Perrin, à paraître). |
⇧4 | En dehors du paradigme polyphoniste (Ducrot 1984, Nølke 1992, 1993), la négation polémique n’est guère reconnue (Attal 1992 : 117). La raison en est que celle-ci ne remet pas en cause le renversement attendu de la valeur de vérité par la négation, et ne pose donc pas les mêmes problèmes apparents pour les postulats logicistes. En outre, la diversité des terminologies n’a pas aidé à fixer les choses, Ducrot remplaçant le métalinguistique de 1972 par le polémique en 1973, avant que la trichotomie métalinguistique, polémique et descriptif ne soit établie en 1984 (Moeschler 1992 : 15, note 7). Les fluctuations terminologiques ne sont pas propres au domaine français d’ailleurs. La négation contrastive de Verkuyl (1993 : 7, 163–166) comprend ainsi le métalinguistique et le polémique, alors que la même étiquette ne concerne que le métalinguistique chez Seuren (1988 : 191). |
⇧5 | Je n’entre pas ici en matière sur les autres négations de ce passage, respectivement descriptive et ensuite à nouveau polémique. |