« Je (n’) dis pas » comme marqueur argumentatif polyphonique

1. Avant-pro­pos

Les mar­queurs dis­cur­sifs par­tagent cer­taines pro­prié­tés dont la lin­guis­tique cherche à sai­sir les enjeux. Une dis­tinc­tion théo­rique très géné­rale – dis­cu­table sans doute, et loin d’être à ce jour consen­suelle – entre deux sortes d’indications séman­tiques com­plé­men­taires, sera exploi­tée à cet effet. D’un côté l’on admet com­mu­né­ment que les énon­cés repré­sentent des états de choses, au plan de leur conte­nu pro­po­si­tion­nel, par le moyen de pré­di­ca­tions des­crip­tives à visées réfé­ren­tielles. Mais d’un autre côté les connec­teurs et autres mar­queurs dis­cur­sifs seront ana­ly­sés comme des expres­sions extra-pré­di­ca­tives consis­tant à mon­trer conven­tion­nel­le­ment diverses pro­prié­tés énon­cia­tives assu­rant l’intégration dis­cur­sive, sous la forme de points de vue sub­jec­tifs orien­tés, de telles pré­di­ca­tions dans leur por­tée. La pre­mière par­tie de cette étude (point 2 ci-des­sous) aura pour objec­tif de pré­sen­ter et de jus­ti­fier le cadre théo­rique dont pro­cède cette oppo­si­tion entre ce qui est dit, ou décrit, au plan du conte­nu des énon­cés d’une part, de l’autre ce qui est mon­tré, ou joué, au plan énonciatif.

La suite de cette étude abor­de­ra sous cet angle l’analyse de Je (n’) dis pas comme connec­teur argu­men­ta­tif poly­pho­nique. Par­mi les dif­fé­rentes sortes de mar­queurs dis­cur­sifs, ce connec­teur sera pré­sen­té comme emblé­ma­tique d’une sous-caté­go­rie de mar­queurs consis­tant à inté­grer, nous dirons démons­tra­ti­ve­ment, l’énonciation d’une pré­di­ca­tion dans le cadre d’une période dis­cur­sive impli­quant dif­fé­rents points de vue argu­men­ta­tifs. Je (n’) dis pas sera ain­si com­pa­ré notam­ment à un autre mar­queur appa­ren­té, (Il) faut dire, dont les effets sont plus élé­men­taires. Ain­si dans les exemples suivants :

Faut dire qu’elle habite à Paris
Elle habite à Paris, je n’dis pas

les connec­teurs (en gras) déter­minent ce qui sera défi­ni comme l’incom­plé­tude dis­cur­sive d’une pré­di­ca­tion (en ita­liques), moda­li­sée démons­tra­ti­ve­ment comme jus­ti­fi­ca­tive ou res­pec­ti­ve­ment conces­sive d’informations asso­ciées à une uni­té de rang dis­cur­sif supérieur.

L’objectif sera de faire appa­raître que ces pro­prié­tés ne sont pas (ou plus) syn­chro­ni­que­ment réduc­tibles à une infé­rence inter­pré­ta­tive ou même à une simple rou­tine dis­cur­sive dont elles pro­cèdent dia­chro­ni­que­ment, fon­dées sur une méta-repré­sen­ta­tion pré­di­ca­tive par le verbe dire, enri­chie de pro­prié­tés déon­tiques par le verbe fal­loir, ou d’une force de réfu­ta­tion par la marque de néga­tion. En témoigne la dif­fi­cul­té de sub­sti­tuer alors au verbe dire un verbe de parole appa­ren­té comme affir­mer, sou­te­nir. De fait, ces for­mules sont deve­nues aujourd’hui des mar­queurs dis­cur­sifs en fran­çais contem­po­rain, dans la mesure où elles ne consistent plus essen­tiel­le­ment à méta-repré­sen­ter un dire que l’on pres­crit ou que l’on réfute (Comme dans On est for­cé de dire que…, Je n’ai jamais sou­te­nu que…), mais sim­ple­ment à moda­li­ser les pro­prié­tés énon­cia­tives d’une pré­di­ca­tion à visée argu­men­ta­tive. Cet article consis­te­ra dès lors à rendre compte, sous un angle dis­tri­bu­tion­nel d’abord (point 3), ensuite sous un angle séman­tique poly­pho­nique (point 4), des pro­prié­tés argu­men­ta­tives que Je (n’) dis pas impose à toute pré­di­ca­tion dans sa portée.

Lire la Suite

L’ironie mise en trope. Du sens des énoncés hyperboliques et ironiques

Paris, Kimé, 1996, 236 pages

 


 

L’IRONIE

MISE EN TROPE

DU SENS DES ÉNONCÉS

HYPERBOLIQUES ET IRONIQUES

 

 

ÉDITIONS KIMÉ
2 IMPASSE DES PEINTRES
PARIS IIème
ISBN 2–84174-039–0
© Éditions Kimé, Paris, 1996

PRéAMBULE

Á l’o­ri­gine eirôn signi­fiait, en grec ancien, rusé, malin, tri­cheur. Péjo­ra­tif chez Démos­thène, il s’ap­plique à un homme qui feint l’i­gno­rance afin d’é­chap­per à ses res­pon­sa­bi­li­tés de citoyen. Dans La Répu­blique de Pla­ton, Thra­sy­maque reproche à Socrate ce qu’il prend pour de la lâche­té, de la ruse : « O Héra­clès ! s’é­cria-t-il, la voi­là bien l’i­ro­nie habi­tuelle de Socrate ! Je le savais et je l’a­vais pré­dit à ces jeunes gens que tu ne vou­drais pas répondre, que tu simu­le­rais l’i­gno­rance, que tu ferais tout plu­tôt que de répondre aux ques­tions que l’on te pose­rait » (Pla­ton, 1966, 85). Dès lors, le terme d’eirô­neia va prendre pour objet, en pre­mier lieu, la tech­nique ora­toire de Socrate dans les dia­logues pla­to­ni­ciens, une tech­nique fon­dée sur l’in­ter­ro­ga­tion faus­se­ment naïve, sur la cré­du­li­té feinte. L’i­ro­nie de Socrate a une double fina­li­té. Dépour­vue de lâche­té mais non de ruse, elle est à la fois sub­ver­sive et péda­go­gique, car elle vise d’une part à démas­quer et à confondre l’er­reur sous-jacente à la pré­ten­due sagesse des sophistes, et d’autre part à mieux ins­truire et per­sua­der c’est-à-dire à réta­blir la véri­té. Dans sa thèse sur l’i­ro­nie « constam­ment rap­por­tée à Socrate », Kier­ke­gaard sou­ligne que cette dua­li­té fait pro­blème. Après avoir obser­vé qu’à tra­vers son iro­nie « Socrate simule l’i­gno­rance et, sous cou­vert de se lais­ser ins­truire, [qu’il] enseigne autrui », Kier­ke­gaard rap­pelle que « Socrate use de la même iro­nie quand il désire confondre les pro­cé­dés des sophistes. Nous nous heur­tons ici à une dif­fi­cul­té, ajoute-t-il ; dans le pre­mier cas Socrate veut ensei­gner, dans le second, il se contente de confondre » (1975, 241). Com­ment expli­quer en effet que l’i­ro­nie per­mette à Socrate à la fois d’ins­truire et de confondre ? Non que ces deux fina­li­tés soient contra­dic­toires, qu’elles s’ex­cluent réci­pro­que­ment, mais com­ment s’ar­ti­culent-elles ? Com­ment tiennent-elles ensemble ? Cette ques­tion se situe, en quelque sorte, à l’ho­ri­zon de nos pré­oc­cu­pa­tions. La concep­tion de l’i­ro­nie ver­bale qui sera défen­due dans cette étude per­met d’y répondre très simplement.

Lire la Suite

Petit plaidoyer en faveur d’une linguistique de la parole inspirée de Saussure

(Une analyse linguistique et neurophysiologique de la phrase comme forme énonciative)

Laurent Per­rin,
laurentperrin.com

Col­loque inter­na­tio­nal sur Saus­sure (Genève-Paris, 2016–2017) :
« Le Cours de Lin­guis­tique Géné­rale 1916–2016 »


 

Avant-pro­pos

Pour avoir une quel­conque uti­li­té opé­ra­tion­nelle, la lin­guis­tique de la parole, telle qu’elle a été envi­sa­gée (et tou­jours repor­tée) par Saus­sure, ne doit se confondre à mon sens, ni avec une lin­guis­tique de la langue en soi, déta­chée de l’exercice énon­cia­tif et dis­cur­sif (sinon pour­quoi Saus­sure aurait-il évo­qué une lin­guis­tique de la parole à côté de celle de la langue ?), ni non plus avec une simple théo­rie du trai­te­ment inter­pré­ta­tif de l’information (sinon pour­quoi aurait-il évo­qué une lin­guis­tique et pas une simple théo­rie de la parole, par le rai­son­ne­ment logique et argu­men­ta­tif, les don­nées psy­cho­so­ciales ?). Si l’on en croit les inten­tions que l’on prête com­mu­né­ment à Saus­sure, sa volon­té aurait été sim­ple­ment d’écarter la parole de la langue, de l’expulser de la lin­guis­tique, et dès lors les dis­cus­sions ouvertes dans cette étude sont sans objet (ou du moins, ne concernent pas Saus­sure). Mais si l’on suit au contraire cer­tains com­men­ta­teurs récents (par exemple Ras­tier 2015), l’objectif de Saus­sure n’était pas de dis­so­cier, mais de codé­ter­mi­ner la langue et la parole en vue de les arti­cu­ler, de déter­mi­ner l’une en fonc­tion de l’autre. L’entreprise de Saus­sure, vue sous cet angle, n’a rien à voir avec celle de Chom­sky, qui a cher­ché à iso­ler la langue comme com­pé­tence lin­guis­tique de la per­for­mance dis­cur­sive.

Sans remettre en ques­tion l’autonomie de ce qui concerne d’un côté la langue comme sys­tème (ce qui serait un comble à pro­pos de Saus­sure), de l’autre le trai­te­ment véri­con­di­tion­nel et infé­ren­tiel (au sens de Grice, de Sper­ber & Wil­son) de l’information inter­pré­tée et com­mu­ni­quée (qui n’intéressait pas le pro­jet saus­su­rien), rien n’interdit de conce­voir ce pro­jet comme une heu­ris­tique sus­cep­tible de mettre en rap­port ce qui dans la langue est sta­tique et sys­té­ma­tique, la « valeur » concep­tuelle des signes au sens saus­su­rien (1972 [1915], 155s), et ce qui par ailleurs est dyna­mique et éva­lua­tif, qui concerne l’emploi de la langue en fonc­tion de la valeur des actes de lan­gage et de ce qu’ils repré­sentent. La notion de valeur n’est pas iden­tique dans les deux cas. Elle se rap­porte à des valeurs objec­ti­vables d’une part, en fonc­tion du sys­tème « col­lec­tif », « social », « uni­que­ment psy­chique » de la langue, de l’autre à des valeurs intrin­sè­que­ment sub­jec­tives impli­quant l’usage des signes par un locu­teur, la mise en œuvre « indi­vi­duelle », « psy­cho-phy­sique » de la langue par la parole (id., 37) ; la lin­guis­tique saus­su­rienne de la parole avait selon moi pour objec­tif de rendre compte de ce qui arti­cule le sens concep­tuel de ce qui est expri­mé aux actes de lan­gage et aux points de vue qui s’y rap­portent. On com­prend dans ces condi­tions ce que Saus­sure pou­vait avoir à l’esprit en par­lant d’une lin­guis­tique « de la parole », à côté de celle « de la langue » : une théo­rie de ce qui consiste à coder, non les formes concep­tuelles dont relève la valeur des signi­fi­ca­tions en langue, mais les actes de parole asso­ciés à la valeur des choses dont on parle et aux­quelles on pense, ceci par des opé­ra­tions consis­tant à ins­tru­men­ta­li­ser la langue dans la parole et la com­mu­ni­ca­tion. Ces deux lin­guis­tiques ne s’opposent pas, mais se com­plètent, s’articulent de façon com­plexe et problématique.

Le pro­jet saus­su­rien, dans cette optique, concerne une lin­guis­tique à deux étages ou à deux visages, qui regarde évi­dem­ment ce qui relève du code lin­guis­tique comme sys­tème, mais sans négli­ger son lien à ce qui est pro­cé­du­ral (ou énon­cia­tif), qui advient aus­si par la langue, mais concerne l’exercice et l’expérience de la parole. La lin­guis­tique de la parole selon Saus­sure se rap­porte alors à des élé­ments à la fois conven­tion­nels et énon­cia­tifs, que Bal­ly appel­le­ra ensuite sty­lis­tiques, avant de par­ler d’énonciation. Une forme avant l’heure de prag­ma­tique inté­grée (à la séman­tique lin­guis­tique) en quelque sorte, moins radi­cale que celle de Ducrot sans doute, car elle ne pré­tend pas absor­ber mais arti­cu­ler la langue aux opé­ra­tions énon­cia­tives et in fine infé­ren­tielles de la pragmatique.

Si l’on s’interroge sur l’opposition langue-parole selon Saus­sure, un bon point de départ consiste à regar­der com­ment Bal­ly s’approprie le champ de ce qu’il conçoit pré­ci­sé­ment comme une lin­guis­tique de la parole, par oppo­si­tion à celle de la langue, qu’il attri­bue à Saus­sure. Que Bal­ly ait trop par­lé de Saus­sure, ou pas assez, qu’il ait peut-être sim­pli­fié ou même occul­té par­fois ses vues, jusque dans cer­tains pas­sages de son édi­tion du Cours de lin­guis­tique géné­rale de Fer­di­nand de Saus­sure, pour se ména­ger le ter­rain lin­guis­tique de la parole, n’est pas exclu ; tout comme Saus­sure a sans doute tiré pro­fit de Bréal, ou comme Ben­ve­niste a par la suite occul­té l’influence de Bal­ly sur cer­taines de ses recherches. Il fait peu de doute en tout cas que les réflexions de Bal­ly sur l’opposition langue-parole ne soient issues de celles de Saus­sure, dont héri­te­ront ensuite notam­ment Ben­ve­niste et fina­le­ment Ducrot. Sans trop nous inquié­ter de ce qui revient à qui dans cette filia­tion des idées, l’objectif ici sera de faire res­sor­tir les avan­tages d’une lin­guis­tique qui pré­voit de faire place, dans la langue même, à l’exercice de la parole. Le cou­rant struc­tu­ra­liste saus­su­rien certes a ren­con­tré de sérieuses dif­fi­cul­tés, que la gram­maire géné­ra­tive et la prag­ma­tique infé­ren­tielle ont per­mis de sur­mon­ter. Mais l’approche saus­su­rienne a aus­si des atouts dont Bal­ly et Ben­ve­niste ont su tirer pro­fit pour ouvrir un che­min qui per­met­tra peut-être un jour de répa­rer cer­tains dom­mages que le grand coup de tor­chon géné­ra­ti­viste a fait subir aux sciences du lan­gage, pour sur­mon­ter cer­tains défauts du struc­tu­ra­lisme. La dis­cus­sion ouverte à cet effet dans le pre­mier volet de cette étude por­te­ra sur ce qui a trait à la phrase comme hori­zon lin­guis­tique de la parole selon Saussure.

Pour répondre à l’approche de la langue comme apti­tude cog­ni­tive, sur laquelle se fonde la gram­maire géné­ra­tive, ce petit plai­doyer en faveur d’une lin­guis­tique de la parole s’intéressera ensuite aux rela­tions du lan­gage et de l’esprit. L’analyse neu­ro­phy­sio­lo­gique pro­po­sée dans le second volet de cette étude aura pour objec­tif d’étayer les obser­va­tions lin­guis­tiques for­mu­lées dans un pre­mier temps, et acces­soi­re­ment de pro­po­ser une alter­na­tive cré­dible à la ten­dance actuelle un peu déses­pé­rante, en sciences du lan­gage comme en sciences cog­ni­tives, à assi­mi­ler le lan­gage et l’esprit humain à un pur dis­po­si­tif de trai­te­ment infé­ren­tiel (ou com­pu­ta­tion­nel) de l’information. Je pré­cise en outre qu’il n’est évi­dem­ment pas ques­tion ici de jeter le bébé avec l’eau du bain, que les dis­cus­sions qui suivent ne visent pas à oppo­ser mais à conci­lier les avan­tages res­pec­tifs des approches anta­go­nistes dont il vient d’être question.

Lire la Suite

La subjectivité de l’esprit dans le langage

Dans A. Raba­tel, J.-M. Leblanc et M. Temar (dir.)
Sciences du lan­gage et neurosciences
Paris, Lam­bert Lucas, 2016, 189–209

 


 

Laurent Per­rin
Uni­ver­si­té de Paris-Est Cré­teil, CEDITEC

 

Résu­mé

A l’interface du lan­gage et de l’esprit, la sub­jec­ti­vi­té déter­mine la valeur des infor­ma­tions asso­ciées à ce que l’esprit conçoit et que repré­sente le lan­gage. On a cou­tume de négli­ger cette part sub­jec­tive, que le lan­gage et l’esprit humains ont héri­té du cri ani­mal dont ils sont issus, de la mini­mi­ser ou tout bon­ne­ment de l’ignorer. Je défends au contraire l’idée que ce qui a trait à la sub­jec­ti­vi­té de l’esprit se retrouve aujourd’hui dans le lan­gage, sous la forme de ce qui concerne les pro­prié­tés énon­cia­tives du sens des énon­cés. Le pre­mier volet de cette pré­sen­ta­tion porte sur les fon­de­ments neu­ro­naux de la sub­jec­ti­vi­té, enra­ci­née jusque dans les esprits d’avant la conscience. Le second volet défi­nit som­mai­re­ment la place de la sub­jec­ti­vi­té dans l’esprit humain conscient, à l’arrière-plan de ce qu’il cherche à appré­hen­der. Quant au troi­sième volet, il a pour objec­tif de cir­cons­crire ce qui concerne les traces de la sub­jec­ti­vi­té dans le lan­gage, les effets inter­pré­ta­tifs asso­ciés aux pro­prié­tés énon­cia­tives qui s’y rap­portent, au cœur même du sens lin­guis­tique et de la gram­maire des langues naturelles.

Lire la Suite

Des effets d’intensification associés aux formules : « Je vous dis pas », « C’est dire (si…)», « Y’a pas à dire », « Que dis-je », « Tu peux le dire »

Dans J­.C. Ans­combre & L. Rouanne (éds.)
His­toires de dire
Berne, Peter Lang, 2016, 249–269

 


 

Laurent Per­rin
Uni­ver­si­té de Paris-Est Créteil
Cédi­tec, EA 3119

 

1. Intro­duc­tion

La paren­té des for­mules réunies dans le titre de cette étude tient à leurs effets d’intensification. Elles ont pour voca­tion com­mune de déter­mi­ner le haut degré d’intensité de ce que repré­sente le conte­nu d’un énon­cé dont elles moda­lisent l’énonciation. Ces for­mules n’ont de sens que si ce conte­nu repré­sente un état de chose gra­duel, dont elles déter­minent le haut degré. Ain­si les énon­cés comme : C’est grand (ou petit), je vous dis pas ; C’est dire si c’est beau ; Il n’y a pas à dire (ou Tu peux le dire), ça fait plai­sir… sont géné­ra­le­ment com­pa­tibles avec un adverbe du haut degré d’intensité comme très, vrai­ment, énor­mé­ment, mais pas avec un adverbe atté­nua­teur comme assez, plu­tôt, un peu. Sauf effet rhé­to­rique de litote iro­nique sur l’atténuateur, les construc­tions comme : Ça fait *assez plai­sir, je vous dis pas ; C’est dire si il est *plu­tôt grand ; Il n’y a pas à dire (ou Tu peux le dire), il a *un peu bu… ne sont pas rece­vables. Que dis-je impose quant à lui un effet de reprise auto­cor­rec­tive de haut degré (Que dis-je un peu ? Il a beau­coup bu ; Que dis-je il est grand ? Il est immense). Les construc­tions inverses (Que dis-je il est immense ? Il est *grand) ne seraient pas recevables.

Comme mar­queurs dis­cur­sifs (ou énon­cia­tifs) du haut degré, les for­mules en ques­tion inter­agissent, mais pour autant ne se confondent pas avec les expres­sions d’intensité concep­tuelle en quoi consistent les adverbes comme très, vrai­ment, beau­coup, énor­mé­ment, ou avec toute autre expres­sion lexi­cale notam­ment adjec­ti­vale comme immense, énorme, minus­cule, consa­crées à la déter­mi­na­tion quan­ti­ta­tive d’un haut degré d’intensité. Les for­mules qui vont nous inté­res­ser ne sont pas des expres­sions concep­tuelles consis­tant à décrire le haut degré de telle ou telle pro­prié­té d’un état de choses repré­sen­té au plan du conte­nu pro­po­si­tion­nel de l’énoncé. Ce sont des for­mules inten­sives que nous dirons externes à l’expression pro­po­si­tion­nelle (au sens de Per­rin 2015), éma­nant d’une atti­tude que mani­feste le locu­teur à l’égard de son énon­cia­tion, de l’évaluation quan­ti­ta­tive qui s’y rap­porte en l’occurrence, plu­tôt que de ce qui est sim­ple­ment décrit au plan du conte­nu. L’objectif de cette étude sera d’analyser ce qui carac­té­rise les effets d’intensification externe à l’expression pro­po­si­tion­nelle atta­chés à ces formules.

Lire la Suite

L’intensification dans l’hyperbole et la litote

Dans A. Horak (dir.)
L’hyperbole rhé­to­rique
Tra­vaux neu­châ­te­lois de lin­guis­tique, 2014–2015, 43–61

 


 

Laurent PERRIN
Uni­ver­si­té de Paris-Est Cré­teil, Céditec

Diese Stu­die befasst sich mit dem Zusam­men­hang zwi­schen den quan­ti­ta­ti­ven Eigen­schaf­ten der Bedeu­tungs­in­ten­sität und den enun­zia­ti­ven Merk­ma­len der lin­guis­ti­schen und rhe­to­ri­schen Inten­si­vie­rung. Der erste Teil der vor­lie­gen­den Arbeit ana­ly­siert die spra­chli­chen Aspekte der kon­zep­tuel­len Inten­sität und der enun­zia­ti­ven Inten­si­vie­rung. Im zwei­ten Teil wer­den die inter­nen Merk­male die­ser Inten­si­vie­rung sowie die exter­nen Eigen­schaf­ten des pro­po­si­tio­na­len Aus­drucks unter­sucht. Im drit­ten und vier­ten Teil wird die rhe­to­rische Inten­si­vie­rung dur­chleuch­tet, welche die Hyper­bel und die Litotes cha­rak­te­ri­siert. Der fünfte und letzte Teil bes­chreibt die Ver­bin­dun­gen zwi­schen der rhe­to­ri­schen Inten­si­vie­rung, dem Sar­kas­mus und der Ironie.

On a tous en mémoire la célèbre « tirade du nez » d’Ed­mond Ros­tand, où Cyra­no répond par une leçon de rhé­to­rique (« Ah ! non. C’est un peu court jeune homme…!») à la timide ten­ta­tive d’in­ter­ven­tion à effets d’in­ten­si­fi­ca­tion du vicomte de Val­vert (« Vous… vous avez un nez… heu… un nez… très grand »), que Cyra­no ne juge pas à la hau­teur de son appen­dice nasal. For­mel­le­ment indis­so­ciable des pro­cé­dés séman­ti­co-prag­ma­tiques de l’in­ten­si­té et de l’in­ten­si­fi­ca­tion dans le lan­gage, la longue suc­ces­sion d’hy­per­boles en quoi consiste la fameuse tirade res­ti­tue en revanche à sa juste mesure la dimen­sion du nez de Cyrano.

Lire la Suite

Le figement en débat. Figement linguistique et défigement interprétatif

Laurent Per­rin (dir.)
Numé­ros 159–160 de la revue Pra­tiques 2013

 

Liste alpha­bé­tique des auteurs :
D. Col­tier & C. Féron – B. Com­bettes – Ch. Cusi­ma­no – N. Ger­ber & O. Luste-Chaâ – M. Kau­fer – Y. Keromnes – A. Krieg-Planque – S. Law­son – H. Lüger – C. Mas­se­ron – S. Mej­ri – S. Pal­ma – L. Per­rin – P. Per­oz – A. Petit­jean – M. Pran­di – G. Soare & J. Moeschler

 


 

Pré­sen­ta­tion

Le fige­ment en débat : fige­ment lin­guis­tique et défi­ge­ment discursif

Long­temps relé­gué à la marge de la lin­guis­tique et des sciences du lan­gage, comme un épi­phé­no­mène assi­mi­lé à un ensemble de curio­si­tés appré­hen­dées comme autant d’exceptions aux règles de la langue et du bon usage, le fige­ment lin­guis­tique des expres­sions s’installe aujourd’hui au cœur des modèles lin­guis­tiques. Sous un angle non seule­ment dia­chro­nique, mais syn­chro­nique, à l’inter-face de ce qui arti­cule la gram­maire et le lexique, la mor­pho­syn­taxe, la séman­tique et la prag­ma­tique, cette intru­sion désor­ga­nise au pas­sage l’application des prin­cipes de construc­tion par emboî­te­ments sur les­quels s’opère le par­tage des champs héri­tés de la tra­di­tion lin­guis­tique et gram­ma­ti­cale. Quant au défige-ment dis­cur­sif et inter­pré­ta­tif qui s’y rap­porte, en atten­dant de trou­ver la place qui lui revient, cor­ré­la­tive des contraintes asso­ciées notam­ment à la nature gra­duelle et plus géné­ra­le­ment à l’ensemble des pro­prié­tés du fige­ment lin­guis­tique, il reste encore trop sou­vent consi­dé­ré comme le fait d’un jeu rhé­to­rique super­fi­ciel, tout bon­ne­ment igno­ré par beau­coup de lin­guistes, mais qui inté­resse de long­temps ceux qui abordent le sens par le dis­cours et par les textes.

Lire la Suite

L’énonciation des proverbes

Dans J.-C. Ans­combre, B. Dar­bord et A. Oddo (dir.)
La parole exem­plaire. Intro­duc­tion à une étude lin­guis­tique des proverbes
Armand Colin, 2012, 53–66

 


L’ENONCIATION DES PROVERBES

Laurent Per­rin
Uni­ver­si­té de Lor­raine, CREM

 

Les pro­verbes sont sou­vent appré­hen­dés comme un patri­moine ver­bal issu d’une tra­di­tion ances­trale, atta­chée tant à l’oralité qu’aux ori­gines du lan­gage et à la culture popu­laire. La concep­tion énon­cia­tive des pro­verbes qui sera pro­po­sée dans cette étude per­met de rendre compte de cette intui­tion comme d’une pro­prié­té de l’énonciation des phrases pro­ver­biales, telle qu’elle se trouve ins­truite par le sens même des phrases en ques­tion. Non seule­ment les pro­verbes peuvent être le fruit d’une habi­tude effec­tive, d’une rou­tine par­fois ancienne, consis­tant à énon­cer une phrase en cer­taines cir­cons­tances, mais sur­tout ce sont les phrases mêmes en quoi consistent les pro­verbes qui qua­li­fient leurs énon­cia­tions comme le fruit d’une telle habi­tude. Cette der­nière n’est donc pas sim­ple­ment (ou même pas for­cé­ment) un fait his­to­rique effec­tif, mais une vir­tua­li­té séman­tique que portent les phrases pro­ver­biales, vir­tua­li­té qui s’écarte par­fois, ou du moins met en scène et donc recons­ti­tue fic­ti­ve­ment le fait his­to­rique. Les phrases mêmes de la langue en quoi consistent les pro­verbes qua­li­fient leurs énon­cia­tions vir­tuelles (dont l’é­non­cia­tion effec­tive n’est qu’une occur­rence avé­rée) comme le fait d’une habi­tude col­lec­tive. Par quels moyens séman­ti­co-prag­ma­tiques ? C’est ce à quoi nous allons ten­ter de répondre dans cette étude.[1]Qui reprend une pré­cé­dente approche des pro­verbes pré­sen­tée dans Per­rin (2000), et revi­si­tée récem­ment dans Per­rin (à paraître), dont cette étude revoit et pré­cise les grandes lignes.

Lire la Suite

Notes

Notes
1 Qui reprend une pré­cé­dente approche des pro­verbes pré­sen­tée dans Per­rin (2000), et revi­si­tée récem­ment dans Per­rin (à paraître), dont cette étude revoit et pré­cise les grandes lignes.

L’ethos et le temps de l’oralité à l’écrit

Pra­tiques n° 153–154, 2012, 231–243

 


 

Laurent Per­rin
Uni­ver­si­té de Lor­raine, CREM

 

L’ethos a trait aux émo­tions, à la sub­jec­ti­vi­té du sujet de l’énonciation. Or de qui parle-t-on lorsqu’on parle du sujet de l’énonciation en séman­tique et en ana­lyse du dis­cours ? Et de quoi lorsqu’il est ques­tion de sub­jec­ti­vi­té et d’ethos ? [1]Sur la ques­tion de l’ethos, on pour­ra se réfé­rer à l’ouvrage col­lec­tif diri­gé par Amos­sy (1999), ain­si qu’à Main­gue­neau (1998, 1999). Voir aus­si sur ce sujet Raba­tel (2008).

Nous ferons la dis­tinc­tion, dans cette étude, entre trois sortes d’informations concer­nant l’ethos et la sub­jec­ti­vi­té dans l’interprétation des énon­cés. Après avoir oppo­sé l’ethos dis­cur­sif du locu­teur comme tel à celui, pré­dis­cur­sif, du sujet par­lant, et ensuite à celui du locu­teur comme être du monde repré­sen­té (ceci en fonc­tion des pro­prié­tés lin­guis­tiques qui s’y rap­portent), nous nous inté­res­se­rons à l’ethos dis­cur­sif que nous appel­le­rons effec­tif (ou ethos du locu­teur effec­tif) fon­dé sur une iden­ti­fi­ca­tion du locu­teur comme tel au sujet par­lant. L’objectif sera fina­le­ment d’analyser diverses formes de fic­tions énon­cia­tives asso­ciées à l’ethos dis­cur­sif effec­tif dans la presse écrite, lorsque le dis­cours se fonde sur une scé­no­gra­phie qui ne s’ajuste pas lit­té­ra­le­ment à l’interaction d’un jour­na­liste à son lec­teur. L’ethos de l’oralité à l’écrit sera à l’horizon de nos obser­va­tions, qui consis­te­rons fina­le­ment à cen­trer l’ethos dis­cur­sif effec­tif de l’écrit sur le temps fic­tif de l’oralité. [2]Une ver­sion anté­rieure de cette étude est parue en ligne dans Per­rin (2009), dont cet article pré­cise et refor­mule cer­taines obser­va­tions.

Lire la Suite

Notes

Notes
1 Sur la ques­tion de l’ethos, on pour­ra se réfé­rer à l’ouvrage col­lec­tif diri­gé par Amos­sy (1999), ain­si qu’à Main­gue­neau (1998, 1999). Voir aus­si sur ce sujet Raba­tel (2008).
2 Une ver­sion anté­rieure de cette étude est parue en ligne dans Per­rin (2009), dont cet article pré­cise et refor­mule cer­taines observations.

La voix et le point de vue comme formes polyphoniques externes. Le cas de la négation 

Langue Fran­çaise n° 164, décembre 2009, 61–79

 


 

Laurent Per­rin
(Uni­ver­si­té Paul Ver­laine – Metz, CELTED, EA 3474)

 

L’objectif de cette étude sera d’examiner les faits poly­pho­niques sous l’angle de deux oppo­si­tions trans­ver­sales. La pre­mière, entre voix et point de vue, dis­tingue deux niveaux de sub­jec­ti­vi­té séman­tique, consti­tu­tifs de la struc­ture poly­pho­nique des phrases de la langue, asso­ciés res­pec­ti­ve­ment à la prise en charge des formes et des conte­nus à l’intérieur du sens des énon­cés. La seconde oppo­si­tion, entre poly­pho­nie interne et poly­pho­nie externe, tient au fait que la struc­ture poly­pho­nique des phrases peut se can­ton­ner à l’articulation de voix ou de points de vue impli­qués dans leur énon­cia­tion effec­tive, assu­mée par un seul et même locu­teur, mais que cette orga­ni­sa­tion peut aus­si être enri­chie dans l’interprétation des énon­cés, de manière à inté­grer maté­riel­le­ment en son sein, par cita­tion ou refor­mu­la­tion inter­po­sée, cer­taines voix ou points de vue aux­quels l’énoncé fait écho.

Ces dis­tinc­tions per­mettent de rendre compte de ce qui oppose, toutes choses égales par ailleurs, le dis­cours rap­por­té au style direct et au style indi­rect, les formes de moda­li­sa­tions auto­ny­miques aux moda­li­sa­tions pro­po­si­tion­nelles, le sens notam­ment des pro­verbes à celui des phrases géné­riques expri­mant un sté­réo­type (Per­rin à paraître 1), les expres­sions figées aux syn­tagmes ordi­naires (Per­rin à paraître 2), les déno­mi­na­tions dites délo­cu­tives (Ben­ve­niste 1966b, Ans­combre 1985) aux simples déno­mi­na­tions. En ce qui concerne les marques gram­ma­ti­cales ou dis­cur­sives, une telle oppo­si­tion per­met en outre de qua­li­fier ce qui carac­té­rise la visée méta­lin­guis­tique asso­ciée à l’emploi de cer­tains connec­teurs – comme celle du mais tra­duit par son­dern en alle­mand, par oppo­si­tion au mais argu­men­ta­tif tra­duit par aber (Bir­ke­lund, ce volume) – ou encore ce qui oppose la néga­tion dite méta­lin­guis­tique aux autres formes de néga­tions (Lar­ri­vée et Per­rin à paraître). La troi­sième par­tie de cette étude ten­te­ra d’appliquer ces dis­tinc­tions à ce qui oppose les usages dits des­crip­tifs, polé­miques et méta­lin­guis­tiques de la négation.

Lire la Suite

Polyphonie et autres formes d’hétérogénéité énonciative : Bakhtine, Bally, Ducrot, etc.

Pra­tiques n° 123–124, 2004, 7–26

 


 

Laurent Per­rin
Uni­ver­si­té de Metz

 

Mots clés : Lin­guis­tique, ana­lyse du dis­cours, poly­pho­nie, dia­lo­gisme, énon­cia­tion, séquence écho, refor­mu­la­tion, point de vue, sujet par­lant, locu­teur, énonciateur.

 

Cette étude aborde dif­fé­rentes approches de la dimen­sion dia­lo­gique ou poly­pho­nique du lan­gage. En par­tant des écrits du lin­guiste russe Mikhaïl Bakh­tine, qui en a fait des concepts opé­ra­toires en sciences du lan­gage, nous ten­te­rons d’évaluer ce qu’il advient aujourd’hui de ces notions dans le cadre de dif­fé­rentes approches énon­cia­tives du sens.

Les approches en ques­tion s’inscrivent dans une tra­di­tion dont l’un des pion­niers, à qui l’histoire n’a sans doute pas encore com­plè­te­ment ren­du jus­tice, est incon­tes­ta­ble­ment Charles Bal­ly. Oswald Ducrot recon­naît notam­ment avoir pui­sé chez Bal­ly cer­taines obser­va­tions fon­da­trices de sa concep­tion selon laquelle les phrases de la langue qua­li­fient leur propre énon­cia­tion comme éma­nant de dif­fé­rentes voix, de dif­fé­rents points de vue.

Après celles de Bakh­tine et de Bal­ly, cer­taines pro­po­si­tions de Ducrot seront prises en compte et confron­tées à d’autres approches. Il appa­raî­tra que cette notion de poly­pho­nie est encore loin d’être sta­bi­li­sée, mais qu’elle annonce peut-être un vrai renou­vel­le­ment de nos concep­tions du sens. À condi­tion de s’entendre et de par­ve­nir à har­mo­ni­ser les forces en pré­sence, les approches et ten­ta­tives de des­crip­tions diverses, por­tant sur des faits poly­pho­niques plus ou moins appa­ren­tés. Cette étude vou­drait y contribuer.

Lire la Suite