Pra­tiques n° 153–154, 2012, 231–243

 


 

Laurent Per­rin
Uni­ver­si­té de Lor­raine, CREM

 

L’ethos a trait aux émo­tions, à la sub­jec­ti­vi­té du sujet de l’énonciation. Or de qui parle-t-on lorsqu’on parle du sujet de l’énonciation en séman­tique et en ana­lyse du dis­cours ? Et de quoi lorsqu’il est ques­tion de sub­jec­ti­vi­té et d’ethos ? [1]Sur la ques­tion de l’ethos, on pour­ra se réfé­rer à l’ouvrage col­lec­tif diri­gé par Amos­sy (1999), ain­si qu’à Main­gue­neau (1998, 1999). Voir aus­si sur ce sujet Raba­tel (2008).

Nous ferons la dis­tinc­tion, dans cette étude, entre trois sortes d’informations concer­nant l’ethos et la sub­jec­ti­vi­té dans l’interprétation des énon­cés. Après avoir oppo­sé l’ethos dis­cur­sif du locu­teur comme tel à celui, pré­dis­cur­sif, du sujet par­lant, et ensuite à celui du locu­teur comme être du monde repré­sen­té (ceci en fonc­tion des pro­prié­tés lin­guis­tiques qui s’y rap­portent), nous nous inté­res­se­rons à l’ethos dis­cur­sif que nous appel­le­rons effec­tif (ou ethos du locu­teur effec­tif) fon­dé sur une iden­ti­fi­ca­tion du locu­teur comme tel au sujet par­lant. L’objectif sera fina­le­ment d’analyser diverses formes de fic­tions énon­cia­tives asso­ciées à l’ethos dis­cur­sif effec­tif dans la presse écrite, lorsque le dis­cours se fonde sur une scé­no­gra­phie qui ne s’ajuste pas lit­té­ra­le­ment à l’interaction d’un jour­na­liste à son lec­teur. L’ethos de l’oralité à l’écrit sera à l’horizon de nos obser­va­tions, qui consis­te­rons fina­le­ment à cen­trer l’ethos dis­cur­sif effec­tif de l’écrit sur le temps fic­tif de l’oralité. [2]Une ver­sion anté­rieure de cette étude est parue en ligne dans Per­rin (2009), dont cet article pré­cise et refor­mule cer­taines obser­va­tions.

1. L’ethos pré­dis­cur­sif du sujet par­lant et l’ethos dis­cur­sif du locuteur

Une pre­mière sorte d’information rela­tive à l’ethos émane de ce qui a trait à l’être social ou psy­cho­lo­gique que l’on désigne géné­ra­le­ment comme l’auteur ou le sujet par­lant, l’être empi­rique asso­cié aux cir­cons­tances d’une situa­tion, dans le cadre d’une inter­ac­tion en face à face par exemple, ou entre un jour­na­liste et son lec­teur. Il peut s’agir d’un être indi­vi­duel en chair et en os, ou d’une col­lec­ti­vi­té plus ou moins dés­in­car­née, d’une ins­ti­tu­tion, par exemple. Pour inter­pré­ter un énon­cé comme Défense de fumer, on peut se deman­der qui est l’auteur de l’interdiction ; cela peut être Pierre ou Paul si cela est écrit sur la porte de leur chambre ou de leur mai­son, mais il peut s’agir plus abs­trai­te­ment d’une direc­tion sco­laire si c’est sur la porte d’une école, ou encore de la loi d’un gou­ver­ne­ment si l’interdiction cor­res­pond à un décret offi­ciel. Selon les cir­cons­tances, l’auteur de l’interdiction peut aus­si res­ter plus ou moins indé­ter­mi­né ; on peut ne pas savoir si Pierre ou Paul parlent au nom de la loi, en tant que fonc­tion­naires ou citoyens, ou en tant que déten­teurs d’une auto­ri­té plus per­son­nelle. Et de même dans la presse écrite, le sujet par­lant peut être un indi­vi­du (iden­ti­fié à un jour­na­liste ou à un repor­ter, à un homme poli­tique, à un expert ou témoin de l’information), ou encore plus abs­trai­te­ment le sujet par­lant peut être iden­ti­fié à une rédac­tion, à un par­ti poli­tique, à un annon­ceur publi­ci­taire. L’ensemble des infor­ma­tions éma­nant de la per­sonne phy­sique ou psy­cho­lo­gique, ou encore de l’être social ou moral, spi­ri­tuel ou autre, concerne le sujet par­lant. Ce der­nier cor­res­pond à ce que l’analyse du dis­cours asso­cie à l’ethos préa­lable ou pré­dis­cur­sif (Cha­rau­deau & Main­gue­neau 2002 : 44), c’est-à-dire à ce que l’on sait par avance, et aus­si à ce que l’on per­çoit de l’orateur mal­gré lui, indé­pen­dam­ment de ce qui tient au dis­cours et aux dif­fé­rents rôles énon­cia­tifs qui s’y rap­portent. L’ethos pré­dis­cur­sif du sujet par­lant n’est qu’indirectement concer­né par les rôles énon­cia­tifs asso­ciés au lan­gage, au sens des énon­cés et des discours.

C’est pour­quoi nous sépa­rons scru­pu­leu­se­ment dans l’interprétation ce qui a trait à l’ethos pré­dis­cur­sif d’un sujet par­lant asso­cié à une situa­tion, à une scène inter­ac­tion­nelle d’une part, du vaste ensemble d’informations propres à l’ethos que nous appel­le­rons dis­cur­sif d’autre part, dévo­lu au locu­teur et à la « scé­no­gra­phie » qui s’y rap­porte (au sens de Main­gue­neau 1998, 1999). L’ethos dis­cur­sif concerne les rôles énon­cia­tifs dévo­lus au locu­teur en tant que res­pon­sable des actes de lan­gage réa­li­sés (locu­toires, illo­cu­toires, argu­men­ta­tifs, ou autres), le cas échéant aux dif­fé­rents énon­cia­teurs res­pon­sables des points de vue qui s’y trouvent impli­qués (Ducrot, 1984). Qu’il s’agisse du com­por­te­ment locu­toire, de la ges­ti­cu­la­tion locu­toire (dont parle Ber­ren­don­ner 1981), ou de ce qui a trait à l’illocutoire selon Aus­tin (1961), de l’assertion, véri­dic­tion, aux diverses formes d’exclamation, ques­tion, requête, etc., ou même au plan de l’argumentation, de ce qui a trait à la prise en charge des points de vue, tous ces élé­ments, sur les­quels repose l’ethos dis­cur­sif sous toutes ses formes, n’impliquent pas for­cé­ment, ni en tout cas direc­te­ment, de sujet par­lant empirique.

Nous n’allons pas entrer ici en matière sur ce qui dis­tingue les diverses approches énon­cia­tives et poly­pho­niques (ou dia­lo­giques) du sens.[3]Nous ren­voyons sur ce point aux diverses publi­ca­tions col­lec­tives sur le sujet (Bres & al. 2005, Per­rin 2006, Colas Blaise & al. 2010, ain­si qu’aux numé­ros 163 et 164 de la revue Langue fran­çaise, entre autres). Indé­pen­dam­ment de ce qui oppose éven­tuel­le­ment ces approches, il suf­fit de se mettre d’accord sur la néces­si­té de bien faire la dif­fé­rence entre le sujet psy­cho­so­cial, l’être empi­rique cor­res­pon­dant au sujet par­lant, et les dif­fé­rents rôles énon­cia­tifs consis­tant à endos­ser la prise en charge des actes de lan­gage et des points de vue (De Bra­ban­ter, Den­dale et Col­tier 2009). Un énon­cé comme « Défense de fumer », quel que soit le sujet par­lant sus­cep­tible de le pro­duire, véhi­cule une repré­sen­ta­tion de celui qui prend en charge l’énonciation de la phrase impé­ra­tive sur laquelle repose l’interdiction. Que cela soit le fait de Pierre ou de Paul ou d’une auto­ri­té plus abs­traite, l’énoncé en ques­tion ren­voie à l’ethos dis­cur­sif d’un locu­teur, à une scé­no­gra­phie de l’ordre et de l’autorité, qui ne varie pas d’un cas à l’autre en fonc­tion de la situa­tion, de la scène inter­ac­tion­nelle impli­quant un sujet par­lant et ses inter­lo­cu­teurs ou lecteurs.

Cet ethos dis­cur­sif, la scé­no­gra­phie qui s’y rap­porte, sont évi­dem­ment sus­cep­tibles d’être jugés plus ou moins adé­quats, ou légi­times, rela­ti­ve­ment à l’ethos pré­dis­cur­sif de tel ou tel sujet par­lant. Une réponse du genre « Vous êtes qui pour me par­ler de la sorte ? », par exemple, ou « Vous n’êtes pas auto­ri­sé à me don­ner des ordres », consis­te­rait pré­ci­sé­ment à refu­ser d’opérer une telle assi­mi­la­tion de l’ethos du locu­teur à celui du sujet par­lant. Le simple fait de pou­voir éva­luer le degré d’adéquation de l’ethos dis­cur­sif d’un énon­cé à l’ethos pré­dis­cur­sif d’une situa­tion, le fait de devoir mesu­rer le degré de confor­mi­té du rôle de locu­teur de tel ou tel énon­cé envers l’identité de tel ou tel sujet par­lant, témoigne de la néces­si­té d’une telle dis­tinc­tion. Et d’un autre côté le lan­gage consiste aus­si à jouer, et à se jouer, de ces rôles énon­cia­tifs au plan rhé­to­rique. Dans le dis­cours pol­ti­co-média­tique qui va nous inté­res­ser, le jeu repose par­fois sur une iden­ti­fi­ca­tion fic­tive du locu­teur au sujet parlant.

 

2. L’ethos dis­cur­sif du locu­teur comme tel et l’ethos réfé­ren­tiel de l’être du monde

Cette ins­tance énon­cia­tive que nous appe­lons le locu­teur, l’ethos dis­cur­sif qui s’y rap­porte, outre le fait qu’ils ne doivent pas se confondre, comme on vient de le voir, avec le sujet par­lant et l’ethos pré­dis­cur­sif, ne doivent pas non plus se confondre avec ce qui peut être dit ou décrit, le cas échéant, du locu­teur comme être du monde, ou de tout autre per­son­nage dont il serait ques­tion. C’est la seconde dis­tinc­tion qui va nous inté­res­ser dans cette étude.

Si l’on dit, par exemple, « Je ne sup­porte pas la fumée », l’information que le locu­teur donne de lui-même au plan du conte­nu (à savoir, qu’il ne sup­porte pas la fumée), de même que les infor­ma­tions sus­cep­tibles d’en être infé­rées (par exemple qu’il s’agit d’un être sen­sible, ou asth­ma­tique), ne doivent pas se confondre avec les infor­ma­tions qu’il donne de soi-même en tant que locu­teur, par le simple fait de pro­duire un tel énon­cé (qui pour­raient le faire pas­ser pour into­lé­rant, intran­si­geant à l’encontre des fumeurs). Sans entrer ici en matière sur l’opportunité de dis­tin­guer par ailleurs diverses espèces de locu­teurs à dif­fé­rents niveaux (dans le cadre d’un dis­cours rap­por­té, par exemple), ou sur celle de dis­tin­guer entre la figure du locu­teur et celle d’éventuels énon­cia­teurs dis­tincts (selon diverses formes de poly­pho­nies), nous serons conduits néan­moins à oppo­ser l’ethos dis­cur­sif du locu­teur comme tel (au sens de Ducrot 1984), non seule­ment à l’ethos pré­dis­cur­sif d’un sujet par­lant, mais à une forme d’ethos que nous appel­le­rons pro­po­si­tion­nel, ou réfé­ren­tiel, qui se rap­porte à ce qui est dit du locu­teur comme être du monde ou de tout autre per­son­nage auquel l’énoncé réfère. Pas davan­tage qu’il ne concerne une sub­jec­ti­vi­té for­cé­ment iden­ti­fiée à un sujet par­lant empi­rique, l’ethos dis­cur­sif ne concerne en rien ce que l’on peut repré­sen­ter dans le lan­gage (et se repré­sen­ter men­ta­le­ment) au plan pro­po­si­tion­nel, si l’on parle de soi (ou pense à soi) comme à tout être du monde auquel on réfère.

Dans le cas d’un énon­cé comme « Je ne sup­porte pas la fumée », ou « Paul ne sup­porte pas la fumée », l’énoncé réfère à un être du monde ; ces énon­cés repré­sentent, en ver­tu de leur conte­nu pro­po­si­tion­nel, que le locu­teur ou Paul, en tant que per­son­nages ou êtres du monde, ne sup­portent pas la fumée. Le sens lin­guis­tique de l’énoncé ne concerne pas prio­ri­tai­re­ment (ou du moins exclu­si­ve­ment) l’ethos dis­cur­sif du locu­teur comme tel dans ces exemples. C’est alors au plan prag­ma­tique que l’énoncé atteste, ou montre, que le locu­teur dit qu’il ne sup­porte pas la fumée (ou que Paul ne la sup­porte pas). Ces deux niveaux de sens, res­pec­ti­ve­ment lin­guis­tique et prag­ma­tique, semblent pou­voir être vus comme clai­re­ment dis­tincts dans ce cas (du moins si l’on met à part le rôle déic­tique du pro­nom je). Le chan­ge­ment de niveau déter­mine deux sortes d’ethos dif­fé­rents, res­pec­ti­ve­ment réfé­ren­tiel ou pro­po­si­tion­nel d’une part, dis­cur­sif ou énon­cia­tif de l’autre.

Mais par­fois le locu­teur en tant que tel, l’ethos dis­cur­sif, sont ins­truits séman­ti­que­ment par le sens lin­guis­tique de l’expression. Dans le cas d’un énon­cé comme « Pouah, je trouve ça dégou­tant », par exemple, l’interjection, le pro­nom je, ne ren­voient plus à l’être du monde ; ces expres­sions ren­voient au locu­teur comme tel. L’interjection, la fonc­tion modale du verbe trou­ver à la pre­mière per­sonne, imposent le locu­teur comme tel. Et de même en ce qui concerne la valeur axio­lo­gique d’un adjec­tif comme dégou­tant. Il fait peu de doute qu’un très vaste ensemble d’expressions, dont relèvent notam­ment les inter­jec­tions et excla­ma­tions, les adverbes d’énonciation, plus lar­ge­ment l’ensemble des expres­sions énon­cia­tives, concernent le locu­teur en tant que tel et l’ethos dis­cur­sif. Consi­dé­rons à ce sujet un pre­mier exemple authentique :

(1) En tant qu’Israélien, fils de juifs qui se sont vu dénier, au ving­tième siècle, le droit de citoyen­ne­té au motif de leur ori­gine, com­ment ne pas s’effrayer de la pers­pec­tive d’un état juif « puri­fié » ! Il y a urgence à mettre fin à l’occupation et au cor­tège d’actes meur­triers qu’elle nour­rit, mais aus­si à vac­ci­ner l’Etat d’Israël contre le virus raciste qui menace de le conta­mi­ner ! [Shlo­mo Sand, Le Monde, 14 avril 2006]

L’ethos dis­cur­sif ne tient ni à l’ethos pré­dis­cur­sif asso­cié à l’identité de Shlo­mo Sand en tant que sujet par­lant (intel­lec­tuel, vivant à Tel-Aviv, invi­té à s’exprimer dans le jour­nal Le Monde), ni à l’ethos réfé­ren­tiel asso­cié à ce qui est dit de lui (qui concerne l’être du monde pré­sen­té comme juif israé­lien, fils de juifs vic­times de ségré­ga­tions). Il tient à l’ethos dis­cur­sif (plus inso­lent que vic­ti­maire) de celui qui dit qu’il l’est (juif et Israé­lien), de celui qui ensuite s’exclame : « Com­ment ne pas s’effrayer… », et aus­si qui fait usage d’expressions axio­lo­giques déva­lo­ri­santes à l’encontre d’Israel, comme « Etat juif puri­fié », « occu­pa­tion », « actes meur­triers », « virus raciste ». L’ethos réfé­ren­tiel domine d’abord au plan séman­tique, lorsque l’énoncé réfère au locu­teur comme être du monde (« Israé­lien, fils de juifs… »). Le locu­teur comme tel alors est pure­ment prag­ma­tique ; il tient au fait de se dire israé­lien, qui n’est qu’indirectement concer­né par le sens lin­guis­tique et le conte­nu de l’énoncé (qui concerne le fait d’être israé­lien). Mais l’exclamation qui suit modi­fie le rap­port ; la phrase excla­ma­tive, tout comme cer­tains termes axio­lo­giques dont elle se com­pose (dont témoignent en outre à l’écrit le point d’exclamation, les guille­mets sur l’adjectif « puri­fié »), se rap­portent alors à l’ethos dis­cur­sif. Le locu­teur comme tel, l’ethos dis­cur­sif, s’inscrivent dès lors dans la struc­ture séman­tique de la phrase. Les trois formes d’ethos inter­agissent dans cet exemple, même si l’ethos dis­cur­sif prend fina­le­ment le des­sus, comme c’est sou­vent le cas. L’être du monde, tout comme le sujet par­lant, font office de cou­ver­ture, en quelque sorte, de légi­ti­ma­tion préa­lable, face à l’audace offen­sive du locu­teur comme tel. Ima­gi­nons un ins­tant que l’ethos dis­cur­sif ici en jeu ne soit pas cou­vert préa­la­ble­ment, pré­fa­cé par l’image d’un Juif hono­rable et pré­sen­té comme tel, mais par celle d’un Pales­ti­nien ; l’effet sans aucun doute eut été dif­fé­rent, mais l’ethos dis­cur­sif n’aurait pas varié pour autant.

Quelles que soient les dif­fi­cul­tés que l’on éprouve par­fois à iso­ler l’ethos dis­cur­sif du locu­teur comme tel, tan­tôt par rap­port à l’ethos pré­dis­cur­sif d’un sujet par­lant, tan­tôt par rap­port à l’ethos réfé­ren­tiel d’un être du monde, il n’en reste pas moins que ces trois sortes d’ethos sont ame­nées à inter­agir et par­fois à s’opposer dans le discours.

 

3. For­mules énon­cia­tives, ethos rap­por­té et ethos dis­cur­sif effectif

Etran­ger à ce qui est dit, au conte­nu pro­po­si­tion­nel des énon­cés, l’ethos dis­cur­sif est néan­moins indis­so­ciable de la forme lin­guis­tique des phrases à dif­fé­rents niveaux. Sans entrer en matière sur les points tech­niques, on peut pré­ci­ser que l’ethos dis­cur­sif ne tient pas à ce qui est dit, mais à ce qui est mon­tré conven­tion­nel­le­ment par le sens des expres­sions (Per­rin 2010, 2011). Les ins­truc­tions séman­tiques qui y sont asso­ciées ne sont pas sou­mises à un fonc­tion­ne­ment sym­bo­lique, mais indi­ciel (au sens de Peirce 1955), qui les exclut de fac­to de ce qui est véri­con­di­tion­nel à l’intérieur du sens. L’ethos dis­cur­sif tient à la force indi­cielle dévo­lue à cer­taines formes de phrases (excla­ma­tives, impé­ra­tives, par exemple), mais aus­si au sens des inter­jec­tions et autres for­mules énon­cia­tives, adverbes d’énonciation, moda­li­sa­teurs, etc. Dans l’exemple ci-des­sous, les for­mules de sou­la­ge­ment « ouf », « enfin », « tant mieux », jouent un rôle pré­pon­dé­rant dans la for­ma­tion de l’ethos dis­cur­sif du locu­teur comme tel[4]Comme on l’a rele­vé dans Per­rin (2009), les for­mules en ques­tion mani­festent un sou­la­ge­ment du locu­teur, suc­cé­dant res­pec­ti­ve­ment à une inquié­tude préa­lable (ouf), à une impa­tience (enfin) et à une appré­hen­sion (tant mieux)., relayées par la forme excla­ma­tive des phrases, fina­le­ment par les for­mules d’assentiment (« oui », « bien »), qui marquent un effet de reprise dia­pho­nique d’une réac­tion (fic­tive) de l’interlocuteur, et sans par­ler de la valeur axio­lo­gique de cer­tains termes comme « défer­lante média­tique », « hygié­niste » ou « anti-fumeur » :

(2) Ouf ! C’est enfin ter­mi­né. La pre­mière étape de pro­tec­tion contre le taba­gisme pas­sif est en place. Tant mieux, n’en par­lons plus ! La défer­lante média­tique, l’assaut des hygié­nistes et le haro des anti-fumeurs vont enfin s’arrêter. Oui, nous avons bien dit les anti-fumeurs. Il n’aura échap­pé à per­sonne que […] [Libé­ra­tion, 2 février 2007]

Seul l’ethos dis­cur­sif du locu­teur que nous appel­le­rons effec­tif – le locu­teur comme tel lorsqu’il est iden­ti­fié au sujet par­lant – va nous inté­res­ser dans cette étude, indé­pen­dam­ment de tout effet poly­pho­nique ou dia­lo­gique impli­quant une forme d’écho à l’ethos réfé­ren­tiel d’un per­son­nage (Per­rin 2005). Ain­si l’ethos dis­cur­sif dont attestent ci-des­sous l’interjection « hélas » et l’interpellation « Cama­rades », mais aus­si la phrase aver­bale « Du gâchis », et le fait de sa répé­ti­tion, ne va pas nous inté­res­ser, car il repose sur une forme de cita­tion directe – au style direct libre – de l’ethos des diri­geants chinois :

(3) [En Chine] L’exécution par armes à feu a été rem­pla­cée par l’injection. Ce serait plus humain paraît-il. Ce doit être plu­tôt que des organes ven­dables étaient dété­rio­rés par les balles. Du gâchis hélas, cama­rades, du gâchis. [Del­feil de Ton, Le Nou­vel Obser­va­teur, 8–14 décembre 2005]

Pas davan­tage que les séquences sou­li­gnées dans les exemples ci-des­sous, dont les pro­prié­tés énon­cia­tives font elles aus­si écho – au style indi­rect libre cette fois – à l’ethos réfé­ren­tiel d’un personnage :

(4) Quelle mouche a piqué José Maria Aznar ? Alors que l’Espagne pleure ses morts, le pré­sident du gou­ver­ne­ment, rageur, règle ses comptes avec ses propres ser­vices secrets. Il les accuse tout bon­ne­ment de l’avoir four­voyé, après l’attentat, en l’alimentant en notes ineptes. Si on l’a accu­sé d’être un men­teur, un « Pinoc­chio cas­tillan », un poli­ti­cien qui aurait pri­vi­lé­gié la piste de l’ETA pour gagner les élec­tions, c’est leur faute. Non, il n’a pas tri­ché, il a été vic­time de ses hommes de l’ombre. Et il le prouve : le 18 mars, à la stu­pé­fac­tion géné­rale […] [Le Nou­vel Obser­va­teur, 25–31 mars 2004]

(5) Lance Arm­strong, elle l’a pho­to­gra­phié pour la pre­mière fois en 1991. Elle ne sait plus bien sûr quelle course, en véri­té. Ce n’é­tait pas sur le Tour, que le futur vain­queur ne décou­vri­rait que deux ans plus tard. Mais elle se sou­vient que l’A­mé­ri­cain avait tout juste vingt ans, et que quel­qu’un lui avait sug­gé­ré de tirer son por­trait, car celui-là, c’é­tait sûr, allait faire une jolie car­rière. [Le Monde, 19 juillet 2006]

Dans le cadre de dif­fé­rents énon­cés nar­ra­tifs à la troi­sième per­sonne pris en charge par le locu­teur effec­tif iden­ti­fié au jour­na­liste, l’ethos dis­cur­sif se rap­porte alors à celui d’un per­son­nage auquel l’énoncé réfère. Ain­si la for­mule de réfu­ta­tion « non » en (4), et de confir­ma­tion (« bien sûr »), de cor­rec­tion (« en véri­té ») en (5), la forme déic­tique « celui-là », la valeur délo­cu­tive de l’expression « c’était sûr » en (5)[5]Qui fait ici écho à l’énonciation de l’expression C’est sûr par la pho­to­graphe., sans oublier les formes de phrases et autres pro­prié­tés sty­lis­tiques, la chute de la pré­po­si­tion de dans « c’est leur faute » en (4), la phrase cli­vée par anté­po­si­tion du nom propre « Lance Arm­strong » à l’attaque de (5), tous ces élé­ments font écho à l’ethos réfé­ren­tiel d’un per­son­nage (res­pec­ti­ve­ment José Maria Aznar et la photographe).

Dans le pas­sage sui­vant, en revanche – comme c’était le cas des inter­jec­tions ouf, enfin, tant mieux, en (2) – les for­mules « Allons bon » et « Rien que ça » vont nous inté­res­ser dans la mesure où elles res­tent alors tout à fait étran­gères à l’ethos d’un quel­conque per­son­nage. Ces for­mules repré­sentent ici l’ethos dis­cur­sif iro­nique du locu­teur effec­tif, iden­ti­fié au jour­na­liste, plu­tôt que l’ethos réfé­ren­tiel du per­son­nage dont il est ques­tion par ailleurs, un cer­tain Gérard Saint-Paul :

(6) Selon Gérard Saint-Paul, direc­teur géné­ral délé­gué à l’information : « France 24 ce n’est pas la voix de la France, c’est un regard fran­çais. » Allons bon. « Un regard fran­çais, expli­cite-t-il, c’est un peu moins mani­chéen que le regard amé­ri­cain de CNN, c’est un peu plus de dia­logue, il s’agit d’élargir la focale, de faire pas­ser quelques valeurs fran­çaises, le res­pect, la tolé­rance, qui sont celles de la Répu­blique quand elles sont bien appli­quées. » Rien que ça. Et juré, Saint-Paul ne pren­dra pas ses ordres à l’Elysée ou au Quai d’Orsay. [Libé­ra­tion, 6 décembre 06]

A deux reprises dans ce pas­sage, le locu­teur effec­tif oppose à son per­son­nage un ethos dis­cur­sif moqueur, que portent les for­mules « Allons bon » et « Rien que ça ». Quant à la for­mule « juré », elle fait l’objet d’un emploi plus com­plexe impli­quant, comme en (4) et (5), une forme de style indi­rect libre met­tant en scène Gérard Saint-Paul en train de jurer de ne pas prendre ses ordres à l’Elysée. Nous en ferons donc ici abs­trac­tion, pour nous inté­res­ser à l’ethos que nous avons appe­lé effec­tif, sou­vent plus ou moins fic­tif, fon­dé sur une assi­mi­la­tion du locu­teur comme tel au sujet par­lant (le cas échéant par le relais de l’être du monde lorsqu’on parle de soi comme d’un personnage).

 

4. L’ethos fic­tif de l’oralité à l’écrit

La gra­vi­té et le sérieux d’un exemple comme (1) tiennent au fait qu’il arti­cule dif­fé­rentes infor­ma­tions asso­ciées aux trois formes d’ethos dont il a été ques­tion pré­cé­dem­ment. Les trois faces de l’ethos sont alors pré­sen­tées comme celles d’un même indi­vi­du, qui à la fois signe un article en tant que sujet par­lant, se pré­sente expli­ci­te­ment comme Juif en tant qu’être du monde, mais sur­tout reven­dique, par son rôle de locu­teur et l’ethos dis­cur­sif qui s’y rap­porte, une pos­ture offen­sive à l’encontre de l’Etat israé­lien. Un exemple comme (2) est déjà moins sérieux ou, disons, moins dra­ma­tique (au sens théâ­tral), dans la mesure où le locu­teur comme tel est seul en jeu ; l’ethos est exclu­si­ve­ment dis­cur­sif en (2), dépour­vu de ren­fort pro­po­si­tion­nel ou même situa­tion­nel. Aucune repré­sen­ta­tion du locu­teur comme être du monde (dépeint comme un fumeur mal­heu­reux, par exemple) ne vient ici en ren­fort du locu­teur comme tel, qui s’accorde quand même par défaut à un sujet par­lant sus­cep­tible d’être pris plus ou moins au sérieux dans sa guerre contre les anti-fumeurs.

Selon la façon dont il se trouve mis en jeu dans le dis­cours, l’ethos dis­cur­sif effec­tif peut être plus ou moins sérieux. Tout va dépendre de la rela­tion du locu­teur au sujet par­lant ou par­fois à l’être du monde dont il est ques­tion. En (2) comme en (6), l’ethos dis­cur­sif du locu­teur n’est qu’un jeu sans gra­vi­té, qui n’implique de sujet par­lant que par défaut, et ne com­prend sur­tout aucune allu­sion au locu­teur comme être du monde. Le locu­teur comme tel adopte une pos­ture sou­la­gée en (2), ou moqueuse en (6), sans que cela ne porte à consé­quence. De là à par­ler d’ethos fic­tif, il n’y a qu’un pas, que nous ne fran­chi­rons pas com­plè­te­ment, du moins en ce qui concerne l’exemple (2), où rien ne fait obs­tacle à l’identification par défaut du locu­teur au sujet par­lant.[6]Sauf peut-être les for­mules oui, bien, à la fin de ce pas­sage, qui répondent à la réac­tion fic­tive d’un inter­lo­cu­teur ima­gi­naire (nous allons y reve­nir). On peut donc dire que le locu­teur repré­sente lit­té­ra­le­ment le sujet par­lant en (1), mais aus­si dans toute la pre­mière par­tie de (2). Nous ne par­le­rons d’ethos fic­tif que si l’ethos dis­cur­sif effec­tif du locu­teur ne s’ajuste pas loca­le­ment à l’ethos pré­dis­cur­sif du sujet par­lant qu’il est cen­sé repré­sen­ter – ceci évi­dem­ment sans qu’il soit pos­sible de régler le conflit par assi­mi­la­tion de l’ethos dis­cur­sif à l’ethos réfé­ren­tiel d’un per­son­nage. L’ethos dis­cur­sif en (2) n’est donc pas fic­tif puisqu’il s’accorde, au moins par défaut, aux pos­tures sup­po­sées d’un sujet par­lant. Et de même dans nos exemples (3) à (5), l’ethos n’est pas fic­tif puisqu’il s’accorde à l’ethos réfé­ren­tiel d’un per­son­nage dont il est question.

En (7) et (8), en revanche, la fic­tion énon­cia­tive est avé­rée dans les séquences en gras ; les for­mules « nos saints-pères fon­da­teurs », « bénis soient leurs noms » se rap­portent à un style litur­gique en (7) ; « Eh non, les gars » à l’esprit d’une forme de cama­ra­de­rie de troupe ou d’équipe de foot­ball en (8). Dans les deux cas l’ethos dis­cur­sif ne s’accorde lit­té­ra­le­ment, ni au sujet par­lant dans le cadre de l’interaction du jour­na­liste à son lec­teur, ni à un quel­conque per­son­nage iden­ti­fiable au plan réfé­ren­tiel ou propositionnel :

(7) Le fias­co des réfé­ren­dums orga­ni­sés en France comme aux Pays-Bas sur la Consti­tu­tion euro­péenne montre, hélas, que nos Saint-Pères fon­da­teurs (bénis soient leurs noms) ont eu tort de se fier aux Etats-Nations pour construire l’Europe. [Libé­ra­tion, 9 juin 2006]

(8) Reve­nons trois minutes sur Davos. Bill Clin­ton a rap­pe­lé que 30 000 mil­liards de dol­lars étaient par­tis en fumée lors du krach. […] Nombre de par­ti­ci­pants, à la ques­tion de savoir quel était le prin­ci­pal res­pon­sable de la crise, ont répon­du : la croyance que les mar­chés s’autorégulent. Eh non, les gars. Bref, pour le diag­nos­tic, tout le monde était d’accord. Mais pour les remèdes… [Le Canard enchaî­né, 11 décembre 2009]

L’ethos fic­tif cor­res­pond à un jeu rhé­to­rique où l’ethos dis­cur­sif effec­tif dénoue ses liens par défaut au sujet par­lant, sans pour autant s’associer à l’ethos d’un per­son­nage. En (8), l’ethos dis­cur­sif effec­tif met en scène une inter­ac­tion fic­tive où le locu­teur s’adresse aux par­ti­ci­pant au forum de Davos comme un entraî­neur de foot à ses joueurs. L’exemple (6) peut être inter­pré­té de façon ana­logue ; l’ethos dis­cur­sif effec­tif qu’il met en jeu n’est pas for­cé­ment dépour­vu de fic­tion si l’on consi­dère que les for­mules impliquent loca­le­ment une inter­ac­tion avec Gérard Saint-Paul. La por­tée de la fic­tion énon­cia­tive peut être locale comme en (6) à (8), ou glo­bale comme en (9), qui se pré­sente comme une leçon fic­tive don­née par un pro­fes­seur à des élèves. La fic­tion énon­cia­tive enva­hit alors l’intégralité de la chronique :

(9) Mes enfants, je vous demande de res­ter calmes encore quelques ins­tants. Je sais, vous êtes éner­vés, c’est notre der­nière classe de l’année. Demain nous par­tons en vacances. Enfin, vous, je ne sais pas. Moi, je sais, ou du moins je l’espère. Si tout va bien, à l’heure même où vous pose­rez vos yeux épui­sés sur cette page, je pose­rai mes ripa­tons dans l’eau bleue du far­niente. Oui, dans deux colonnes d’ici, nous en serons donc au terme de cette année sco­laire, et je sais qu’il vous est dif­fi­cile d’être concen­trés. […] Voi­ci donc l’heure de notre der­nier cours, je vou­drais, en guise de palmes dépo­sées sur le front moite d’une sai­son riche en actua­li­tés, reve­nir sur deux évé­ne­ments qui m’ont par­ti­cu­liè­re­ment mar­qué. […] [Fran­çois Rey­naert, Le Nou­vel Obser­va­teur, 1–7 juillet 2004]

Tout ce qui a trait à l’ethos de la leçon dans ce pas­sage est fic­tif ou figu­ra­tif. La fic­tion de l’ethos se mani­feste par la for­mule d’adresse ou d’interpellation (mes enfants), mais aus­si par la forme per­for­ma­tive (« je vous demande de res­ter calmes »), la reprise dia­pho­nique (« je sais, vous êtes éner­vés »), les auto­cor­rec­tions (« enfin vous je ne sais pas. Moi je sais, ou du moins je l’espère »), le lyrisme aca­dé­mique (« Je vou­drais, en guise de palmes dépo­sées sur le front moite… »), et autres pro­prié­tés sty­lis­tiques. Seul l’ethos dis­cur­sif est fic­tif ; ce qui est expri­mé au plan des conte­nus est seule­ment méta­pho­rique ou allé­go­rique, puisqu’il concerne l’actualité. En (10), la fic­tion de l’ethos prend la forme d’un mode d’emploi, d’une recette fic­tive, une sorte de leçon don­née à un appren­ti dic­ta­teur (qui prend peu à peu les traits de George Bush junior) :

(10) Vous vou­lez rendre le monde plus sûr, parce que telle est votre mis­sion après l’effroyable choc du 11 sep­tembre ? Voi­ci un mode d’emploi. Pre­nez une orga­ni­sa­tion ter­ro­riste. Al-Quai­da. Bom­bar­dez ses camps d’entraînement en Afgha­nis­tan, car là-bas, dans les replis de l’Hindu Kuch, se trament les attaques qui vont ter­ro­ri­ser le monde civi­li­sé. L’affaire prend quelques semaines, vos bom­bar­diers sont plus forts que leurs vieilles pétoires. […]

L’année d’après, enva­his­sez un pays du Moyen-Orient. L’Irak. Car vous vou­lez tou­jours rendre le monde plus sûr, telle est votre mis­sion. Trou­vez un pré­texte, c’est impor­tant. Pro­cla­mez la vic­toire après la fin des com­bats. Et si, quelques mois plus tard, la guerre n’est tou­jours pas finie, convo­quez une confé­rence de presse, et démen­tez. L’année sui­vante, par­lez d’élections et de retour à la démo­cra­tie. Vous avez enva­hi le pays pour d’autres motifs, mais vous devez sau­ver les apparences. […]

Com­ment ? Vous faites tout votre pos­sible à Bag­dad, et l’insécurité gagne du ter­rain ? Vous ne contrô­lez plus rien et vous ne com­pre­nez pas pour­quoi le pays est au bord de la rup­ture confes­sion­nelle entre chiites et sun­nites ? Vous avez l’impression que des ter­ro­ristes inter­na­tio­naux, rom­pus au dji­had, tra­versent les poreuses fron­tières nui­tam­ment ? Convo­quez une confé­rence de presse et faites por­ter le cha­peau à Al-Quai­da. Le public n’y com­pren­dra rien, il est comme vous, il a la géo­gra­phie embrouillée.

À moins que, pour une fois, vous ayez vu juste… À force d’invoquer la menace, vous avez peut-être réus­si à la maté­ria­li­ser. Vous avez rai­son : vous l’avez ouverte, la boîte Pan­dore. [Le Temps, 3 mars 2004]

La dimen­sion fic­tive de l’ethos tient alors non seule­ment à l’identité du locu­teur et à celle du des­ti­na­taire (en appren­ti dic­ta­teur), mais plus abs­trai­te­ment à la force direc­tive ou pres­crip­tive de l’énonciation, inap­pro­priée aux faits pas­sés, connus, avé­rés, rela­tés au plan des conte­nus. Fina­le­ment, la fic­tion porte sur l’étonnement (feint) du locu­teur, que marque la for­mule inter­ro­ga­tive (« Com­ment ? »), la reprise dia­pho­nique et la refor­mu­la­tion qui s’y rap­portent (« Vous faites tout votre pos­sible »), face à l’intervention d’un inter­lo­cu­teur ima­gi­naire. Tout comme en (9), au-delà des cir­cons­tances de chaque scé­no­gra­phie prise indi­vi­duel­le­ment, la reprise dia­pho­nique ins­taure alors une scé­no­gra­phie de l’oralité, de l’interaction en face à face, for­cé­ment fic­tive dans le dis­cours média­tique – dont le des­ti­na­taire absent, exclu, n’a pas la parole. De façon tout à fait géné­rale, l’ethos fic­tif de l’oralité joue un rôle pré­pon­dé­rant à l’écrit, notam­ment dans les écrits journalistiques.

 

5. Le temps fic­tif de l’oralité à l’écrit

Le temps du dis­cours notam­ment appar­tient à l’oralité, et ne peut donc être que fic­tif à l’écrit. En (11), le temps qui sépare les « J’hésite » du début, du « J’y renonce » à la toute fin, est fictif :

(11) J’hésite : fau­dra-t-il déses­pé­rer « des amé­ri­cains » si à coup de mil­lions et de tru­cages divers l’actuel pré­sident [G.W. Bush] par­vient à gar­der son poste ? Fau­dra-t-il les rendre res­pon­sables de la gabe­gie poli­tique où nous sommes entraî­nés s’ils en réélisent le fau­teur ? J’avoue qu’une telle recon­ver­sion me coû­te­rait. La pres­sion s’accroît pour que je me pré­pare à faire le pas, mais j’hésite. L’anti-américanisme est une région trop instable à mon goût. Si cette foi dépend du résul­tat des urnes, c’est qu’elle est bien super­fi­cielle. Sur­tout pour quelqu’un comme moi, du genre démo­crate, qui a accep­té les divi­sions de la socié­té et ses conflits internes. J’ai mes opi­nions, que je vou­drais voir par­ta­gées lar­ge­ment, mais je suis pré­pa­rée à la défaite. Ni les vic­toires ni les échecs ne sont défi­ni­tifs. Les socié­tés poli­ti­que­ment ouvertes décou­ragent les illu­sions, mais pro­tègent du déses­poir. Mes amis démo­crates aux Etats-Unis sont inquiets, ce n’est pas le moment de les lâcher ; ils ont besoin de moi. […] La cote­rie qui démontre son incom­pé­tence à la Mai­son-Blanche n’a plus de poli­tique pour l’organisation du monde. L’anti-américanisme ne la rem­pla­ce­rait pas. Il n’y a donc plus à hési­ter, j’y renonce défi­ni­ti­ve­ment. [Le Temps, 2 juin 2004]

Le temps fic­tif de l’oralité per­met ici à la locu­trice d’évoluer, entre le début et la fin de ce pas­sage, de l’hésitation au renon­ce­ment. Dans le laps de temps vir­tuel de son dis­cours men­ta­le­ment ora­li­sé, et par la force de ses propres argu­ments rela­tifs notam­ment à l’être du monde qu’elle repré­sente par ailleurs (« quelqu’un comme moi, du genre démo­crate… »), la locu­trice change fic­ti­ve­ment de pos­ture énon­cia­tive, et de point de vue, entre le début et la fin de ce pas­sage. Plu­tôt que de ren­voyer, comme en (9) et (10), à une forme de dia­logue fic­tif avec un inter­lo­cu­teur ima­gi­naire, la fic­tion énon­cia­tive ins­taure une forme de mono­logue inté­rieur en (11), c’est-à-dire de dia­logue fic­tif avec soi, de soi à soi, du locu­teur effec­tif à l’être du monde. Tout comme le fait de s’adonner à un dia­logue avec un des­ti­na­taire ima­gi­naire, le mono­logue inté­rieur à l’écrit repose sur le temps fic­tif de l’oralité.

Par­mi dif­fé­rents pro­cé­dés que nous n’aurons évi­dem­ment pas le loi­sir de tous pas­ser en revue, l’autocorrection à l’écrit joue elle aus­si sur le temps fic­tif de l’oralité. Il n’existe pas en effet de véri­tables auto­cor­rec­tions à l’écrit, qui se trouvent relé­guées à la genèse de l’œuvre, au tra­vail de la rédac­tion ; l’autocorrection à l’écrit ne peut être que fic­tive, asso­ciée à un effet d’oralité impli­quant une mise en scène de soi révi­sant sont point de vue, et répond de ce fait à un besoin tout à fait dif­fé­rent. Tout comme en (11), l’ethos dis­cur­sif effec­tif repose sur le temps fic­tif de l’oralité en (12). La dif­fé­rence avec l’exemple pré­cé­dent tient alors notam­ment à la por­tée plus locale et au carac­tère expli­cite de la révi­sion qui s’y rapporte :

(12) L’exposition que consacre à Paris le Musée des sciences de l’industrie au « Monde de Fran­quin » est appe­lée à connaître un suc­cès popu­laire. Car – m’enfin ! – tous les ingré­dients y sont. Et, dans la France des 35 heures, régu­liè­re­ment admo­nes­tée par Ernest-Antoine de Mes­mae­ker (par­don Seillères) pour son manque de moti­va­tion, sinon sa fai­néan­tise. Le gaf­feur ne sau­rait être plus d’actualité. [Le Monde]

Annon­cée dans ce pas­sage par une forme d’écho à la voix du gaf­feur bien connu (« m’enfin ! »), l’autocorrection (« Ernest-Antoine de Mes­mae­ker (Par­don Seillères) ») met en scène une ora­li­té fic­tive où le locu­teur se reprend après avoir soi-disant confon­du le nom de son per­son­nage avec celui de Fran­quin. La force d’excuse de la for­mule d’adresse à un inter­lo­cu­teur ima­gi­naire (« Par­don ») accen­tue ici l’effet d’oralité fic­tive de la reprise, en l’occurrence à des fins comiques ou iro­niques. Le même pro­cé­dé est à l’œuvre en (13), à des fins cette fois hyper­bo­liques plus dramatisantes :

(13) Cette école où l’on menace – que dis-je ? – où l’on frappe les ins­ti­tu­trices avec des cou­teaux de cui­sine est aus­si celle où l’on arrête des enfants de 6 ans pour les inter­ro­ger pen­dant deux heures, et où l’on convoque au com­mis­sa­riat un gamin de 8 ans pour une bagarre dans la cour de récréa­tion. [F. Bazin, Le Nou­vel Obser­va­teur, 2009]

La for­mule auto­cor­rec­tive « Que dis-je ? » met en jeu une prise de conscience subite, par le locu­teur, de la gra­vi­té de la situa­tion, comme si celle-ci lui venait sou­dai­ne­ment à l’esprit, dans le temps fic­tif de la pro­duc­tion de son dis­cours. En (14), l’ethos fic­tif met en scène un locu­teur à l’œuvre, cher­chant ses mots, comme si le dis­cours se créait sous nos yeux, comme à l’oral, par tâton­ne­ments successifs :

(14) Comme tou­jours dans un suc­cès, il a fal­lu que se ren­contrent un chef de file et son public, un dis­cours et une attente. Disons, dans les termes de l’économie de mar­ché, une offre et une demande. Daniel Cohn-Ben­dit avait en main la bonne par­ti­tion. [Le Monde, 10 juin 2009]

Les connec­teurs ou for­mules comme « disons » en (14), « que dis-je ? » en (13), « par­don » en (12), « enfin » ou « du moins » en (9), jouent sur le temps fic­tif de l’oralité. La com­po­sante tem­po­relle asso­ciée à l’oralité est cen­trale, en ce qui concerne bon nombre de pro­prié­tés de l’ethos dis­cur­sif effec­tif à l’écrit. Les ajouts après le point et autres formes d’interruptions syn­taxiques par la ponc­tua­tion (Com­bettes 2007), qui ne sont pas sans rap­port avec l’autocorrection, jouent eux aus­si sur le temps fic­tif de l’oralité, par exemple dans le pas­sage suivant :

(15) Juliette Gre­co est habi­tée par ses textes. Sur scène, elle se donne. Et elle donne. Tout. Son ins­tru­ment, c’est elle. Elle joue du Gre­co. [Richard Can­na­vo, Le Télé­Obs, avril 2009]

Si l’on prend, par exemple, le point après « Et elle donne » qui sépare le quan­ti­fi­ca­teur « Tout », on peut rele­ver qu’il indique une forme de reprise cor­rec­tive de la phrase qui pré­cède, qui serait tout à fait étran­gère à une phrase uni­fiée (« Elle donne tout »). Et de même en (16) :

(16) Il n’a pas d’âge. Il parle comme une mitraillette. Ça se passe dans une petite mai­son bre­tonne. Il s’appelle Didier. On com­prend sa vie, par ces bribes, et cet accent, chan­geant, tan­tôt du Nord, un peu du Sud. Une voix. Des regards. Une vie, broyée par les médi­ca­ments et l’alcool, la pri­son, l’hôpital psy­chia­trique. L’enfant qu’on lui a « pris ». La femme, par­tie. Didier fume colpe sur clope. Il rit à la camé­ra, joue la comé­die. A la fin du mois il lui reste peu pour vivre. A lui et son père, qu’il appelle « Ma couille ». [Libé­ra­tion, 2 mars 2010]

La ponc­tua­tion a pour effet de dis­so­cier en actes suc­ces­sifs l’énonciation de syn­tagmes asso­ciés à une même clause syn­taxique, impli­quant par défaut un seul acte d’énonciation (« On com­prend sa vie, par ces bribes, et cet accent, chan­geant… »). Ce pro­cé­dé déclenche à chaque inter­rup­tion un effet de reprise inté­gra­tive de ce qui pré­cède, comme si le locu­teur pre­nait conscience par étape de ce qu’il cherche à com­mu­ni­quer. Tout comme l’énumération en plu­sieurs phrases nomi­nales sépa­rées par des points, les effets ryth­miques qui s’y rap­portent (« Une voix. Des regards. Une vie, broyée… »), ou alors la vir­gule (en forme d’ellipse ver­bale) dans « La femme, par­tie », à nou­veau le point avant un com­plé­ment pour­tant asso­cié fonc­tion­nel­le­ment à la phrase qui pré­cède au plan syn­taxique (« A lui et à son père »), tout cela contri­bue à ins­tau­rer la tem­po­ra­li­té fic­tive d’une ora­li­té cher­chant son che­min à tâtons, par énon­cia­tions suc­ces­sives, réduites par moments à un rythme pur, poé­tique. Bien enten­du l’éthos fic­tif de l’oralité ne se réduit pas tou­jours à une pure tem­po­ra­li­té ryth­mique, comme en (15) et (16). Ce qui dans l’exemple ci-des­sous a trait au registre (« C’est bon­nard »), ou aux abré­via­tions (« T’es une vedette »), à la fami­lia­ri­té asso­ciée au tutoie­ment, à une ono­ma­to­pée même (« Pof ! T’es élu »), aux effets dia­pho­niques (« et vous savez quoi ? »), tout cela s’articule aux pro­prié­tés pure­ment sty­lis­tiques ou ryth­miques en vue d’instaurer l’ethos fic­tif de l’oralité du locu­teur à l’écrit :

(17) C’est bon­nard. T’es une vedette de ciné­ma, d’Hollywood, tu te pré­sentes à l’élection de gou­ver­neur en Cali­for­nie. Pof ! t’es élu. C’est ce qui est arri­vé à Schwar­ze­neg­ger et vous savez quoi ? Il tient des vies d’hommes dans ses mains, main­te­nant, Schwar­ze­neg­ger. Après l’illusion, la chair et le sang. Le pre­mier condam­né à qui il pou­vait accor­der la grâce, qu’il lui a refu­sée, sera exé­cu­té le 10 février. [Le Nou­vel Obser­va­teur, 5–11 février 2004]

Diverses pro­prié­tés syn­taxiques dans ce pas­sage – notam­ment le com­plé­ment de nom pla­cé en appo­si­tion après la vir­gule (« une vedette de ciné­ma, d’Hollywood »), la phrase cli­vée cata­pho­rique (« Il tient des vies d’hommes dans ses mains, main­te­nant, Schwar­ze­neg­ger »), jouent là encore essen­tiel­le­ment sur le temps fic­tif de l’oralité, qui est au cœur de l’ethos dis­cur­sif du locu­teur effec­tif à l’écrit.

Indé­pen­dam­ment du carac­tère plus ou moins déca­lé, plus ou moins ima­gi­naire ou figu­ra­tif, de la scé­no­gra­phie qui s’y rap­porte, l’ethos dis­cur­sif effec­tif à l’écrit repose fon­da­men­ta­le­ment sur le temps fic­tif de l’oralité. Certes l’écrit peut consis­ter à abo­lir tem­po­rai­re­ment l’ethos dis­cur­sif du locu­teur, en vue de se cen­trer loca­le­ment sur le seul logos des rhé­to­ri­ciens, asso­cié aux conte­nus, lorsque le dis­cours est pure­ment réfé­ren­tiel et pro­po­si­tion­nel, trans­pa­rent au plan énon­cia­tif. C’est le cas dans la presse écrite, lorsque le dis­cours se veut pure­ment objec­tif, rela­tif seule­ment aux faits d’actualité qu’il pré­tend res­ti­tuer. Pour autant le dis­cours ne peut abo­lir l’ethos dis­cur­sifs du locu­teur effec­tif, les formes de sub­jec­ti­vi­tés qui s’y rap­portent, sans renon­cer à l’essentiel des moyens de per­sua­sion dont il dis­pose. L’objectif de cette étude était de faire res­sor­tir le rôle cen­tral du temps fic­tif de l’oralité dans l’ethos dis­cur­sif du locu­teur effec­tif à l’écrit.

 

Réfé­rences

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Per­rin Laurent (2010), « L’énonciation dans la langue : ascrip­ti­visme, prag­ma­tique inté­grée et sens indi­ciel des expres­sions », Dans V. Atayan & U. Wie­nen (éds.), Iro­nie et un peu plus. Hom­mage à Oswald Ducrot pour son 80ème anni­ver­saire, Franc­fort, Peter Lang, 65–85.

Per­rin Laurent (2011), « L’énonciation : ges­ti­cu­la­tion locu­toire ou repré­sen­ta­tion séman­tique ? », dans M.-J. Bégue­lin et G. Cor­minbœuf (éds.), Du sys­tème lin­guis­tique aux actions lan­ga­gières. Mélanges en l’honneur d’Alain Ber­ren­don­ner, De Boeck & Ducu­lot, 2011, 375–387.

Per­rin, Laurent (éd.) (2006), Le sens et ses voix Dia­lo­gisme et poly­pho­nie en langue et en dis­cours, Metz, CELTED, Recherches lin­guis­tiques, n° 28.

Raba­tel, Alain (2008), Homo Nar­rans. Pour une ana­lyse énon­cia­tive et inter­ac­tion­nelle du récit, Limoges, Lambert-Lucas.

 

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Notes

Notes
1 Sur la ques­tion de l’ethos, on pour­ra se réfé­rer à l’ouvrage col­lec­tif diri­gé par Amos­sy (1999), ain­si qu’à Main­gue­neau (1998, 1999). Voir aus­si sur ce sujet Raba­tel (2008).
2 Une ver­sion anté­rieure de cette étude est parue en ligne dans Per­rin (2009), dont cet article pré­cise et refor­mule cer­taines observations.
3 Nous ren­voyons sur ce point aux diverses publi­ca­tions col­lec­tives sur le sujet (Bres & al. 2005, Per­rin 2006, Colas Blaise & al. 2010, ain­si qu’aux numé­ros 163 et 164 de la revue Langue fran­çaise, entre autres).
4 Comme on l’a rele­vé dans Per­rin (2009), les for­mules en ques­tion mani­festent un sou­la­ge­ment du locu­teur, suc­cé­dant res­pec­ti­ve­ment à une inquié­tude préa­lable (ouf), à une impa­tience (enfin) et à une appré­hen­sion (tant mieux).
5 Qui fait ici écho à l’énonciation de l’expression C’est sûr par la photographe.
6 Sauf peut-être les for­mules oui, bien, à la fin de ce pas­sage, qui répondent à la réac­tion fic­tive d’un inter­lo­cu­teur ima­gi­naire (nous allons y revenir).