Dans J.-C. Anscombre, B. Darbord et A. Oddo (dir.)
La parole exemplaire. Introduction à une étude linguistique des proverbes
Armand Colin, 2012, 53–66
L’ENONCIATION DES PROVERBES
Laurent Perrin
Université de Lorraine, CREM
Les proverbes sont souvent appréhendés comme un patrimoine verbal issu d’une tradition ancestrale, attachée tant à l’oralité qu’aux origines du langage et à la culture populaire. La conception énonciative des proverbes qui sera proposée dans cette étude permet de rendre compte de cette intuition comme d’une propriété de l’énonciation des phrases proverbiales, telle qu’elle se trouve instruite par le sens même des phrases en question. Non seulement les proverbes peuvent être le fruit d’une habitude effective, d’une routine parfois ancienne, consistant à énoncer une phrase en certaines circonstances, mais surtout ce sont les phrases mêmes en quoi consistent les proverbes qui qualifient leurs énonciations comme le fruit d’une telle habitude. Cette dernière n’est donc pas simplement (ou même pas forcément) un fait historique effectif, mais une virtualité sémantique que portent les phrases proverbiales, virtualité qui s’écarte parfois, ou du moins met en scène et donc reconstitue fictivement le fait historique. Les phrases mêmes de la langue en quoi consistent les proverbes qualifient leurs énonciations virtuelles (dont l’énonciation effective n’est qu’une occurrence avérée) comme le fait d’une habitude collective. Par quels moyens sémantico-pragmatiques ? C’est ce à quoi nous allons tenter de répondre dans cette étude.[1]Qui reprend une précédente approche des proverbes présentée dans Perrin (2000), et revisitée récemment dans Perrin (à paraître), dont cette étude revoit et précise les grandes lignes.
Partant de ce qui caractérise les principaux aspects de l’énonciation des proverbes, nous observerons qu’ils correspondent à des phrases idiomatiques consistant à faire écho à leurs énonciations passées, non seulement comme acte locutoire, mais comme assertion d’un point de vue lié à un contenu doxal. L’approche proposée se veut une approche pragmatique intégrée du sens des proverbes. Elle s’inspire d’une conception de l’énonciation dans la langue à la Ducrot, pour entrer en dialogue avec Anscombre et Kleiber sur les propriétés sémantiques des proverbes.
1. LES PROVERBES COMME ENONCIATION COLLECTIVE
Parmi les propriétés définitoires des proverbes, on admet généralement qu’ils n’expriment pas un point de vue personnel du locuteur ou de qui ce soit, mais une vérité ou un jugement collectif, partagé par un groupe social ou une communauté linguistique (Ollier, 1976 ; Anscombre, 1984 ; Norrick, 1985 ; Kleiber, 1989a ; Gouvard, 1996). Anscombre (1994 : 100) par exemple, formule une hypothèse selon laquelle « celui qui énonce un proverbe, s’il est bien le locuteur du proverbe, n’est pas l’auteur de ce proverbe ; en termes de polyphonie, il n’est pas l’énonciateur du principe qui y est attaché ». Kleiber (1999) précise sur ce point à juste titre que celui qui a recours à un proverbe n’endosse en fait personnellement ni le principe associé au contenu que la phrase exprime, ni la phrase même qui le porte (l’énonce), sa forme linguistique, son interprétation (le choix des termes, sa construction, la figure même que la phrase instaure le cas échéant). Sous un angle polyphonique, l’autorité collective attachée aux proverbes n’implique donc pas seulement l’énonciateur d’un principe, mais l’énonciation même de la phrase proverbiale, l’acte locutoire consistant à l’énoncer. Plutôt un ON-locuteur donc, au sens défini par Anscombre (2000, 2005), qu’un simple énonciateur au sens de Ducrot (1984). Cette dimension polyphonique des proverbes a été adossée à deux batteries de tests associés respectivement au fait que les proverbes ne se modalisent pas (ou mal) à l’aide de je trouve que (Anscombre, 1989), selon moi, à mon avis, il me semble (Anscombre, 1994), sincèrement (Anscombre, 1989), et d’autre part qu’ils se combinent en revanche aisément avec comme on dit, comme dit le proverbe, le proverbe dit que…
Cette dimension collective de l’énonciation des proverbes a été abordée, sous différents angles, dans les études de parémiologie. Les proverbes ont ainsi été assimilés à des énoncés échoïques (Gouvard, 1996 ; Kleiber, 1999), au sens de Sperber et Wilson (1989), c’est à dire à des sortes de mention correspondant à des citations directes implicites. Énoncer un proverbe, dans cette optique, c’est faire écho à ses énonciations passées, et ce faisant rapporter implicitement ce qui est censé avoir été dit ailleurs. Chez Sperber et Wilson, la force citative des énoncés échoïques ne tient pas à ce qui est dit (au plan conceptuel et propositionnel), mais à ce qui est montré par le fait de dire, par l’énonciation de telle ou telle séquence discursive si l’on s’en tient au style direct. Les proverbes consisteraient ainsi à montrer pragmatiquement qu’ils sont le fruit d’une énonciation collective ancestrale. Selon Sperber et Wilson, ce qui est montré en écho tient à une relation iconique de ressemblance entre telle ou telle séquence discursive effective et ce qui est censé avoir été dit par le passé. Sous l’angle sémiotique peircien dont s’inspirent ici Sperber et Wilson, ce qui est montré s’oppose d’abord à ce qui est symbolique, c’est-à-dire conceptuel ou propositionnel (vériconditionnel) à l’intérieur du sens. Le sens montré peut être soit indiciel, soit iconique au sens peircien. Ce qui est indiciel ne va pas ici nous intéresser ; le sens indiciel des expressions[2]Définitoire des interjections, insultes et exclamations notamment, des expressions énonciatives en quoi consistent les modalisateurs, adverbes d’énonciation, connecteurs et marqueurs discursifs divers (Perrin 2010). ne concerne pas les proverbes, qui n’impliquent pas de relation partie/tout (entre telle ou telle forme linguistique et telle ou telle propriété énonciative), mais un lien de ressemblance, de nature iconique, entre telle ou telle occurrence de phrase et les énonciations passées du proverbe auxquelles elle fait écho.
L’un des points à clarifier à propos des proverbes a trait au codage de cette force échoïque attachée à la forme linguistique de certains énoncés selon Sperber et Wilson. Pour ces derniers, les faits échoïques sont purement pragmatiques, impliqués contextuellement par l’acte locutoire consistant à énoncer une séquence en vue de faire écho à son ou à ses énonciations passées. L’approche des proverbes initiée par Kleiber et Anscombre, et poursuivie dans cette étude, est différente, dans la mesure où elle est à vocation sémantique. Ce qui caractérise essentiellement les proverbes dans cette optique, parmi les simples formes de citations directes implicites, tient au fait que leur force citative (ou échoïque), le mode sémiotique iconique qui s’y rapporte, sont codés dans la langue, dans la forme même des phrases proverbiales. Cette force n’est donc pas seulement reconnue contextuellement, par un lien de ressemblance entre occurrences successives formellement semblables, comme lors de simples reprises, répétitions de ce qui a été dit précédemment. Et par ailleurs cette force n’est pas non plus le fruit d’une assertion métalinguistique comme lors d’un simple discours rapporté – sauf lorsque le recours au proverbe est explicitement qualifié en incise alors redondante (comme dit le proverbe), ou régie par un verbe de dire au style direct (le proverbe dit que…) (Tamba 2008). La force citative des proverbes n’est ni contextuelle ou intertextuelle, ni l’objet d’une assertion méta ; elle est d’abord et avant tout conventionnelle, codée linguistiquement dans la forme des phrases proverbiales.
La conséquence la plus spectaculaire de cet état de chose tient au fait que les proverbes ne peuvent être énoncés que sous la forme de citations. On ne peut que citer, c’est-à-dire mentionner un proverbe, au sens des logiciens ; on ne peut employer purement et simplement une phrase proverbiale en vue d’exprimer son propre point de vue. D’où précisément la difficulté de modaliser un proverbe à l’aide d’une formule comme je pense ou il me semble, ou d’un adverbe d’énonciation comme sincèrement ; et d’où corrélativement leur affinité avec comme on dit, comme dit le proverbe. Une autre conséquence, en lien à la précédente, tient au fait que les proverbes ne citent pas une occurrence particulière, mais l’ensemble de leurs énonciations virtuelles en toutes circonstances, y compris donc réflexivement l’énonciation effective dont ils sont l’objet.[3]On peut ainsi distinguer les proverbes, qui font écho à une énonciation collective, des sentences d’auteurs et autres maximes, qui font écho à une occurrence inaugurale – les deux n’étant pas incompatibles.
Il importe sur ce dernier point de préciser que la force citative attachée au sens des proverbes n’interdit en rien d’assimiler indirectement le sujet parlant à la voix collective à laquelle la phrase énoncée fait écho. Bien au contraire, car la force citative des proverbes donne lieu à une forme d’argument d’autorité (Ollier, 1976 ; Schapira, 1987), qui incite à accorder indirectement le sujet parlant à la voix collective ainsi invoquée. Kleiber soutient que le locuteur d’un proverbe ne doit pas « croire personnellement à son contenu, mais uniquement […] accepter ce contenu, c’est-à-dire le principe attaché au proverbe » (1999 : 65). Or il apparaît que non seulement le locuteur effectif accepte le principe associé au contenu de l’énonciation à laquelle il fait écho, mais il apparaît en outre que le locuteur croit bel et bien personnellement et cherche à faire croire à ce contenu. En cas de désaccord, le locuteur est ainsi contraint de le préciser explicitement (Le proverbe dit à tort…). L’argument d’autorité en rhétorique repose en effet sur une forme de discours rapporté incitant à croire ce qui est rapporté. Comme argument d’autorité, les proverbes impliquent donc une prise en charge, par le locuteur effectif identifié au sujet parlant, de la voix collective à laquelle la phrase énoncée fait écho.
Dans le cas des proverbes, l’argument d’autorité tient à une forme de citation directe, plutôt qu’à une quelconque reformulation d’un point de vue rapporté comme au style indirect. Plutôt que de raisonner par l’autorité d’un auteur individuel, les proverbes se fondent sur l’autorité d’une voix collective, dont la force autoritaire repose précisément sur le caractère à la fois ancien et partagé, à l’épreuve du temps comme de l’émotion spontanée du sujet parlant. Plus fort que le point de vue associé au contenu et au raisonnement, c’est un argument par la voix associée à la forme linguistique de l’énonciation (Perrin 2009) qui est en jeu dans les proverbes. Énoncer un proverbe, c’est non seulement raisonner par autorité, mais c’est avant tout faire résonner la voix collective ancestrale à laquelle la phrase énoncée fait écho.[4]Il en découle que les proverbes ne correspondent pas à un simple« raisonnement par autorité », mais à une forme d’« argument d’autorité polyphonique », selon l’opposition de Ducrot (1984). Plutôt qu’à un simple discours rapporté référentiel, les proverbes correspondent à une forme de « modalisation en discours second » (Authier-Revuz, 1995), ou encore à une valeur médiative (ou évidentielle) d’ouï-dire (Anscombre, 2000).
Celui qui dit, par exemple, Tout vient à point à qui sait attendre, ou Qui va lentement va sûrement, Chi va piano va sano, fait bien plus que d’affirmer qu’il faut être patient ou prendre son temps. Le locuteur effectif prend alors bel et bien en charge l’affirmation, mais par la voix d’un ON-locuteur. Le sens de l’affirmation résulte de l’énonciation collective que la phrase encode, dont le contenu se substitue alors comme un tout pré-mémorisé à ce que la phrase représente hic et nunc. L’usage en français d’un proverbe italien par exemple en témoigne. Nul besoin de savoir l’italien si le sens du proverbe a été préalablement mémorisé. Et de même, les nombreux proverbes métaphoriques comme L’habit ne fait pas le moine, Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, Il n’y a pas de roses sans épines, n’ont nul besoin pour être compris de redéployer à chaque fois leur sens métaphorique dans toute son ampleur. Ce serait le cas si l’on avait affaire à une métaphore vive, dans le cadre d’une allégorie. Mais celles-ci sont d’une tout autre nature que dans les proverbes. Ce que la phrase représente métaphoriquement dans un proverbe (comme dans toute métaphore plus ou moins figée) n’est pas libre, mais prédéterminé et codé comme un pur produit de ses énonciations passées.
2. LES PROVERBES COMME PHRASES IDIOMATIQUES
Les proverbes ne sont de loin pas les seules expressions pourvues d’une force échoïque ou citative de ce genre. Ils partagent cette propriété avec l’ensemble des locutions ou expressions dites idiomatiques ou figées, qui font également écho à leurs énonciations passées. Ainsi les locutions de rang syntagmatique comme casser la croûte ou jeu d’enfant partagent l’affinité des proverbes avec la portée de comme on dit, comme dit l’expression. Que le test s’applique à un proverbe ou à une simple locution de rang syntagmatique, comme on dit témoigne de la force échoïque associée au caractère idiomatique de toute expression susceptible d’entrer dans sa portée.
Tout comme les proverbes, les expressions idiomatiques correspondent à des séquences discursives complexes, polylexicales, mais qui constituent un tout partiellement ininterprétable par simple composition syntaxico-sémantique. Ainsi casser la croûte signifie « manger », mais ce sens doit avoir été préalablement mémorisé pour pouvoir être appréhendé. On peut certes l’analysera posteriori comme résultant d’une figure originelle concernant une croûte de pain que l’on brise sous la dent, mais ce sens ne peut être reconstitué qu’après-coup. Et comment prévoir sans savoir par avance que jeu d’enfant signifie « facile », plutôt qu’« amusant » ou « bébête » par exemple ? De même, Il n’y a pas de roses sans épines signifie qu’« il a des inconvénients à toute chose », que « toute joie comporte une peine », que « toute entreprise présente des difficultés » selon le Robert, mais ce sens n’est pas calculable à partir de la composition interne de la phrase en question, qui pourrait nous conduire aussi bien à une interprétation métaphorique selon laquelle, à l’image d’une rose bardée d’épines, la beauté serait redoutable ou menaçante, tout comme à d’autres interprétations étrangères au sens du proverbe.
C’est pour répondre à ce genre d’observations que Kleiber (1989a) assimile les expressions idiomatiques et les proverbes à des dénominations, c’est-à-dire à des unités de sens codées préalablement mémorisées, plutôt qu’à des représentations construites par composition syntaxico-sémantique interne. L’approche de Kleiber vise à rendre compte de ce qui est prédéterminé et globalement codé dans le sens des proverbes. C’est en tant que dénominations, c’est-à-dire comme unités codées, que les proverbes font écho à une voix collective. Comme le soutient Kleiber (1999a : 65), « le locuteur n’est nullement le maître de la forme du proverbe qu’il énonce et s’il en va ainsi, c’est bien parce que la phrase énoncée est une dénomination, c’est-à-dire l’association stable d’une forme et d’un sens. De même que l’usager d’un substantif ou d’un adjectif n’est pas le responsable de la forme du substantif ou de l’adjectif, de même il n’est pas responsable de la forme du proverbe qu’il emploie ». En tant qu’expressions idiomatiques, les proverbes sont des sortes de « dénominations d’un type très très spécial » explique Kleiber, de rang phrastique et même supérieur à la phrase, impliquant parfois un enchaînement de phrases, une relation implicative. Au minimum, les proverbes sont fondés sur une phrase idiomatique simple prise comme un tout, comme dans les exemples ci-dessous :
Il faut appeler un chat un chat
Il faut laver son linge sale en famille
Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué
Bien entendu nombre de phrases prescriptives en il faut ne sont pas des proverbes, car elles ne correspondent pas à des unités de sens codé, c’est-à-dire à des phrases idiomatiques.
Quand faut y aller faut pas traînasser, par exemple, n’est pas un proverbe, contrairement à Quand faut y aller faut y aller, qui correspond à une unité de sens codé, c’est-à-dire à une phrase idiomatique et donc échoïque correspondant à une dénomination selon Kleiber. On peut le vérifier par l’incompatibilité de comme on dit avec la première dans sa portée, et corrélativement par sa parfaite adéquation avec la seconde. Et de même, les phrases ci-dessous ne sont pas des proverbes, car alors la phrase entière n’est pas idiomatique, comme en témoigne la portée de comme on dit qui se limite à une simple locution verbale issue des proverbes précédents :
Je vais appeler un chat un chat
Tu devrais laver ton linge sale en famille
Il a vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué
Quel que soit ce qui oppose par ailleurs les phrases proverbiales aux simples locutions de rang syntagmatique, les deux reposent en tout cas sur une forme idiomatique échoïque, que Kleiber met au compte d’une dénomination linguistique. L’approche de Kleiber consiste à sa manière à intégrer la force échoïque des expressions idiomatiques à leur sens linguistique dénominatif. L’expression comprend alors, dans son sens même, de par son caractère idiomatique, une allusion aux usages dont elle procède et auxquels elle fait écho. La conception des proverbes comme dénomination que défend Kleiber ne me semble recevable que si l’on conçoit l’ensemble des expressions idiomatiques – du moins à un certain stade, transitoire, de leur dérivation diachronique pour les expressions de rang syntagmatique – comme une forme particulière de dénomination consistant à faire écho à ses énonciations passées. Cela revient en fait à assimiler les proverbes et autres locutions à des expressions délocutives, telles que définies par Anscombre et Ducrot notamment.[5]La première approche linguistique de la notion de délocutivité revient à Benveniste (1966). Sur la généralisation et l’exploitation de cette notion en sémantique, voir Cornulier (1976), Anscombre et Ducrot (1983). Voir aussi Anscombre (1985).
Plus précisément, les expressions idiomatiques correspondent à des expressions auto-délocutives consistant à dénommer ce que représentent leurs énonciations passées auxquelles elles font écho. De même que bisser, par exemple, dénomme une action par allusion délocutive à un usage consistant à crier Bis ! (Benveniste, 1966), vendre la peau de l’ours ou Il ne faut pas vendre la peau de l’ours dénomment qu’il ne faut pas triompher trop vite, mais par allusion auto-délocutive à un usage énonciatif évoquant métaphoriquement la vente d’une peau d’ours pas encore tué. C’est par allusion délocutive à ses usages métaphoriques antérieurs que Il n’y a pas de roses sans épines dénomme un état de choses selon lequel la perfection n’est pas de ce monde. La phrase est alors dénomination délocutive, c’est-à-dire citative ou échoïque de ses énonciations passées, plutôt que simple description proposition-nelle d’un état de choses. Certes la phrase possède un sens propositionnel calculable et intelligible, mais ce sens n’est pas libre. Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ne signifie pas, par exemple, que l’on ne doit pas se vanter de ce que l’on ne sait pas faire (comme tuer un ours), pas davantage que Il n’y a pas de roses sans épines ne signifie que la beauté serait redoutable ou menaçante (comme une rose bardée d’épines). Ces interprétations sont compatibles avec ce que les phrases en question représentent au plan propositionnel et allégorique, mais non avec ce qu’elles dénomment au plan idiomatique et donc échoïque, relativement à leurs énonciations passées. Les phrases proverbiales ne signifient que ce qu’elles dénomment, c’est-à-dire ce qu’elles montrent, en vertu de leur forme idiomatique délocutive, de ce que représentent leurs énonciations passées. Leur force délocutive n’est en fait qu’une instruction donnée à l’interprète de se référer à leurs énonciations passées auxquelles elles font écho, pour identifier ce qu’elles dénomment.[6]La relation iconique de ressemblance formelle sur laquelle se fondent les séquences échos selon Sperber et Wilson permet de rendre compte de ce qui est perçu comme idiomatique et donc plus ou moins figé dans la forme et le sens des locutions et proverbes. Le figement – que (Anscombre 2000b, 2003b) juge inadéquat aux proverbes en raison du fait qu’il implique une identité formelle entre les occurrences d’une même séquence – n’est en fait que le terme absolu d’une ressemblance graduelle. Il n’y a pas de solution de continuité entre la ressemblance formelle que doivent … Continue reading
3. LES PROVERBES COMME PHRASES GENERIQUES
Bien entendu ces observations ne suffisent pas à définir les proverbes. Ainsi les phrases ci-dessous par exemple, bien qu’idiomatiques et donc délocutives, ne sont pas pour autant des proverbes :
À bon entendeur salut
Qui m’aime me suive
Il ne faut pas lui jeter la pierre
Comme le soutiennent la plupart des études récentes, les phrases proverbiales ne représentent pas un fait occasionnel et contingent, mais une situation générique (Norrick, 1985 ; Kleiber, 1989a ; Anscombre, 1989, 1994 ; Arnaud, 1991 ; Gouvard, 1996). À bon entendeur salut n’est pas un proverbe en raison du fait que la formule salut ne renvoie pas à un contenu générique, mais à la force d’avertissement de l’énonciation effective du locuteur. Et de même en ce qui concerne Qui m’aime me suive, en raison des pronoms de première personne. On pourrait multiplier les exemples et traquer les différents facteurs de blocage susceptibles d’expliquer que telle ou telle phrase idiomatique n’est pas interprétable comme générique et donc comme un proverbe. Le pronom lui, par exemple, suffit à neutraliser, dans le cadre d’une phrase idiomatique comme Il ne faut pas lui jeter la pierre, toute interprétation proverbiale. Tout comme les phrases comprenant un ce démonstratif, en raison du fait qu’elles s’appliquent forcément à un événement particulier :
Ce n’est pas la mer à boire
C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase
C’est bonnet blanc et blanc bonnet
Si l’on met à part ces facteurs de blocage du sens générique, nombre de phrases idiomatiques que Kleiber (1989a) appelle événementielles :
Il n’y a pas péril en la demeure
Il faut prendre la balle au bond
Il ne faut pas tourner autour du pot
Tout est bien qui finit bien
Les carottes sont cuites
ne se distinguent pas formellement de certaines phrases idiomatiques génériques et donc proverbiales :
Il n’y a pas de roses sans épines
Il faut laver son linge sale en famille
Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs
Tout vient à point à qui sait attendre
Les paroles s’envolent
Rien ne vient alors imposer formellement le sens générique et proverbial dans ces derniers exemples, ni bloquer une telle interprétation pour imposer respectivement le sens événementiel des précédents. Il n’y a pas péril en la demeure, par exemple, pourrait ne pas être une phrase idiomatique événementielle, mais générique et proverbiale en français. Tout comme inversement la phrase Il n’y a pas de roses sans épines pourrait ne pas être générique et proverbiale, mais événementielle. Et de même, l’interprétation spécifique des syntagmes nominaux dans Les carottes sont cuites, La mariée est trop belle, ne s’impose pas dans l’absolu ; tout comme ne s’impose pas l’interprétation générique dans Les paroles s’envolent. Simplement l’énonciation collective à laquelle les phrases du premier groupe font écho vise un événement particulier, tandis que celle à laquelle font écho les phrases du second représente une situation générique. La visée événementielle et respectivement générique proverbiale de ces deux ensembles de phrases tient exclusivement à la force délocutive de la dénomination qui s’y rapporte. Le meilleur test permettant d’opposer ces deux sortes de phrases consiste à tenter d’y insérer cette fois, pour une fois, ou toute autre formule impliquant une interprétation incompatible avec la généricité des proverbes (Kleiber, 1989a ; Anscombre, 2006a). Seules les phrases idiomatiques événementielles tolèrent ce genre de manipulation :
Cette fois, ce n’est pas la mer à boire
Tout est bien qui finit bien, pour une fois
Appliquée aux proverbes, cette même manipulation les transforme en phrases événementielles, qui présupposent alors une forme de réfutation de la validité du proverbe correspondant :
Ce soir au moins, il n’y a pas de rose sans épines
Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs, cette fois
Tout vient à point à qui sait attendre, pour une fois
En tant que phrases génériques, les proverbes se combinent en revanche par ailleurs assez aisément avec normalement, toujours, généralement, souvent, ou avec jamais, rarement, lorsqu’ils sont à la forme négative (Anscombre 1994 : 2006) :
Il faut toujours laver son linge sale en famille
C’est dans les vieux pots qu’on fait souvent les meilleures soupes
C’est rarement à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces
Si l’on tente d’opérer ce genre de manipulation sur une phrase idiomatique événementielle, l’effet semble être alors de la proverbialiser, d’en faire une sorte de pseudo proverbe :
Rien ne tombe jamais dans l’oreille d’un sourd
C’est toujours la dernière goutte qui fait déborder le vase
Rira souvent bien qui rira le dernier
Malgré la netteté de ce qui oppose généralement les phrases idiomatiques événementielles aux phrases proverbiales, certaines semblent néanmoins ambivalentes. Les manipulations qui précèdent s’appliquent alors alternativement sans trop de difficultés, imposant respectivement soit une interprétation événementielle, soit une interprétation générique et donc proverbiale. Tout se passe comme si la dénomination délocutive était alors compatible avec les deux sortes d’interprétation :
Il y a loin de la coupe aux lèvres, cette fois
Il y a souvent loin de la coupe aux lèvres
Il ne faut pas jeter de l’huile sur le feu, pour une fois
Il ne faut jamais jeter de l’huile sur le feu
Étant entendu que les proverbes sont des phrases génériques, Anscombre (1994) s’interroge dès lors assez naturellement sur le type de généricité impliquée dans les proverbes. S’agit-il de phrases typifiantes a priori exprimant une vérité préétablie, un savoir lié à un stéréotype préexistant à l’énonciation (comme Les castors construisent des barrages, Les singes mangent des bananes) ? Ou s’agit-il de phrases typifiantes locales exprimant une opinion que seule l’énonciation de la phrase établit comme typique (comme Les castors sont têtus, Les singes aiment les tartines). Étant unanimement perçus comme établissant une croyance consensuelle, les proverbes semblent à première vue devoir être rangés, comme cherchent à le faire Anscombre et finalement Kleiber (2002), du côté des phrases exprimant un stéréotype. Anscombre (1994) fait valoir à ce sujet que les proverbes se comportent à différents niveaux comme des phrases exprimant un stéréotype, plutôt que comme des phrases d’opinion.[7]Il relève notamment que les proverbes comme les stéréotypes ne tolèrent que la négation polémique, qu’ils ne peuvent être conclusifs (ils se laissent difficilement introduire par alors ou donc), et ne peuvent par ailleurs être préfacées par je pense, à mon avis. Ce genre de manipulations ne pose en revanche aucun problème aux phrases d’opinion. Il en conclut prudemment que « d’une certaine façon (je souligne), le proverbe joue le rôle d’un stéréotype (…). Il nous semble que l’utilisation des proverbes – et non le proverbe lui-même – relève d’une certaine stéréotypicité » (1994 :105). La prudence d’Anscombre sur ce point me semble bienvenue, car ses tests ne démontrent pas que les proverbes expriment nécessairement un stéréotype ; les tests d’Anscombre montrent seulement que les proverbes se comportent comme des phrases exprimant un stéréotype, ce qui est tout à fait différent.
Avant de poursuivre la discussion, je précise que la solution avancée dans la dernière partie de cette étude consiste à ne pas alourdir inutilement la tâche dévolue à la généricité et à la vérité exprimée dans les proverbes. Les stéréotypes ont trait à la vérité et au savoir. Les proverbes en revanche ne sont pas détenteurs d’un savoir, mais d’un point de vue associé à une formule (Tamba, 2000a). Les proverbes ont trait au langage et à l’énonciation ; ils ne sont pas tant une affaire de vérité que d’opinion et d’argumentation par la voix collective à laquelle ils font écho. Vu sous cet angle ils se rapprochent davantage, en tant que phrases génériques, des phrases d’opinion que de celles exprimant un stéréotype. Quelles que soient les similitudes entre proverbes et stéréotypes, il n’en demeure pas moins que la vérité exprimée par beaucoup de proverbes n’est nullement avérée a priori ; les proverbes ne la posent pas comme telle. Mais alors la question reste entière. Comment expliquer que les proverbes se comportent pragmatiquement (si ce n’est sémantiquement) comme des phrases génériques vraies a priori, notamment face aux différents tests proposés par Anscombre, s’il ne s’agit que de phrases d’opinion ?
4. Les proverbes comme idiotismes doxals
Plutôt que de chercher une explication, avec Anscombre ou Kleiber, du côté de la généricité des proverbes, je voudrais faire apparaître qu’une telle propriété repose simplement sur leur nature idiomatique, plus précisément sur la force citative ou délocutive liée à ce que dénomment les phrases idiomatiques génériques. La question essentielle, en ce qui concerne les proverbes, ne tient pas tant à ce qui oppose les phrases exprimant un stéréotype aux phrases d’opinion parmi les phrases génériques. La question essentielle, un peu laissée en suspens au point 3, tient à mon sens à ce qui oppose, parmi les phrases idiomatiques, les phrases génériques aux phrases événementielles. On observe notamment à ce sujet que la dimension délocutive de la dénomination attachée aux proverbes n’a pas du tout la même valeur que celle des phrases idiomatiques événementielles, qui de son côté est semblable à celles des locutions. On le mesure en insérant dans la portée de comme on dit une simple locution verbale ou une phrase idiomatique événementielle :
Il a pris la balle au bond, comme on dit
Ce n’est pas la mer à boire, comme on dit
Dans ces conditions, le ON-locuteur responsable de l’énonciation collective à laquelle l’expression fait écho ne prend nullement en charge ce qui est dit, en l’occurrence (s’il est vrai) que quelqu’un a pris la balle au bond, que ce n’est pas la mer à boire. L’acte d’affirmation, le contenu associé à ce qui est dit, la vérité qui s’y rapporte, tout cela reste alors sous la seule responsabilité du locuteur effectif identifié au sujet parlant. Le ON-locuteur n’assume ici que l’énonciation de l’expression, non l’acte d’affirmation ni la vérité qui s’y rapporte. Aucune forme de ON-vérité (Berrendonner, 1981) n’est attachée à la signification des locutions et phrases idiomatiques événementielles. Nous parlerons à ce sujet d’idiotisme locutoire, correspondant à une simple forme de modalisation autonymique (au sens d’Authier-Revuz, 1995).
Rien de tel en revanche en ce qui concerne les proverbes. Dans Il n’y a pas de roses sans épines, comme on dit, le ON-locuteur prend alors bel et bien en charge non seulement la force locutoire associée à l’énonciation de la phrase, mais la force illocutoire ainsi que le contenu de l’assertion, l’information, la vérité qui s’y rapporte. Les proverbes tiennent à une forme de « modalisation en discours second » (Authier-Revuz, 1995), plutôt que de simple « modalisation autonymique ». On peut éprouver cette opposition en substituant le verbe savoir au verbe dire, dans nos derniers exemples. En cas de locution figée ou de phrase idiomatique événementielle dans sa portée, comme on sait ne porte plus sur l’énonciation de l’expression, mais sur l’événement qu’elle relate :
Il a pris la balle au bond, comme on sait
Ce n’est pas la mer à boire, comme chacun sait
Or cette substitution n’a pas du tout le même effet dans le cas des proverbes, car alors le ON-locuteur endosse non seulement l’énonciation de la phrase, mais l’acte d’affirmation d’un contenu doxal. On comprend ainsi que si les proverbes se comportent en apparence comme des phrases génériques vraies a priori, cela ne tient pas en soi à la vérité qu’ils expriment, qui n’a pas besoin d’être stéréotypique et donc de préexister à leur énonciation. C’est alors l’ancestralité de l’assertion collective en quoi consiste l’énonciation des proverbes qui donne à l’opinion sa force de conviction. Cette propriété, attachée à la nature idiomatique des proverbes, les oppose non seulement aux phrases idiomatiques événementielles, qui ne sont en rien doxales, mais aussi aux simples stéréotypes, qui ne sont en rien idiomatiques. Ce n’est pas alors la croyance exprimée par les proverbes qui précède (et transcende) leur énonciation comme dans le cas des phrases exprimant un stéréotype. C’est alors au contraire la force de conviction associé à la voix collective de l’énonciation des proverbes qui transcende la vérité qu’ils expriment.
Rien n’interdit bien sûr d’admettre que certains proverbes expriment accessoirement un stéréotype. Les proverbes suivants, par exemple, ont ceci de particulier qu’ils consistent à confirmer idiomatiquement ce qui correspond peut-être à une idée reçue :
Tel père tel fils
L’union fait la force
La curiosité est un vilain défaut
Ce qui n’est pas forcément le cas des suivants :
Souvent femme varie
L’habit ne fait pas le moine
Chaque chose en son temps
Et moins encore des suivants qui semblent plutôt contrer, réfuter un stéréotype :
Qui aime bien châtie bien
Qui fait l’ange fait la bête
L’enfer est pavé de bonnes intentions
Comme l’a relevé Kleiber (1989a) à propos de Qui aime bien châtie bien, le châtiment ne fait évidemment pas partie du stéréotype amoureux. Pas davantage que la bête n’est dans le stéréotype de l’ange, ou que les bonnes intentions ne conduisent communément à l’enfer. Loin d’exprimer et donc de confirmer un stéréotype, les proverbes de ce genre consistent au contraire à réfuter un stéréotype à l’aide d’un idiotisme. Qui aime bien châtie bien réfute un stéréotype associant amour et indulgence, Qui fait l’ange fait la bête, L’enfer est pavé de bonnes intentions récusent l’angélisme, A quelque chose malheur est bon s’en prend au caractère irrémédiable du malheur, L’argent ne fait pas 1e bonheur s’attaque aux rêves de richesse. Le réservoir de proverbes anti-stéréotypiques semble inépuisable. Dans son ouvrage sur les formes figées de la langue, Palma (2007) oppose deux genres de proverbes consistant respectivement à exprimer et à contrer un stéréotype. Or un grand nombre de proverbes rangés par Palma dans la première catégorie peuvent être reversés dans la seconde. Beaucoup de proverbes expriment en effet une sorte de truisme en vue de contester un stéréotype plus abstrait. On ne meurt qu’une fois réfute la gravité de la mort, Il n’y a pas de rose sans épines s’en prend à l’idée même de perfection. L’habit ne fait pas le moine ne consiste pas sémantiquement à confirmer un stéréotype selon lequel les apparences sont trompeuses, mais à réfuter un stéréotype visant au contraire à se fier aux apparences. Tout comme inversement Il n’y a pas de fumée sans feu réfute un stéréotype selon lequel les apparences sont trompeuses. Même les proverbes comme Il ne faut pas vendre la peau de l’ours, Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs consistent sémantiquement à réfuter différents stéréotypes de comportement humain consistant à agir à l’envers du bon sens. A y regarder de près, la plupart des proverbes ont une fonction réfutative, plutôt que confirmative d’un stéréotype. Le nombre élevé de proverbes assortis d’une négation polémique en témoigne notamment.
Il a été souligné à diverses reprises (Buridant, 1984 ; Anscombre, 1984 ; Riegel, 1987 ; Kleiber, 2002) que les proverbes mettent en jeu, parfois à un niveau sémantique abstrait, davantage qu’une simple prédication générique, plutôt une forme implicative comme ‘Si on se trouve engagé dans telle situation, alors il s’ensuit telle situation’. En fait d’implication, je dirais qu’il faut en tout cas se garder d’y voir un stéréotype conclusif. Ainsi les proverbes à structure métrique binaire (Anscombre, 2000a), qui manifestent formellement une telle implication, n’expriment pas généralement un topos du type ‘On aime bien donc on châtie bien’, ‘On fait l’ange alors on fait la bête’. À de rares exceptions comme Tel père, tel fils, la relation entre les termes implique le plus souvent un contre-argument dans les proverbes, incompatible avec un connecteur consécutif comme alors ou donc. Parmi les connecteurs possibles, néanmoins, pourtant, pourraient faire l’affaire, mais c’est eh bien qui semble le meilleur candidat, car ce connecteur sert à qualifier précisément une conséquence comme inattendue, contraire aux prévisions d’un stéréotype (Ducrot et al., 1980). Ce connecteur accompagne assez adéquatement la relation implicative liée à nombre de proverbes :
Qui aime bien, eh bien châtie bien
Qui fait l’ange, eh bien fait la bête
Même les proverbes dont la structure métrique ne marque pas à première vue d’implication s’accommodent volontiers de eh bien :
L’enfer, eh bien il est pavé de bonnes intentions
La mort, eh bien elle ne survient qu’une fois.
Les roses, eh bien elles ne sont pas sans épines
Les proverbes sont généralement des idiotismes réfutatifs (plutôt que confirmatifs) d’un stéréotype ; ils consistent à réfuter un stéréotype implicatif. On a souvent soutenu que les proverbes véhiculaient une pensée commune, une sagesse des anciens. Certes ! Mais il faut préciser qu’il s’agit d’une sagesse avant tout verbale, sous le contrôle d’une forme d’idiotisme à la fois doxal et généralement polémique, plutôt que d’une simple vérité partagée. Ce qui fait la force des proverbes, leur pérennité, leur vivacité, c’est qu’ils mettent en jeu une opinion subversive attachée à l’énonciation collective d’une phrase idiomatique à laquelle ils font écho. Une sagesse si l’on veut, qui se veut ancienne et collective, et qui puise sa force dans les usages associés au langage, les conventions énonciatives associées à la langue même, pour s’en prendre aux idées reçues.
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La parole exemplaire
Introduction à une étude linguistique des proverbes
Jean-Claude Anscombre
Bernard Darbord
Alexandra Oddo
Sommaire
Les auteurs 5
Présentation 9
Partie I
Parémiologie : études synchroniques
Pour une théorie linguistique du phénomène parémique 21
Jean-Claude Anscombre
Sémiotique du proverbe 40
Georges Kleiber
L’énonciation des proverbes 53
Laurent Perrin
Proverbes doxaux et paradoxaux 67
Silvia Palma
Les phrases parémiques en action 81
Jean-Claude Anscombre
La tautologie dans l’énoncé parémique 95
Charlotte Schapira
Les moules proverbiaux en français contemporain 114
Sonia Gómez-Jordana Ferari
Phénomènes de troncature 133
Alexandra Oddo
Matrices rythmiques et parémies 147
Jean-Claude Anscombre
Intonation, rythme et eurythmie de locutions
et proverbes français 159
Philippe Martin
La rhétorique du proverbe 170
Bernard Darbord
Quand la métaphore passe en proverbe 183
Irène Tamba
Détournements et modifications des proverbes et autres
parémies dans la presse quotidienne espagnole 197
Fernando Navarro
Slogans et proverbes : deux paroles « mythiques » 212
Stéphanie Pahud
Partie II
Parémiologie : études diachroniques
Le statut des proverbes en diachronie 229
Amalia Rodríguez Somolinos
Les mentalités médiévales dans les proverbes 244
Philippe Ménard
Réflexion sur l’évolution des proverbes en diachronie 260
Alexandra Oddo, Bernard Darbord
Le refranero hispanique 279
Hugo Oscar Bizzarri
Les proverbes en Espagne 293
André Gallego-Barnés
Les proverbes en rimes en France (1180–1500) 314
Elizabeth Schultze-Busacker
Changements et continuités dans le traitement du proverbe
dans les dictionnaires du XVIIe siècle 328
Brigitte Lépinette, Julia Pinilla
Partie III
Parémiographie
Le cycle climatique dans le Refranero agricola español 345
Ángel Iglesias Ovejero
Calendriers, saint(e)s et dictons hagiographiques 362
Pilar Corbacho
La constitution des corpus proverbiaux contemporains 375
Julia Sevilla Muñoz
Pas de rose sans épines 387
Sylvia Palma
Analyse contrastive et syntaxique des proverbes espagnols et
français en a/à ; más vale/mieux vaut ; no/ne ; quien/qui… 400
Pedro Mogorrón Huerta et Lucía Navarro Brotons
Index des notions 453
Consulter publication originale
Notes
⇧1 | Qui reprend une précédente approche des proverbes présentée dans Perrin (2000), et revisitée récemment dans Perrin (à paraître), dont cette étude revoit et précise les grandes lignes. |
---|---|
⇧2 | Définitoire des interjections, insultes et exclamations notamment, des expressions énonciatives en quoi consistent les modalisateurs, adverbes d’énonciation, connecteurs et marqueurs discursifs divers (Perrin 2010). |
⇧3 | On peut ainsi distinguer les proverbes, qui font écho à une énonciation collective, des sentences d’auteurs et autres maximes, qui font écho à une occurrence inaugurale – les deux n’étant pas incompatibles. |
⇧4 | Il en découle que les proverbes ne correspondent pas à un simple« raisonnement par autorité », mais à une forme d’« argument d’autorité polyphonique », selon l’opposition de Ducrot (1984). Plutôt qu’à un simple discours rapporté référentiel, les proverbes correspondent à une forme de « modalisation en discours second » (Authier-Revuz, 1995), ou encore à une valeur médiative (ou évidentielle) d’ouï-dire (Anscombre, 2000). |
⇧5 | La première approche linguistique de la notion de délocutivité revient à Benveniste (1966). Sur la généralisation et l’exploitation de cette notion en sémantique, voir Cornulier (1976), Anscombre et Ducrot (1983). Voir aussi Anscombre (1985). |
⇧6 | La relation iconique de ressemblance formelle sur laquelle se fondent les séquences échos selon Sperber et Wilson permet de rendre compte de ce qui est perçu comme idiomatique et donc plus ou moins figé dans la forme et le sens des locutions et proverbes. Le figement – que (Anscombre 2000b, 2003b) juge inadéquat aux proverbes en raison du fait qu’il implique une identité formelle entre les occurrences d’une même séquence – n’est en fait que le terme absolu d’une ressemblance graduelle. Il n’y a pas de solution de continuité entre la ressemblance formelle que doivent respecter les diverses occurrences d’un même proverbe et le figement attaché à l’identité de certaines locutions. On peut observer notamment que plus une séquence échoïque est complexe, plus la ressemblance peut être faible ou diffuse entre ses occurrences, et donc inversement que moins une séquence est complexe, plus la ressemblance entre ses occurrences est proche de l’identité. On comprend ainsi que les locutions simples comme casser la croûte apparaissent comme davantage figées que les formes plus complexes comme noyer son chagrin dans l’ivresse ou l’alcool, la bouteille, qui elles-mêmes sont moins libres que les proverbes, qui s’accommodent souvent de nombreuses variations comme Pas de roses sans épines, Nulle rose sans épines, La roses a ses épines, Les roses ne sont pas sans épines, etc. La ressemblance suffit cependant alors à établir le sens codé délocutif de la dénomination. Et l’on peut observer en outre que plus une séquence est complexe et la ressemblance diffuse entre ses occurrences, plus l’effet échoïque est marqué (ou sensible, perceptible). On comprend ainsi que la force citative des proverbes soit plus sensible que celle des locutions, qui elle-même est d’autant plus sensible que l’expression est complexe et que la ressemblance est diffuse. Si les proverbes partagent les propriétés échoïques de bon nombre de locutions, il n’en demeure pas moins que la plupart des dénominations simples, notamment les mots simples et certaines locutions très lexicalisées comme tenir tête ou prêter l’oreille, ne semblent produire aucun effet échoïque comparable à celui des proverbes. Les mots simples en particulier n’ont aucune affinité par défaut avec comme on dit, malgré leur nature de dénominations. |
⇧7 | Il relève notamment que les proverbes comme les stéréotypes ne tolèrent que la négation polémique, qu’ils ne peuvent être conclusifs (ils se laissent difficilement introduire par alors ou donc), et ne peuvent par ailleurs être préfacées par je pense, à mon avis. Ce genre de manipulations ne pose en revanche aucun problème aux phrases d’opinion. |