Dans J.-C. Ans­combre, B. Dar­bord et A. Oddo (dir.)
La parole exem­plaire. Intro­duc­tion à une étude lin­guis­tique des proverbes
Armand Colin, 2012, 53–66

 


L’ENONCIATION DES PROVERBES

Laurent Per­rin
Uni­ver­si­té de Lor­raine, CREM

 

Les pro­verbes sont sou­vent appré­hen­dés comme un patri­moine ver­bal issu d’une tra­di­tion ances­trale, atta­chée tant à l’oralité qu’aux ori­gines du lan­gage et à la culture popu­laire. La concep­tion énon­cia­tive des pro­verbes qui sera pro­po­sée dans cette étude per­met de rendre compte de cette intui­tion comme d’une pro­prié­té de l’énonciation des phrases pro­ver­biales, telle qu’elle se trouve ins­truite par le sens même des phrases en ques­tion. Non seule­ment les pro­verbes peuvent être le fruit d’une habi­tude effec­tive, d’une rou­tine par­fois ancienne, consis­tant à énon­cer une phrase en cer­taines cir­cons­tances, mais sur­tout ce sont les phrases mêmes en quoi consistent les pro­verbes qui qua­li­fient leurs énon­cia­tions comme le fruit d’une telle habi­tude. Cette der­nière n’est donc pas sim­ple­ment (ou même pas for­cé­ment) un fait his­to­rique effec­tif, mais une vir­tua­li­té séman­tique que portent les phrases pro­ver­biales, vir­tua­li­té qui s’écarte par­fois, ou du moins met en scène et donc recons­ti­tue fic­ti­ve­ment le fait his­to­rique. Les phrases mêmes de la langue en quoi consistent les pro­verbes qua­li­fient leurs énon­cia­tions vir­tuelles (dont l’é­non­cia­tion effec­tive n’est qu’une occur­rence avé­rée) comme le fait d’une habi­tude col­lec­tive. Par quels moyens séman­ti­co-prag­ma­tiques ? C’est ce à quoi nous allons ten­ter de répondre dans cette étude.[1]Qui reprend une pré­cé­dente approche des pro­verbes pré­sen­tée dans Per­rin (2000), et revi­si­tée récem­ment dans Per­rin (à paraître), dont cette étude revoit et pré­cise les grandes lignes.

Par­tant de ce qui carac­té­rise les prin­ci­paux aspects de l’énonciation des pro­verbes, nous obser­ve­rons qu’ils cor­res­pondent à des phrases idio­ma­tiques consis­tant à faire écho à leurs énon­cia­tions pas­sées, non seule­ment comme acte locu­toire, mais comme asser­tion d’un point de vue lié à un conte­nu doxal. L’approche pro­po­sée se veut une approche prag­ma­tique inté­grée du sens des pro­verbes. Elle s’inspire d’une concep­tion de l’énonciation dans la langue à la Ducrot, pour entrer en dia­logue avec Ans­combre et Klei­ber sur les pro­prié­tés séman­tiques des proverbes.

 

1. LES PROVERBES COMME ENONCIATION COLLECTIVE

Par­mi les pro­prié­tés défi­ni­toires des pro­verbes, on admet géné­ra­le­ment qu’ils n’expriment pas un point de vue per­son­nel du locu­teur ou de qui ce soit, mais une véri­té ou un juge­ment col­lec­tif, par­ta­gé par un groupe social ou une com­mu­nau­té lin­guis­tique (Ollier, 1976 ; Ans­combre, 1984 ; Nor­rick, 1985 ; Klei­ber, 1989a ; Gou­vard, 1996). Ans­combre (1994 : 100) par exemple, for­mule une hypo­thèse selon laquelle « celui qui énonce un pro­verbe, s’il est bien le locu­teur du pro­verbe, n’est pas l’auteur de ce pro­verbe ; en termes de poly­pho­nie, il n’est pas l’énonciateur du prin­cipe qui y est atta­ché ». Klei­ber (1999) pré­cise sur ce point à juste titre que celui qui a recours à un pro­verbe n’endosse en fait per­son­nel­le­ment ni le prin­cipe asso­cié au conte­nu que la phrase exprime, ni la phrase même qui le porte (l’énonce), sa forme lin­guis­tique, son inter­pré­ta­tion (le choix des termes, sa construc­tion, la figure même que la phrase ins­taure le cas échéant). Sous un angle poly­pho­nique, l’autorité col­lec­tive atta­chée aux pro­verbes n’implique donc pas seule­ment l’énon­cia­teur d’un prin­cipe, mais l’énonciation même de la phrase pro­ver­biale, l’acte locu­toire consis­tant à l’énoncer. Plu­tôt un ON-locu­teur donc, au sens défi­ni par Ans­combre (2000, 2005), qu’un simple énon­cia­teur au sens de Ducrot (1984). Cette dimen­sion poly­pho­nique des pro­verbes a été ados­sée à deux bat­te­ries de tests asso­ciés res­pec­ti­ve­ment au fait que les pro­verbes ne se moda­lisent pas (ou mal) à l’aide de je trouve que (Ans­combre, 1989), selon moi, à mon avis, il me semble (Ans­combre, 1994), sin­cè­re­ment (Ans­combre, 1989), et d’autre part qu’ils se com­binent en revanche aisé­ment avec comme on dit, comme dit le pro­verbe, le pro­verbe dit que…

Cette dimen­sion col­lec­tive de l’énonciation des pro­verbes a été abor­dée, sous dif­fé­rents angles, dans les études de paré­mio­lo­gie. Les pro­verbes ont ain­si été assi­mi­lés à des énon­cés échoïques (Gou­vard, 1996 ; Klei­ber, 1999), au sens de Sper­ber et Wil­son (1989), c’est à dire à des sortes de men­tion cor­res­pon­dant à des cita­tions directes impli­cites. Énon­cer un pro­verbe, dans cette optique, c’est faire écho à ses énon­cia­tions pas­sées, et ce fai­sant rap­por­ter impli­ci­te­ment ce qui est cen­sé avoir été dit ailleurs. Chez Sper­ber et Wil­son, la force cita­tive des énon­cés échoïques ne tient pas à ce qui est dit (au plan concep­tuel et pro­po­si­tion­nel), mais à ce qui est mon­tré par le fait de dire, par l’énonciation de telle ou telle séquence dis­cur­sive si l’on s’en tient au style direct. Les pro­verbes consis­te­raient ain­si à mon­trer prag­ma­ti­que­ment qu’ils sont le fruit d’une énon­cia­tion col­lec­tive ances­trale. Selon Sper­ber et Wil­son, ce qui est mon­tré en écho tient à une rela­tion ico­nique de res­sem­blance entre telle ou telle séquence dis­cur­sive effec­tive et ce qui est cen­sé avoir été dit par le pas­sé. Sous l’angle sémio­tique peir­cien dont s’inspirent ici Sper­ber et Wil­son, ce qui est mon­tré s’oppose d’abord à ce qui est sym­bo­lique, c’est-à-dire concep­tuel ou pro­po­si­tion­nel (véri­con­di­tion­nel) à l’intérieur du sens. Le sens mon­tré peut être soit indi­ciel, soit ico­nique au sens peir­cien. Ce qui est indi­ciel ne va pas ici nous inté­res­ser ; le sens indi­ciel des expres­sions[2]Défi­ni­toire des inter­jec­tions, insultes et excla­ma­tions notam­ment, des expres­sions énon­cia­tives en quoi consistent les moda­li­sa­teurs, adverbes d’énonciation, connec­teurs et mar­queurs dis­cur­sifs divers (Per­rin 2010). ne concerne pas les pro­verbes, qui n’impliquent pas de rela­tion partie/tout (entre telle ou telle forme lin­guis­tique et telle ou telle pro­prié­té énon­cia­tive), mais un lien de res­sem­blance, de nature ico­nique, entre telle ou telle occur­rence de phrase et les énon­cia­tions pas­sées du pro­verbe aux­quelles elle fait écho.

L’un des points à cla­ri­fier à pro­pos des pro­verbes a trait au codage de cette force échoïque atta­chée à la forme lin­guis­tique de cer­tains énon­cés selon Sper­ber et Wil­son. Pour ces der­niers, les faits échoïques sont pure­ment prag­ma­tiques, impli­qués contex­tuel­le­ment par l’acte locu­toire consis­tant à énon­cer une séquence en vue de faire écho à son ou à ses énon­cia­tions pas­sées. L’approche des pro­verbes ini­tiée par Klei­ber et Ans­combre, et pour­sui­vie dans cette étude, est dif­fé­rente, dans la mesure où elle est à voca­tion séman­tique. Ce qui carac­té­rise essen­tiel­le­ment les pro­verbes dans cette optique, par­mi les simples formes de cita­tions directes impli­cites, tient au fait que leur force cita­tive (ou échoïque), le mode sémio­tique ico­nique qui s’y rap­porte, sont codés dans la langue, dans la forme même des phrases pro­ver­biales. Cette force n’est donc pas seule­ment recon­nue contex­tuel­le­ment, par un lien de res­sem­blance entre occur­rences suc­ces­sives for­mel­le­ment sem­blables, comme lors de simples reprises, répé­ti­tions de ce qui a été dit pré­cé­dem­ment. Et par ailleurs cette force n’est pas non plus le fruit d’une asser­tion méta­lin­guis­tique comme lors d’un simple dis­cours rap­por­té – sauf lorsque le recours au pro­verbe est expli­ci­te­ment qua­li­fié en incise alors redon­dante (comme dit le pro­verbe), ou régie par un verbe de dire au style direct (le pro­verbe dit que…) (Tam­ba 2008). La force cita­tive des pro­verbes n’est ni contex­tuelle ou inter­tex­tuelle, ni l’objet d’une asser­tion méta ; elle est d’abord et avant tout conven­tion­nelle, codée lin­guis­ti­que­ment dans la forme des phrases proverbiales.

La consé­quence la plus spec­ta­cu­laire de cet état de chose tient au fait que les pro­verbes ne peuvent être énon­cés que sous la forme de cita­tions. On ne peut que citer, c’est-à-dire men­tion­ner un pro­verbe, au sens des logi­ciens ; on ne peut employer pure­ment et sim­ple­ment une phrase pro­ver­biale en vue d’exprimer son propre point de vue. D’où pré­ci­sé­ment la dif­fi­cul­té de moda­li­ser un pro­verbe à l’aide d’une for­mule comme je pense ou il me semble, ou d’un adverbe d’énonciation comme sin­cè­re­ment ; et d’où cor­ré­la­ti­ve­ment leur affi­ni­té avec comme on dit, comme dit le pro­verbe. Une autre consé­quence, en lien à la pré­cé­dente, tient au fait que les pro­verbes ne citent pas une occur­rence par­ti­cu­lière, mais l’ensemble de leurs énon­cia­tions vir­tuelles en toutes cir­cons­tances, y com­pris donc réflexi­ve­ment l’énonciation effec­tive dont ils sont l’objet.[3]On peut ain­si dis­tin­guer les pro­verbes, qui font écho à une énon­cia­tion col­lec­tive, des sen­tences d’auteurs et autres maximes, qui font écho à une occur­rence inau­gu­rale – les deux n’étant pas incom­pa­tibles.

Il importe sur ce der­nier point de pré­ci­ser que la force cita­tive atta­chée au sens des pro­verbes n’interdit en rien d’assimiler indi­rec­te­ment le sujet par­lant à la voix col­lec­tive à laquelle la phrase énon­cée fait écho. Bien au contraire, car la force cita­tive des pro­verbes donne lieu à une forme d’argument d’autorité (Ollier, 1976 ; Scha­pi­ra, 1987), qui incite à accor­der indi­rec­te­ment le sujet par­lant à la voix col­lec­tive ain­si invo­quée. Klei­ber sou­tient que le locu­teur d’un pro­verbe ne doit pas « croire per­son­nel­le­ment à son conte­nu, mais uni­que­ment […] accep­ter ce conte­nu, c’est-à-dire le prin­cipe atta­ché au pro­verbe » (1999 : 65). Or il appa­raît que non seule­ment le locu­teur effec­tif accepte le prin­cipe asso­cié au conte­nu de l’énonciation à laquelle il fait écho, mais il appa­raît en outre que le locu­teur croit bel et bien per­son­nel­le­ment et cherche à faire croire à ce conte­nu. En cas de désac­cord, le locu­teur est ain­si contraint de le pré­ci­ser expli­ci­te­ment (Le pro­verbe dit à tort). L’argument d’autorité en rhé­to­rique repose en effet sur une forme de dis­cours rap­por­té inci­tant à croire ce qui est rap­por­té. Comme argu­ment d’autorité, les pro­verbes impliquent donc une prise en charge, par le locu­teur effec­tif iden­ti­fié au sujet par­lant, de la voix col­lec­tive à laquelle la phrase énon­cée fait écho.

Dans le cas des pro­verbes, l’argument d’autorité tient à une forme de cita­tion directe, plu­tôt qu’à une quel­conque refor­mu­la­tion d’un point de vue rap­por­té comme au style indi­rect. Plu­tôt que de rai­son­ner par l’autorité d’un auteur indi­vi­duel, les pro­verbes se fondent sur l’autorité d’une voix col­lec­tive, dont la force auto­ri­taire repose pré­ci­sé­ment sur le carac­tère à la fois ancien et par­ta­gé, à l’épreuve du temps comme de l’émotion spon­ta­née du sujet par­lant. Plus fort que le point de vue asso­cié au conte­nu et au rai­son­ne­ment, c’est un argu­ment par la voix asso­ciée à la forme lin­guis­tique de l’énonciation (Per­rin 2009) qui est en jeu dans les pro­verbes. Énon­cer un pro­verbe, c’est non seule­ment rai­son­ner par auto­ri­té, mais c’est avant tout faire réson­ner la voix col­lec­tive ances­trale à laquelle la phrase énon­cée fait écho.[4]Il en découle que les pro­verbes ne cor­res­pondent pas à un simple« rai­son­ne­ment par auto­ri­té », mais à une forme d’« argu­ment d’autorité poly­pho­nique », selon l’opposition de Ducrot (1984). Plu­tôt qu’à un simple dis­cours rap­por­té réfé­ren­tiel, les pro­verbes cor­res­pondent à une forme de « moda­li­sa­tion en dis­cours second » (Authier-Revuz, 1995), ou encore à une valeur média­tive (ou évi­den­tielle) d’ouï-dire (Ans­combre, 2000).

Celui qui dit, par exemple, Tout vient à point à qui sait attendre, ou Qui va len­te­ment va sûre­ment, Chi va pia­no va sano, fait bien plus que d’affirmer qu’il faut être patient ou prendre son temps. Le locu­teur effec­tif prend alors bel et bien en charge l’affirmation, mais par la voix d’un ON-locu­teur. Le sens de l’affirmation résulte de l’énonciation col­lec­tive que la phrase encode, dont le conte­nu se sub­sti­tue alors comme un tout pré-mémo­ri­sé à ce que la phrase repré­sente hic et nunc. L’usage en fran­çais d’un pro­verbe ita­lien par exemple en témoigne. Nul besoin de savoir l’italien si le sens du pro­verbe a été préa­la­ble­ment mémo­ri­sé. Et de même, les nom­breux pro­verbes méta­pho­riques comme L’habit ne fait pas le moine, Il ne faut pas mettre la char­rue avant les bœufs, Il n’y a pas de roses sans épines, n’ont nul besoin pour être com­pris de redé­ployer à chaque fois leur sens méta­pho­rique dans toute son ampleur. Ce serait le cas si l’on avait affaire à une méta­phore vive, dans le cadre d’une allé­go­rie. Mais celles-ci sont d’une tout autre nature que dans les pro­verbes. Ce que la phrase repré­sente méta­pho­ri­que­ment dans un pro­verbe (comme dans toute méta­phore plus ou moins figée) n’est pas libre, mais pré­dé­ter­mi­né et codé comme un pur pro­duit de ses énon­cia­tions passées.

 

2. LES PROVERBES COMME PHRASES IDIOMATIQUES

Les pro­verbes ne sont de loin pas les seules expres­sions pour­vues d’une force échoïque ou cita­tive de ce genre. Ils par­tagent cette pro­prié­té avec l’ensemble des locu­tions ou expres­sions dites idio­ma­tiques ou figées, qui font éga­le­ment écho à leurs énon­cia­tions pas­sées. Ain­si les locu­tions de rang syn­tag­ma­tique comme cas­ser la croûte ou jeu d’enfant par­tagent l’affinité des pro­verbes avec la por­tée de comme on dit, comme dit l’expression. Que le test s’applique à un pro­verbe ou à une simple locu­tion de rang syn­tag­ma­tique, comme on dit témoigne de la force échoïque asso­ciée au carac­tère idio­ma­tique de toute expres­sion sus­cep­tible d’entrer dans sa portée.

Tout comme les pro­verbes, les expres­sions idio­ma­tiques cor­res­pondent à des séquences dis­cur­sives com­plexes, poly­lexi­cales, mais qui consti­tuent un tout par­tiel­le­ment inin­ter­pré­table par simple com­po­si­tion syn­taxi­co-séman­tique. Ain­si cas­ser la croûte signi­fie « man­ger », mais ce sens doit avoir été préa­la­ble­ment mémo­ri­sé pour pou­voir être appré­hen­dé. On peut certes l’analysera pos­te­rio­ri comme résul­tant d’une figure ori­gi­nelle concer­nant une croûte de pain que l’on brise sous la dent, mais ce sens ne peut être recons­ti­tué qu’après-coup. Et com­ment pré­voir sans savoir par avance que jeu d’enfant signi­fie « facile », plu­tôt qu’« amu­sant » ou « bébête » par exemple ? De même, Il n’y a pas de roses sans épines signi­fie qu’« il a des incon­vé­nients à toute chose », que « toute joie com­porte une peine », que « toute entre­prise pré­sente des dif­fi­cul­tés » selon le Robert, mais ce sens n’est pas cal­cu­lable à par­tir de la com­po­si­tion interne de la phrase en ques­tion, qui pour­rait nous conduire aus­si bien à une inter­pré­ta­tion méta­pho­rique selon laquelle, à l’image d’une rose bar­dée d’épines, la beau­té serait redou­table ou mena­çante, tout comme à d’autres inter­pré­ta­tions étran­gères au sens du proverbe.

C’est pour répondre à ce genre d’observations que Klei­ber (1989a) assi­mile les expres­sions idio­ma­tiques et les pro­verbes à des déno­mi­na­tions, c’est-à-dire à des uni­tés de sens codées préa­la­ble­ment mémo­ri­sées, plu­tôt qu’à des repré­sen­ta­tions construites par com­po­si­tion syn­taxi­co-séman­tique interne. L’approche de Klei­ber vise à rendre compte de ce qui est pré­dé­ter­mi­né et glo­ba­le­ment codé dans le sens des pro­verbes. C’est en tant que déno­mi­na­tions, c’est-à-dire comme uni­tés codées, que les pro­verbes font écho à une voix col­lec­tive. Comme le sou­tient Klei­ber (1999a : 65), « le locu­teur n’est nul­le­ment le maître de la forme du pro­verbe qu’il énonce et s’il en va ain­si, c’est bien parce que la phrase énon­cée est une déno­mi­na­tion, c’est-à-dire l’association stable d’une forme et d’un sens. De même que l’usager d’un sub­stan­tif ou d’un adjec­tif n’est pas le res­pon­sable de la forme du sub­stan­tif ou de l’adjectif, de même il n’est pas res­pon­sable de la forme du pro­verbe qu’il emploie ». En tant qu’expressions idio­ma­tiques, les pro­verbes sont des sortes de « déno­mi­na­tions d’un type très très spé­cial » explique Klei­ber, de rang phras­tique et même supé­rieur à la phrase, impli­quant par­fois un enchaî­ne­ment de phrases, une rela­tion impli­ca­tive. Au mini­mum, les pro­verbes sont fon­dés sur une phrase idio­ma­tique simple prise comme un tout, comme dans les exemples ci-dessous :

Il faut appe­ler un chat un chat

Il faut laver son linge sale en famille

Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué

Bien enten­du nombre de phrases pres­crip­tives en il faut ne sont pas des pro­verbes, car elles ne cor­res­pondent pas à des uni­tés de sens codé, c’est-à-dire à des phrases idiomatiques.

Quand faut y aller faut pas traî­nas­ser, par exemple, n’est pas un pro­verbe, contrai­re­ment à Quand faut y aller faut y aller, qui cor­res­pond à une uni­té de sens codé, c’est-à-dire à une phrase idio­ma­tique et donc échoïque cor­res­pon­dant à une déno­mi­na­tion selon Klei­ber. On peut le véri­fier par l’incompatibilité de comme on dit avec la pre­mière dans sa por­tée, et cor­ré­la­ti­ve­ment par sa par­faite adé­qua­tion avec la seconde. Et de même, les phrases ci-des­sous ne sont pas des pro­verbes, car alors la phrase entière n’est pas idio­ma­tique, comme en témoigne la por­tée de comme on dit qui se limite à une simple locu­tion ver­bale issue des pro­verbes précédents :

Je vais appe­ler un chat un chat

Tu devrais laver ton linge sale en famille

Il a ven­du la peau de l’ours avant de l’avoir tué

Quel que soit ce qui oppose par ailleurs les phrases pro­ver­biales aux simples locu­tions de rang syn­tag­ma­tique, les deux reposent en tout cas sur une forme idio­ma­tique échoïque, que Klei­ber met au compte d’une déno­mi­na­tion lin­guis­tique. L’approche de Klei­ber consiste à sa manière à inté­grer la force échoïque des expres­sions idio­ma­tiques à leur sens lin­guis­tique déno­mi­na­tif. L’expression com­prend alors, dans son sens même, de par son carac­tère idio­ma­tique, une allu­sion aux usages dont elle pro­cède et aux­quels elle fait écho. La concep­tion des pro­verbes comme déno­mi­na­tion que défend Klei­ber ne me semble rece­vable que si l’on conçoit l’ensemble des expres­sions idio­ma­tiques – du moins à un cer­tain stade, tran­si­toire, de leur déri­va­tion dia­chro­nique pour les expres­sions de rang syn­tag­ma­tique – comme une forme par­ti­cu­lière de déno­mi­na­tion consis­tant à faire écho à ses énon­cia­tions pas­sées. Cela revient en fait à assi­mi­ler les pro­verbes et autres locu­tions à des expres­sions délo­cu­tives, telles que défi­nies par Ans­combre et Ducrot notam­ment.[5]La pre­mière approche lin­guis­tique de la notion de délo­cu­ti­vi­té revient à Ben­ve­niste (1966). Sur la géné­ra­li­sa­tion et l’exploitation de cette notion en séman­tique, voir Cor­nu­lier (1976), Ans­combre et Ducrot (1983). Voir aus­si Ans­combre (1985).

Plus pré­ci­sé­ment, les expres­sions idio­ma­tiques cor­res­pondent à des expres­sions auto-délo­cu­tives consis­tant à dénom­mer ce que repré­sentent leurs énon­cia­tions pas­sées aux­quelles elles font écho. De même que bis­ser, par exemple, dénomme une action par allu­sion délo­cu­tive à un usage consis­tant à crier Bis ! (Ben­ve­niste, 1966), vendre la peau de l’ours ou Il ne faut pas vendre la peau de l’ours dénomment qu’il ne faut pas triom­pher trop vite, mais par allu­sion auto-délo­cu­tive à un usage énon­cia­tif évo­quant méta­pho­ri­que­ment la vente d’une peau d’ours pas encore tué. C’est par allu­sion délo­cu­tive à ses usages méta­pho­riques anté­rieurs que Il n’y a pas de roses sans épines dénomme un état de choses selon lequel la per­fec­tion n’est pas de ce monde. La phrase est alors déno­mi­na­tion délo­cu­tive, c’est-à-dire cita­tive ou échoïque de ses énon­cia­tions pas­sées, plu­tôt que simple des­crip­tion pro­po­si­tion-nelle d’un état de choses. Certes la phrase pos­sède un sens pro­po­si­tion­nel cal­cu­lable et intel­li­gible, mais ce sens n’est pas libre. Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ne signi­fie pas, par exemple, que l’on ne doit pas se van­ter de ce que l’on ne sait pas faire (comme tuer un ours), pas davan­tage que Il n’y a pas de roses sans épines ne signi­fie que la beau­té serait redou­table ou mena­çante (comme une rose bar­dée d’épines). Ces inter­pré­ta­tions sont com­pa­tibles avec ce que les phrases en ques­tion repré­sentent au plan pro­po­si­tion­nel et allé­go­rique, mais non avec ce qu’elles dénomment au plan idio­ma­tique et donc échoïque, rela­ti­ve­ment à leurs énon­cia­tions pas­sées. Les phrases pro­ver­biales ne signi­fient que ce qu’elles dénomment, c’est-à-dire ce qu’elles montrent, en ver­tu de leur forme idio­ma­tique délo­cu­tive, de ce que repré­sentent leurs énon­cia­tions pas­sées. Leur force délo­cu­tive n’est en fait qu’une ins­truc­tion don­née à l’interprète de se réfé­rer à leurs énon­cia­tions pas­sées aux­quelles elles font écho, pour iden­ti­fier ce qu’elles dénomment.[6]La rela­tion ico­nique de res­sem­blance for­melle sur laquelle se fondent les séquences échos selon Sper­ber et Wil­son per­met de rendre compte de ce qui est per­çu comme idio­ma­tique et donc plus ou moins figé dans la forme et le sens des locu­tions et pro­verbes. Le fige­ment – que (Ans­combre 2000b, 2003b) juge inadé­quat aux pro­verbes en rai­son du fait qu’il implique une iden­ti­té for­melle entre les occur­rences d’une même séquence – n’est en fait que le terme abso­lu d’une res­sem­blance gra­duelle. Il n’y a pas de solu­tion de conti­nui­té entre la res­sem­blance for­melle que doivent … Conti­nue rea­ding

 

3. LES PROVERBES COMME PHRASES GENERIQUES

Bien enten­du ces obser­va­tions ne suf­fisent pas à défi­nir les pro­verbes. Ain­si les phrases ci-des­sous par exemple, bien qu’idiomatiques et donc délo­cu­tives, ne sont pas pour autant des proverbes :

À bon enten­deur salut

Qui m’aime me suive

Il ne faut pas lui jeter la pierre

Comme le sou­tiennent la plu­part des études récentes, les phrases pro­ver­biales ne repré­sentent pas un fait occa­sion­nel et contin­gent, mais une situa­tion géné­rique (Nor­rick, 1985 ; Klei­ber, 1989a ; Ans­combre, 1989, 1994 ; Arnaud, 1991 ; Gou­vard, 1996). À bon enten­deur salut n’est pas un pro­verbe en rai­son du fait que la for­mule salut ne ren­voie pas à un conte­nu géné­rique, mais à la force d’avertissement de l’énonciation effec­tive du locu­teur. Et de même en ce qui concerne Qui m’aime me suive, en rai­son des pro­noms de pre­mière per­sonne. On pour­rait mul­ti­plier les exemples et tra­quer les dif­fé­rents fac­teurs de blo­cage sus­cep­tibles d’expliquer que telle ou telle phrase idio­ma­tique n’est pas inter­pré­table comme géné­rique et donc comme un pro­verbe. Le pro­nom lui, par exemple, suf­fit à neu­tra­li­ser, dans le cadre d’une phrase idio­ma­tique comme Il ne faut pas lui jeter la pierre, toute inter­pré­ta­tion pro­ver­biale. Tout comme les phrases com­pre­nant un ce démons­tra­tif, en rai­son du fait qu’elles s’appliquent for­cé­ment à un évé­ne­ment particulier :

Ce n’est pas la mer à boire

C’est la goutte d’eau qui fait débor­der le vase

C’est bon­net blanc et blanc bonnet

Si l’on met à part ces fac­teurs de blo­cage du sens géné­rique, nombre de phrases idio­ma­tiques que Klei­ber (1989a) appelle évé­ne­men­tielles :

Il n’y a pas péril en la demeure

Il faut prendre la balle au bond

Il ne faut pas tour­ner autour du pot

Tout est bien qui finit bien

Les carottes sont cuites

ne se dis­tinguent pas for­mel­le­ment de cer­taines phrases idio­ma­tiques géné­riques et donc proverbiales :

Il n’y a pas de roses sans épines

Il faut laver son linge sale en famille

Il ne faut pas mettre la char­rue avant les bœufs

Tout vient à point à qui sait attendre

Les paroles s’envolent

Rien ne vient alors impo­ser for­mel­le­ment le sens géné­rique et pro­ver­bial dans ces der­niers exemples, ni blo­quer une telle inter­pré­ta­tion pour impo­ser res­pec­ti­ve­ment le sens évé­ne­men­tiel des pré­cé­dents. Il n’y a pas péril en la demeure, par exemple, pour­rait ne pas être une phrase idio­ma­tique évé­ne­men­tielle, mais géné­rique et pro­ver­biale en fran­çais. Tout comme inver­se­ment la phrase Il n’y a pas de roses sans épines pour­rait ne pas être géné­rique et pro­ver­biale, mais évé­ne­men­tielle. Et de même, l’interprétation spé­ci­fique des syn­tagmes nomi­naux dans Les carottes sont cuites, La mariée est trop belle, ne s’impose pas dans l’absolu ; tout comme ne s’impose pas l’interprétation géné­rique dans Les paroles s’envolent. Sim­ple­ment l’énonciation col­lec­tive à laquelle les phrases du pre­mier groupe font écho vise un évé­ne­ment par­ti­cu­lier, tan­dis que celle à laquelle font écho les phrases du second repré­sente une situa­tion géné­rique. La visée évé­ne­men­tielle et res­pec­ti­ve­ment géné­rique pro­ver­biale de ces deux ensembles de phrases tient exclu­si­ve­ment à la force délo­cu­tive de la déno­mi­na­tion qui s’y rap­porte. Le meilleur test per­met­tant d’opposer ces deux sortes de phrases consiste à ten­ter d’y insé­rer cette fois, pour une fois, ou toute autre for­mule impli­quant une inter­pré­ta­tion incom­pa­tible avec la géné­ri­ci­té des pro­verbes (Klei­ber, 1989a ; Ans­combre, 2006a). Seules les phrases idio­ma­tiques évé­ne­men­tielles tolèrent ce genre de manipulation :

Cette fois, ce n’est pas la mer à boire

Tout est bien qui finit bien, pour une fois

Appli­quée aux pro­verbes, cette même mani­pu­la­tion les trans­forme en phrases évé­ne­men­tielles, qui pré­sup­posent alors une forme de réfu­ta­tion de la vali­di­té du pro­verbe correspondant :

Ce soir au moins, il n’y a pas de rose sans épines

Il ne faut pas mettre la char­rue avant les bœufs, cette fois

Tout vient à point à qui sait attendre, pour une fois

En tant que phrases géné­riques, les pro­verbes se com­binent en revanche par ailleurs assez aisé­ment avec nor­ma­le­ment, tou­jours, géné­ra­le­ment, sou­vent, ou avec jamais, rare­ment, lorsqu’ils sont à la forme néga­tive (Ans­combre 1994 : 2006) :

Il faut tou­jours laver son linge sale en famille

C’est dans les vieux pots qu’on fait sou­vent les meilleures soupes

C’est rare­ment à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces

Si l’on tente d’opérer ce genre de mani­pu­la­tion sur une phrase idio­ma­tique évé­ne­men­tielle, l’effet semble être alors de la pro­ver­bia­li­ser, d’en faire une sorte de pseu­do proverbe :

Rien ne tombe jamais dans l’oreille d’un sourd

C’est tou­jours la der­nière goutte qui fait débor­der le vase

Rira sou­vent bien qui rira le dernier

Mal­gré la net­te­té de ce qui oppose géné­ra­le­ment les phrases idio­ma­tiques évé­ne­men­tielles aux phrases pro­ver­biales, cer­taines semblent néan­moins ambi­va­lentes. Les mani­pu­la­tions qui pré­cèdent s’appliquent alors alter­na­ti­ve­ment sans trop de dif­fi­cul­tés, impo­sant res­pec­ti­ve­ment soit une inter­pré­ta­tion évé­ne­men­tielle, soit une inter­pré­ta­tion géné­rique et donc pro­ver­biale. Tout se passe comme si la déno­mi­na­tion délo­cu­tive était alors com­pa­tible avec les deux sortes d’interprétation :

Il y a loin de la coupe aux lèvres, cette fois

Il y a sou­vent loin de la coupe aux lèvres

Il ne faut pas jeter de l’huile sur le feu, pour une fois

Il ne faut jamais jeter de l’huile sur le feu

Étant enten­du que les pro­verbes sont des phrases géné­riques, Ans­combre (1994) s’interroge dès lors assez natu­rel­le­ment sur le type de géné­ri­ci­té impli­quée dans les pro­verbes. S’agit-il de phrases typi­fiantes a prio­ri expri­mant une véri­té pré­éta­blie, un savoir lié à un sté­réo­type pré­exis­tant à l’énonciation (comme Les cas­tors construisent des bar­rages, Les singes mangent des bananes) ? Ou s’agit-il de phrases typi­fiantes locales expri­mant une opi­nion que seule l’énonciation de la phrase éta­blit comme typique (comme Les cas­tors sont têtus, Les singes aiment les tar­tines). Étant una­ni­me­ment per­çus comme éta­blis­sant une croyance consen­suelle, les pro­verbes semblent à pre­mière vue devoir être ran­gés, comme cherchent à le faire Ans­combre et fina­le­ment Klei­ber (2002), du côté des phrases expri­mant un sté­réo­type. Ans­combre (1994) fait valoir à ce sujet que les pro­verbes se com­portent à dif­fé­rents niveaux comme des phrases expri­mant un sté­réo­type, plu­tôt que comme des phrases d’opinion.[7]Il relève notam­ment que les pro­verbes comme les sté­réo­types ne tolèrent que la néga­tion polé­mique, qu’ils ne peuvent être conclu­sifs (ils se laissent dif­fi­ci­le­ment intro­duire par alors ou donc), et ne peuvent par ailleurs être pré­fa­cées par je pense, à mon avis. Ce genre de mani­pu­la­tions ne pose en revanche aucun pro­blème aux phrases d’opinion. Il en conclut pru­dem­ment que « d’une cer­taine façon (je sou­ligne), le pro­verbe joue le rôle d’un sté­réo­type (…). Il nous semble que l’utilisation des pro­verbes – et non le pro­verbe lui-même – relève d’une cer­taine sté­réo­ty­pi­ci­té » (1994 :105). La pru­dence d’Anscombre sur ce point me semble bien­ve­nue, car ses tests ne démontrent pas que les pro­verbes expriment néces­sai­re­ment un sté­réo­type ; les tests d’Anscombre montrent seule­ment que les pro­verbes se com­portent comme des phrases expri­mant un sté­réo­type, ce qui est tout à fait différent.

Avant de pour­suivre la dis­cus­sion, je pré­cise que la solu­tion avan­cée dans la der­nière par­tie de cette étude consiste à ne pas alour­dir inuti­le­ment la tâche dévo­lue à la géné­ri­ci­té et à la véri­té expri­mée dans les pro­verbes. Les sté­réo­types ont trait à la véri­té et au savoir. Les pro­verbes en revanche ne sont pas déten­teurs d’un savoir, mais d’un point de vue asso­cié à une for­mule (Tam­ba, 2000a). Les pro­verbes ont trait au lan­gage et à l’énonciation ; ils ne sont pas tant une affaire de véri­té que d’opinion et d’argumentation par la voix col­lec­tive à laquelle ils font écho. Vu sous cet angle ils se rap­prochent davan­tage, en tant que phrases géné­riques, des phrases d’opinion que de celles expri­mant un sté­réo­type. Quelles que soient les simi­li­tudes entre pro­verbes et sté­réo­types, il n’en demeure pas moins que la véri­té expri­mée par beau­coup de pro­verbes n’est nul­le­ment avé­rée a prio­ri ; les pro­verbes ne la posent pas comme telle. Mais alors la ques­tion reste entière. Com­ment expli­quer que les pro­verbes se com­portent prag­ma­ti­que­ment (si ce n’est séman­ti­que­ment) comme des phrases géné­riques vraies a prio­ri, notam­ment face aux dif­fé­rents tests pro­po­sés par Ans­combre, s’il ne s’agit que de phrases d’opinion ?

 

4. Les pro­verbes comme idio­tismes doxals

Plu­tôt que de cher­cher une expli­ca­tion, avec Ans­combre ou Klei­ber, du côté de la géné­ri­ci­té des pro­verbes, je vou­drais faire appa­raître qu’une telle pro­prié­té repose sim­ple­ment sur leur nature idio­ma­tique, plus pré­ci­sé­ment sur la force cita­tive ou délo­cu­tive liée à ce que dénomment les phrases idio­ma­tiques géné­riques. La ques­tion essen­tielle, en ce qui concerne les pro­verbes, ne tient pas tant à ce qui oppose les phrases expri­mant un sté­réo­type aux phrases d’opinion par­mi les phrases géné­riques. La ques­tion essen­tielle, un peu lais­sée en sus­pens au point 3, tient à mon sens à ce qui oppose, par­mi les phrases idio­ma­tiques, les phrases géné­riques aux phrases évé­ne­men­tielles. On observe notam­ment à ce sujet que la dimen­sion délo­cu­tive de la déno­mi­na­tion atta­chée aux pro­verbes n’a pas du tout la même valeur que celle des phrases idio­ma­tiques évé­ne­men­tielles, qui de son côté est sem­blable à celles des locu­tions. On le mesure en insé­rant dans la por­tée de comme on dit une simple locu­tion ver­bale ou une phrase idio­ma­tique événementielle :

Il a pris la balle au bond, comme on dit

Ce n’est pas la mer à boire, comme on dit

Dans ces condi­tions, le ON-locu­teur res­pon­sable de l’énonciation col­lec­tive à laquelle l’expression fait écho ne prend nul­le­ment en charge ce qui est dit, en l’occurrence (s’il est vrai) que quelqu’un a pris la balle au bond, que ce n’est pas la mer à boire. L’acte d’affirmation, le conte­nu asso­cié à ce qui est dit, la véri­té qui s’y rap­porte, tout cela reste alors sous la seule res­pon­sa­bi­li­té du locu­teur effec­tif iden­ti­fié au sujet par­lant. Le ON-locu­teur n’assume ici que l’énonciation de l’expression, non l’acte d’affirmation ni la véri­té qui s’y rap­porte. Aucune forme de ON-véri­té (Ber­ren­don­ner, 1981) n’est atta­chée à la signi­fi­ca­tion des locu­tions et phrases idio­ma­tiques évé­ne­men­tielles. Nous par­le­rons à ce sujet d’idiotisme locu­toire, cor­res­pon­dant à une simple forme de moda­li­sa­tion auto­ny­mique (au sens d’Authier-Revuz, 1995).

Rien de tel en revanche en ce qui concerne les pro­verbes. Dans Il n’y a pas de roses sans épines, comme on dit, le ON-locu­teur prend alors bel et bien en charge non seule­ment la force locu­toire asso­ciée à l’énonciation de la phrase, mais la force illo­cu­toire ain­si que le conte­nu de l’assertion, l’information, la véri­té qui s’y rap­porte. Les pro­verbes tiennent à une forme de « moda­li­sa­tion en dis­cours second » (Authier-Revuz, 1995), plu­tôt que de simple « moda­li­sa­tion auto­ny­mique ». On peut éprou­ver cette oppo­si­tion en sub­sti­tuant le verbe savoir au verbe dire, dans nos der­niers exemples. En cas de locu­tion figée ou de phrase idio­ma­tique évé­ne­men­tielle dans sa por­tée, comme on sait ne porte plus sur l’énonciation de l’expression, mais sur l’événement qu’elle relate :

Il a pris la balle au bond, comme on sait

Ce n’est pas la mer à boire, comme cha­cun sait

Or cette sub­sti­tu­tion n’a pas du tout le même effet dans le cas des pro­verbes, car alors le ON-locu­teur endosse non seule­ment l’énonciation de la phrase, mais l’acte d’affirmation d’un conte­nu doxal. On com­prend ain­si que si les pro­verbes se com­portent en appa­rence comme des phrases géné­riques vraies a prio­ri, cela ne tient pas en soi à la véri­té qu’ils expriment, qui n’a pas besoin d’être sté­réo­ty­pique et donc de pré­exis­ter à leur énon­cia­tion. C’est alors l’ancestralité de l’assertion col­lec­tive en quoi consiste l’énonciation des pro­verbes qui donne à l’opinion sa force de convic­tion. Cette pro­prié­té, atta­chée à la nature idio­ma­tique des pro­verbes, les oppose non seule­ment aux phrases idio­ma­tiques évé­ne­men­tielles, qui ne sont en rien doxales, mais aus­si aux simples sté­réo­types, qui ne sont en rien idio­ma­tiques. Ce n’est pas alors la croyance expri­mée par les pro­verbes qui pré­cède (et trans­cende) leur énon­cia­tion comme dans le cas des phrases expri­mant un sté­réo­type. C’est alors au contraire la force de convic­tion asso­cié à la voix col­lec­tive de l’énonciation des pro­verbes qui trans­cende la véri­té qu’ils expriment.

Rien n’interdit bien sûr d’admettre que cer­tains pro­verbes expriment acces­soi­re­ment un sté­réo­type. Les pro­verbes sui­vants, par exemple, ont ceci de par­ti­cu­lier qu’ils consistent à confir­mer idio­ma­ti­que­ment ce qui cor­res­pond peut-être à une idée reçue :

Tel père tel fils

L’union fait la force

La curio­si­té est un vilain défaut

Ce qui n’est pas for­cé­ment le cas des suivants :

Sou­vent femme varie

L’habit ne fait pas le moine

Chaque chose en son temps

Et moins encore des sui­vants qui semblent plu­tôt contrer, réfu­ter un stéréotype :

Qui aime bien châ­tie bien

Qui fait l’ange fait la bête

L’enfer est pavé de bonnes intentions

Comme l’a rele­vé Klei­ber (1989a) à pro­pos de Qui aime bien châ­tie bien, le châ­ti­ment ne fait évi­dem­ment pas par­tie du sté­réo­type amou­reux. Pas davan­tage que la bête n’est dans le sté­réo­type de l’ange, ou que les bonnes inten­tions ne conduisent com­mu­né­ment à l’enfer. Loin d’exprimer et donc de confir­mer un sté­réo­type, les pro­verbes de ce genre consistent au contraire à réfu­ter un sté­réo­type à l’aide d’un idio­tisme. Qui aime bien châ­tie bien réfute un sté­réo­type asso­ciant amour et indul­gence, Qui fait l’ange fait la bête, L’enfer est pavé de bonnes inten­tions récusent l’angélisme, A quelque chose mal­heur est bon s’en prend au carac­tère irré­mé­diable du mal­heur, L’argent ne fait pas 1e bon­heur s’attaque aux rêves de richesse. Le réser­voir de pro­verbes anti-sté­réo­ty­piques semble inépui­sable. Dans son ouvrage sur les formes figées de la langue, Pal­ma (2007) oppose deux genres de pro­verbes consis­tant res­pec­ti­ve­ment à expri­mer et à contrer un sté­réo­type. Or un grand nombre de pro­verbes ran­gés par Pal­ma dans la pre­mière caté­go­rie peuvent être rever­sés dans la seconde. Beau­coup de pro­verbes expriment en effet une sorte de truisme en vue de contes­ter un sté­réo­type plus abs­trait. On ne meurt qu’une fois réfute la gra­vi­té de la mort, Il n’y a pas de rose sans épines s’en prend à l’idée même de per­fec­tion. L’habit ne fait pas le moine ne consiste pas séman­ti­que­ment à confir­mer un sté­réo­type selon lequel les appa­rences sont trom­peuses, mais à réfu­ter un sté­réo­type visant au contraire à se fier aux appa­rences. Tout comme inver­se­ment Il n’y a pas de fumée sans feu réfute un sté­réo­type selon lequel les appa­rences sont trom­peuses. Même les pro­verbes comme Il ne faut pas vendre la peau de l’ours, Il ne faut pas mettre la char­rue avant les bœufs consistent séman­ti­que­ment à réfu­ter dif­fé­rents sté­réo­types de com­por­te­ment humain consis­tant à agir à l’envers du bon sens. A y regar­der de près, la plu­part des pro­verbes ont une fonc­tion réfu­ta­tive, plu­tôt que confir­ma­tive d’un sté­réo­type. Le nombre éle­vé de pro­verbes assor­tis d’une néga­tion polé­mique en témoigne notamment.

Il a été sou­li­gné à diverses reprises (Buri­dant, 1984 ; Ans­combre, 1984 ; Rie­gel, 1987 ; Klei­ber, 2002) que les pro­verbes mettent en jeu, par­fois à un niveau séman­tique abs­trait, davan­tage qu’une simple pré­di­ca­tion géné­rique, plu­tôt une forme impli­ca­tive comme ‘Si on se trouve enga­gé dans telle situa­tion, alors il s’ensuit telle situa­tion’. En fait d’implication, je dirais qu’il faut en tout cas se gar­der d’y voir un sté­réo­type conclu­sif. Ain­si les pro­verbes à struc­ture métrique binaire (Ans­combre, 2000a), qui mani­festent for­mel­le­ment une telle impli­ca­tion, n’expriment pas géné­ra­le­ment un topos du type ‘On aime bien donc on châ­tie bien’, ‘On fait l’ange alors on fait la bête’. À de rares excep­tions comme Tel père, tel fils, la rela­tion entre les termes implique le plus sou­vent un contre-argu­ment dans les pro­verbes, incom­pa­tible avec un connec­teur consé­cu­tif comme alors ou donc. Par­mi les connec­teurs pos­sibles, néan­moins, pour­tant, pour­raient faire l’affaire, mais c’est eh bien qui semble le meilleur can­di­dat, car ce connec­teur sert à qua­li­fier pré­ci­sé­ment une consé­quence comme inat­ten­due, contraire aux pré­vi­sions d’un sté­réo­type (Ducrot et al., 1980). Ce connec­teur accom­pagne assez adé­qua­te­ment la rela­tion impli­ca­tive liée à nombre de proverbes :

Qui aime bien, eh bien châ­tie bien

Qui fait l’ange, eh bien fait la bête

Même les pro­verbes dont la struc­ture métrique ne marque pas à pre­mière vue d’implication s’accommodent volon­tiers de eh bien :

L’enfer, eh bien il est pavé de bonnes intentions

La mort, eh bien elle ne sur­vient qu’une fois.

Les roses, eh bien elles ne sont pas sans épines

Les pro­verbes sont géné­ra­le­ment des idio­tismes réfu­ta­tifs (plu­tôt que confir­ma­tifs) d’un sté­réo­type ; ils consistent à réfu­ter un sté­réo­type impli­ca­tif. On a sou­vent sou­te­nu que les pro­verbes véhi­cu­laient une pen­sée com­mune, une sagesse des anciens. Certes ! Mais il faut pré­ci­ser qu’il s’agit d’une sagesse avant tout ver­bale, sous le contrôle d’une forme d’idiotisme à la fois doxal et géné­ra­le­ment polé­mique, plu­tôt que d’une simple véri­té par­ta­gée. Ce qui fait la force des pro­verbes, leur péren­ni­té, leur viva­ci­té, c’est qu’ils mettent en jeu une opi­nion sub­ver­sive atta­chée à l’énonciation col­lec­tive d’une phrase idio­ma­tique à laquelle ils font écho. Une sagesse si l’on veut, qui se veut ancienne et col­lec­tive, et qui puise sa force dans les usages asso­ciés au lan­gage, les conven­tions énon­cia­tives asso­ciées à la langue même, pour s’en prendre aux idées reçues.

 

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TAMBA, I. (2011), « Fige­ment séman­tique : du sens com­po­si­tion­nel au sens idio­ma­tique pro­ver­bial », dans J.-C. Ans­combre et S. Mej­ri, Etudes sur fige­ment : la parole entra­vée, Ed. Cham­pion, Paris,

TAMBA, I. (2012) « Véri­té géné­rique et véri­té pro­ver­biale : on dit face à on dit pro­ver­bia­le­ment, le pro­verbe dit », dans J.-C. Ans­combre & A. Rodrí­guez Somo­li­nos, S. Gómez-Jor­da­na (éds) Voix et mar­queurs du dis­cours : des connec­teurs à l’argument d’autorité. Lyon, ENS Edi­tions, sous presse.

 


 

La parole exemplaire

Introduction à une étude linguistique des proverbes

Jean-Claude Anscombre
Bernard Darbord
Alexandra Oddo

 

Sommaire

Les auteurs 5

Pré­sen­ta­tion 9

Partie I

Paré­mio­lo­gie : études synchroniques

 

Pour une théo­rie lin­guis­tique du phé­no­mène paré­mique 21

Jean-Claude Ans­combre

Sémio­tique du pro­verbe 40

Georges Klei­ber

L’énonciation des pro­verbes 53

Laurent Per­rin

Pro­verbes doxaux et para­doxaux 67

Sil­via Palma

Les phrases paré­miques en action 81

Jean-Claude Ans­combre

La tau­to­lo­gie dans l’énoncé paré­mique 95

Char­lotte Schapira

Les moules pro­ver­biaux en fran­çais contem­po­rain 114

Sonia Gómez-Jor­da­na Ferari

Phé­no­mènes de tron­ca­ture 133

Alexan­dra Oddo

Matrices ryth­miques et paré­mies 147

Jean-Claude Ans­combre

Into­na­tion, rythme et euryth­mie de locutions
et pro­verbes fran­çais
 159

Phi­lippe Martin

La rhé­to­rique du pro­verbe 170

Ber­nard Darbord

Quand la méta­phore passe en pro­verbe 183

Irène Tam­ba

Détour­ne­ments et modi­fi­ca­tions des pro­verbes et autres
paré­mies
dans la presse quo­ti­dienne espa­gnole 197

Fer­nan­do Navarro

Slo­gans et pro­verbes : deux paroles « mythiques » 212

Sté­pha­nie Pahud

Partie II

Paré­mio­lo­gie : études diachroniques

 

Le sta­tut des pro­verbes en dia­chro­nie 229

Ama­lia Rodrí­guez Somolinos

Les men­ta­li­tés médié­vales dans les pro­verbes 244

Phi­lippe Ménard

Réflexion sur l’évolution des pro­verbes en dia­chro­nie 260

Alexan­dra Oddo, Ber­nard Darbord

Le refra­ne­ro his­pa­nique 279

Hugo Oscar Bizzarri

Les pro­verbes en Espagne 293

André Gal­le­go-Bar­nés

Les pro­verbes en rimes en France (1180–1500) 314

Eli­za­beth Schultze-Busacker

Chan­ge­ments et conti­nui­tés dans le trai­te­ment du proverbe

dans les dic­tion­naires du XVIIe siècle 328

Bri­gitte Lépi­nette, Julia Pinilla

Partie III

Paré­mio­gra­phie

 

Le cycle cli­ma­tique dans le Refra­ne­ro agri­co­la español 345

Ángel Igle­sias Ovejero

Calen­driers, saint(e)s et dic­tons hagio­gra­phiques 362

Pilar Cor­ba­cho

La consti­tu­tion des cor­pus pro­ver­biaux contem­po­rains 375

Julia Sevil­la Muñoz

Pas de rose sans épines 387

Syl­via Palma

Ana­lyse contras­tive et syn­taxique des pro­verbes espa­gnols et
fran­çais
en a/à ; más vale/mieux vaut ; no/ne ; quien/qui… 400

Pedro Mogorrón Huer­ta et Lucía Navar­ro Brotons

Index des notions 453

 

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Notes

Notes
1 Qui reprend une pré­cé­dente approche des pro­verbes pré­sen­tée dans Per­rin (2000), et revi­si­tée récem­ment dans Per­rin (à paraître), dont cette étude revoit et pré­cise les grandes lignes.
2 Défi­ni­toire des inter­jec­tions, insultes et excla­ma­tions notam­ment, des expres­sions énon­cia­tives en quoi consistent les moda­li­sa­teurs, adverbes d’énonciation, connec­teurs et mar­queurs dis­cur­sifs divers (Per­rin 2010).
3 On peut ain­si dis­tin­guer les pro­verbes, qui font écho à une énon­cia­tion col­lec­tive, des sen­tences d’auteurs et autres maximes, qui font écho à une occur­rence inau­gu­rale – les deux n’étant pas incompatibles.
4 Il en découle que les pro­verbes ne cor­res­pondent pas à un simple« rai­son­ne­ment par auto­ri­té », mais à une forme d’« argu­ment d’autorité poly­pho­nique », selon l’opposition de Ducrot (1984). Plu­tôt qu’à un simple dis­cours rap­por­té réfé­ren­tiel, les pro­verbes cor­res­pondent à une forme de « moda­li­sa­tion en dis­cours second » (Authier-Revuz, 1995), ou encore à une valeur média­tive (ou évi­den­tielle) d’ouï-dire (Ans­combre, 2000).
5 La pre­mière approche lin­guis­tique de la notion de délo­cu­ti­vi­té revient à Ben­ve­niste (1966). Sur la géné­ra­li­sa­tion et l’exploitation de cette notion en séman­tique, voir Cor­nu­lier (1976), Ans­combre et Ducrot (1983). Voir aus­si Ans­combre (1985).
6 La rela­tion ico­nique de res­sem­blance for­melle sur laquelle se fondent les séquences échos selon Sper­ber et Wil­son per­met de rendre compte de ce qui est per­çu comme idio­ma­tique et donc plus ou moins figé dans la forme et le sens des locu­tions et pro­verbes. Le fige­ment – que (Ans­combre 2000b, 2003b) juge inadé­quat aux pro­verbes en rai­son du fait qu’il implique une iden­ti­té for­melle entre les occur­rences d’une même séquence – n’est en fait que le terme abso­lu d’une res­sem­blance gra­duelle. Il n’y a pas de solu­tion de conti­nui­té entre la res­sem­blance for­melle que doivent res­pec­ter les diverses occur­rences d’un même pro­verbe et le fige­ment atta­ché à l’identité de cer­taines locu­tions. On peut obser­ver notam­ment que plus une séquence échoïque est com­plexe, plus la res­sem­blance peut être faible ou dif­fuse entre ses occur­rences, et donc inver­se­ment que moins une séquence est com­plexe, plus la res­sem­blance entre ses occur­rences est proche de l’identité. On com­prend ain­si que les locu­tions simples comme cas­ser la croûte appa­raissent comme davan­tage figées que les formes plus com­plexes comme noyer son cha­grin dans l’ivresse ou l’alcool, la bou­teille, qui elles-mêmes sont moins libres que les pro­verbes, qui s’accommodent sou­vent de nom­breuses varia­tions comme Pas de roses sans épines, Nulle rose sans épines, La roses a ses épines, Les roses ne sont pas sans épines, etc. La res­sem­blance suf­fit cepen­dant alors à éta­blir le sens codé délo­cu­tif de la déno­mi­na­tion. Et l’on peut obser­ver en outre que plus une séquence est com­plexe et la res­sem­blance dif­fuse entre ses occur­rences, plus l’effet échoïque est mar­qué (ou sen­sible, per­cep­tible). On com­prend ain­si que la force cita­tive des pro­verbes soit plus sen­sible que celle des locu­tions, qui elle-même est d’autant plus sen­sible que l’expression est com­plexe et que la res­sem­blance est dif­fuse. Si les pro­verbes par­tagent les pro­prié­tés échoïques de bon nombre de locu­tions, il n’en demeure pas moins que la plu­part des déno­mi­na­tions simples, notam­ment les mots simples et cer­taines locu­tions très lexi­ca­li­sées comme tenir tête ou prê­ter l’oreille, ne semblent pro­duire aucun effet échoïque com­pa­rable à celui des pro­verbes. Les mots simples en par­ti­cu­lier n’ont aucune affi­ni­té par défaut avec comme on dit, mal­gré leur nature de dénominations.
7 Il relève notam­ment que les pro­verbes comme les sté­réo­types ne tolèrent que la néga­tion polé­mique, qu’ils ne peuvent être conclu­sifs (ils se laissent dif­fi­ci­le­ment intro­duire par alors ou donc), et ne peuvent par ailleurs être pré­fa­cées par je pense, à mon avis. Ce genre de mani­pu­la­tions ne pose en revanche aucun pro­blème aux phrases d’opinion.