Dans A. Horak (dir.)
L’hyperbole rhé­to­rique
Tra­vaux neu­châ­te­lois de lin­guis­tique, 2014–2015, 43–61

 


 

Laurent PERRIN
Uni­ver­si­té de Paris-Est Cré­teil, Céditec

Diese Stu­die befasst sich mit dem Zusam­men­hang zwi­schen den quan­ti­ta­ti­ven Eigen­schaf­ten der Bedeu­tungs­in­ten­sität und den enun­zia­ti­ven Merk­ma­len der lin­guis­ti­schen und rhe­to­ri­schen Inten­si­vie­rung. Der erste Teil der vor­lie­gen­den Arbeit ana­ly­siert die spra­chli­chen Aspekte der kon­zep­tuel­len Inten­sität und der enun­zia­ti­ven Inten­si­vie­rung. Im zwei­ten Teil wer­den die inter­nen Merk­male die­ser Inten­si­vie­rung sowie die exter­nen Eigen­schaf­ten des pro­po­si­tio­na­len Aus­drucks unter­sucht. Im drit­ten und vier­ten Teil wird die rhe­to­rische Inten­si­vie­rung dur­chleuch­tet, welche die Hyper­bel und die Litotes cha­rak­te­ri­siert. Der fünfte und letzte Teil bes­chreibt die Ver­bin­dun­gen zwi­schen der rhe­to­ri­schen Inten­si­vie­rung, dem Sar­kas­mus und der Ironie.

On a tous en mémoire la célèbre « tirade du nez » d’Ed­mond Ros­tand, où Cyra­no répond par une leçon de rhé­to­rique (« Ah ! non. C’est un peu court jeune homme…!») à la timide ten­ta­tive d’in­ter­ven­tion à effets d’in­ten­si­fi­ca­tion du vicomte de Val­vert (« Vous… vous avez un nez… heu… un nez… très grand »), que Cyra­no ne juge pas à la hau­teur de son appen­dice nasal. For­mel­le­ment indis­so­ciable des pro­cé­dés séman­ti­co-prag­ma­tiques de l’in­ten­si­té et de l’in­ten­si­fi­ca­tion dans le lan­gage, la longue suc­ces­sion d’hy­per­boles en quoi consiste la fameuse tirade res­ti­tue en revanche à sa juste mesure la dimen­sion du nez de Cyrano.

Les notions méta­lin­guis­tiques d’in­ten­si­té et d’in­ten­si­fi­ca­tion ont trait séman­ti­que­ment aux degrés de force sus­cep­tibles d’être attri­bués à la déter­mi­na­tion quan­ti­ta­tive de ce à quoi l’on réfère, et cor­ré­la­ti­ve­ment aux juge­ments sub­jec­tifs et notam­ment aux degrés d’en­ga­ge­ment énon­cia­tif du locu­teur qui s’y rap­portent. Ces notions s’ap­pliquent trans­ver­sa­le­ment à un ensemble de faits hété­ro­gènes, habi­tuel­le­ment dis­so­ciés pour être trai­tés sépa­ré­ment à dif­fé­rents niveaux d’a­na­lyse. L’ap­pré­hen­sion de ce qui arti­cule les pro­prié­tés quan­ti­ta­tives de l’in­ten­si­té aux pro­prié­tés énon­cia­tives de l’in­ten­si­fi­ca­tion consti­tue un défi que nous allons ten­ter, si pos­sible, de sur­mon­ter dans cette étude.

Avant d’en venir aux pro­prié­tés rhé­to­riques de l’in­ten­si­fi­ca­tion sur les­quelles reposent l’hy­per­bole et la litote, quelques consi­dé­ra­tions sur les pro­prié­tés séman­tiques de l’in­ten­si­té et de l’in­ten­si­fi­ca­tion sont inévi­tables. Le che­min à par­cou­rir va donc nous conduire, dans la pre­mière par­tie de cette étude, des pro­prié­tés lin­guis­tiques de l’in­ten­si­té concep­tuelle à celles de l’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive, et ensuite, dans la deuxième par­tie, des pro­prié­tés de l’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive que nous défi­ni­rons comme « internes » aux pro­prié­tés « externes » à l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle. Nous aurons alors en mains quelques élé­ments sus­cep­tibles de nous per­mettre d’a­bor­der, dans les troi­sième et qua­trième par­ties, la ques­tion de l’in­ten­si­fi­ca­tion rhé­to­rique dont relèvent l’hy­per­bole et res­pec­ti­ve­ment la litote. La cin­quième par­tie enfin met­tra très briè­ve­ment en pers­pec­tive les hori­zons sar­cas­tiques et iro­niques que déter­mine l’ex­pres­sion rhé­to­rique de l’in­ten­si­fi­ca­tion dans le langage.

1 – De l’in­ten­si­té concep­tuelle à l’in­ten­si­fi­ca­tion énonciative

Au plan lexi­cal, pour com­men­cer, l’in­ten­si­té concerne en prio­ri­té le sens notam­ment des adjec­tifs qua­li­fi­ca­tifs et autres expres­sions de mesure quan­ti­ta­tive (Bolin­ger, 1972 ; Riva­ra, 1993 ; Ken­ne­dy, 2007), qui peuvent être plus ou moins concrètes (gros, grand, large, nom­breux, fré­quent), ou plus abs­traites, moins aisé­ment mesu­rables sous forme numé­rique (bon, mau­vais, gen­til, méchant). L’in­ten­si­té lexi­cale concerne éga­le­ment des adverbes (comme sou­vent, loin, long­temps), par­fois déri­vés d’ad­jec­tifs (lour­de­ment, patiem­ment, gen­ti­ment), ou des noms de pro­prié­tés (gran­deur, gen­tillesse), des verbes géné­ra­le­ment imper­fec­tifs (gros­sir, man­ger, aimer), par exemple de temps (attendre, patien­ter), de dis­tance (avan­cer, pro­gres­ser). Quelle que soit la pro­prié­té ou notion quan­ti­ta­tive à laquelle elle réfère, l’in­ten­si­té lexi­cale varie en fonc­tion d’une échelle de degrés sus­cep­tibles d’être éva­lués par le moyen de pro­cé­dés de réglage ins­crits dans le sens même de cer­tains lexèmes (immense, minus­cule, hideux).

Au plan mor­pho-gram­ma­ti­cal, les degrés d’in­ten­si­té peuvent être aus­si réglés par dif­fé­rents pré­fixes (hyper­sen­sible, ultra­lé­ger) ou adverbes à fonc­tion de « modi­fi­ca­teurs » (dits aus­si « inten­si­fi­ca­teurs » ou « inten­si­fieurs ») comme assez / plu­tôt / très (grand), tout (petit), un peu / com­plé­te­ment (fou), par­fois détour­nés de leur fonc­tion pri­mi­tive d’ad­verbe de manière (ter­ri­ble­ment, drô­le­ment), ou par des com­pa­ra­tifs d’é­ga­li­té (aus­si [grand] que, comme), d’in­fé­rio­ri­té (moins que, pas autant / pas aus­si [grand] que) ou de supé­rio­ri­té (plus [grand] que, meilleur, pire), ou encore par un super­la­tif (le plus [grand], le moins [gen­til], le meilleur, le pire). Diverses sortes de quan­ti­fieurs (ou quan­ti­fi­ca­teurs) sont en outre sus­cep­tibles de modi­fier la déter­mi­na­tion quan­ti­ta­tive d’un nombre ou de la masse que repré­sente un sub­stan­tif (quelques, plu­sieurs, beau­coup de). On parle d’in­ten­si­té forte, moyenne ou faible selon le degré attri­bué à la notion quan­ti­ta­tive ain­si repré­sen­tée. Dans le pas­sage sui­vant, l’in­ten­si­té forte est le fait d’un déter­mi­nant quan­ti­fi­ca­teur appli­qué à une plu­ra­li­té d’op­por­tu­ni­tés man­quées, méta­pho­ri­que­ment repré­sen­tées (« beau­coup de portes qui se fer­maient »), ensuite d’un attri­but (« déçue ») dans la por­tée d’un double inten­si­fieur (« vrai­ment très »): [1]Les expres­sions inten­sives seront mar­quées en gras dans tous les exemples de cette étude. Nous revien­drons, dans la seconde par­tie, sur les effets de l’ad­verbe d’é­non­cia­tion fran­che­ment, que nous défi­ni­rons comme un moda­li­sa­teur d’in­ten­si­fi­ca­tion « externe » à l’ex­pres­sion de la pro­po­si­tion énon­cée.

(1) J’ai eu beau­coup de portes qui se fer­maient quoi en fait <ouais> et j’ai été vrai­ment très déçue fran­che­ment.

(Inter­view AIEM, Borny)

Ain­si appré­hen­dée, la notion d’in­ten­si­té se rap­porte à ce qui est mesu­rable ou du moins quan­ti­fiable, en termes de degrés sur une échelle quan­ti­ta­tive à laquelle réfère le sens concep­tuel de cer­taines expres­sions. Le nombre, la gros­seur, la taille, la tem­pé­ra­ture, le poids, la dis­tance, mais aus­si la patience, la gen­tillesse, sont des pro­prié­tés concep­tuelles mesu­rables et quan­ti­fiables au plan réfé­ren­tiel, que mesure ou quan­ti­fie le sens d’ad­jec­tifs comme nom­breux, gros, grand, chaud, léger, loin, patient, gen­til, assor­tis le cas échéant d’un modi­fi­ca­teur d’in­ten­si­té forte, moyenne ou faible (très grand, plu­tôt patient, assez gen­til, un peu bête). Nombre d’ap­proches séman­tiques s’en tiennent à cette dimen­sion concep­tuelle de l’in­ten­si­té conçue comme « la déter­mi­na­tion quan­ti­ta­tive d’une pro­prié­té » (Klei­ber, 2007 & 2013).

L’une des dif­fi­cul­tés à sur­mon­ter, au plan théo­rique de ce qui a trait à l’in­ten­si­té, tient à la sub­jec­ti­vi­té éva­lua­tive du locu­teur qui s’y rap­porte, qui semble à la fois dis­tincte et cor­ré­la­tive de la gra­dua­li­té quan­ti­ta­tive ain­si repré­sen­tée (Atha­na­sia­dou, 2007 ; Adler & Asnes, 2013 ; Lar­ri­vée, 2013). Un adjec­tif comme grand, par exemple, encode non seule­ment la dimen­sion quan­ti­ta­tive de ce qu’il dénote ou concep­tua­lise au plan sym­bo­lique, mais il fonc­tionne de sur­croît comme une sorte d’in­dice conven­tion­nel d’un juge­ment asso­cié à la sub­jec­ti­vi­té éva­lua­tive du locu­teur qui l’é­nonce. L’ex­pres­sion même est alors per­for­ma­tive de ce juge­ment asso­cié à l’acte d’é­non­cia­tion qui s’y rap­porte. Nous par­le­rons désor­mais d” »inten­si­té concep­tuelle » pour dési­gner ce qui a trait à la dimen­sion quan­ti­ta­tive d’une pro­prié­té repré­sen­tée par le conte­nu sym­bo­lique d’une expres­sion dans le cadre d’une pro­po­si­tion énon­cée, et res­pec­ti­ve­ment d” »inten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive » pour dési­gner ce qui a trait séman­ti­que­ment à la fonc­tion d’une telle expres­sion comme l’in­dice conven­tion­nel d’un juge­ment sub­jec­tif du locu­teur consis­tant à éva­luer la gran­deur ain­si consi­dé­rée, et ce fai­sant à moda­li­ser l’é­non­cia­tion d’une telle pro­po­si­tion comme consis­tant en l’oc­cur­rence à effec­tuer un acte de com­pli­ment ou de recom­man­da­tion. Tan­dis que la notion d” »inten­si­té » concerne le ver­sant sym­bo­lique, déno­ta­tif ou concep­tuel, en l’oc­cur­rence quan­ti­ta­tif du sens des expres­sions, celle d” »inten­si­fi­ca­tion » concerne le ver­sant énon­cia­tif de l’ins­crip­tion indi­ciaire de la sub­jec­ti­vi­té du locu­teur dans le lan­gage et jusque dans la langue, rela­tive aux effets contex­tuels et notam­ment argu­men­ta­tifs de leurs énon­cia­tions. Ain­si défi­nie, l’in­ten­si­fi­ca­tion n’est que la contre­par­tie modale énon­cia­tive de l’in­ten­si­té quan­ti­ta­tive que repré­sentent les adjec­tifs et autres expres­sions quan­ti­ta­tives. [2]En ce qui concerne dif­fé­rents aspects de cette dis­tinc­tion entre les notions d” »inten­si­té » et d” »inten­si­fi­ca­tion », voir les diverses approches réunies par Ans­combre et Tam­ba (2013), en par­ti­cu­lier les articles d’Ans­combre, d’Ad­ler et Asnes, de Lar­ri­vée, de Lenep­veu.

Une telle oppo­si­tion per­met notam­ment de rendre compte des effets par­ti­cu­liers asso­ciés au sens quan­ti­ta­tif pure­ment numé­rique de cer­tains adjec­tifs ou sub­stan­tifs, déta­chés de toute force d’in­ten­si­fi­ca­tion impli­quant un juge­ment sub­jec­tif du locu­teur qui les énonce. Si l’on parle, par exemple, d’une tour haute de 300 mètres, le sens de l’ad­jec­tif haute n’a pas la même valeur que si l’on parle d’une haute tour, ou d’une tour très haute / tel­le­ment haute / si haute. Dans le pre­mier cas, l’ad­jec­tif est pure­ment quan­ti­ta­tif, dépour­vu d’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive com­pa­rable à celle du second, comme en témoigne la mal­for­ma­tion séman­tique d’un énon­cé du genre : Une tour *très haute / *tel­le­ment haute / *si haute de 300 mètres (pour la prise en compte d’un exemple ana­logue, voir Ans­combre et Tam­ba, 2013). Tout se passe comme si la mesure quan­ti­ta­tive numé­rique neu­tra­li­sait, sous cer­taines condi­tions, l’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive atta­chée à l’in­ten­si­té concep­tuelle que repré­sente l’ad­jec­tif haute. Seul un nombre limi­té d’ex­pres­sions concep­tuelles d’in­ten­si­té concrètes (comme haut, large, pro­fond, ou hau­teur, lar­geur, pro­fon­deur) est ain­si réduc­tible à une échelle de mesure quan­ti­ta­tive pure­ment numé­rique, dépour­vue de toute contre­par­tie énon­cia­tive asso­ciée à une quel­conque force d’in­ten­si­fi­ca­tion prag­ma­tique inté­grée. De même, les déter­mi­nants numé­raux s’op­posent séman­ti­que­ment aux expres­sions à effets d’in­ten­si­fi­ca­tion en rai­son du fait qu’ils expriment une gran­deur pure­ment numé­rique, non une éva­lua­tion et un juge­ment du locu­teur qui les énonce. Si l’on dit, par exemple, qu’une mani­fes­ta­tion a réuni 2000 per­sonnes, aucun juge­ment sur le nombre de mani­fes­tants (rela­tif au suc­cès ou à l’é­chec de la mani­fes­ta­tion) n’est ins­crit lin­guis­ti­que­ment dans le sens de l’ex­pres­sion. Le rap­port d’une expres­sion numé­rique à l’in­ten­si­fi­ca­tion ne peut être qu’in­di­rect et pragmatique.

Au plan mor­pho-gram­ma­ti­cal, seul un nombre limi­té d’o­pé­ra­teurs d’ap­proxi­ma­tion quan­ti­ta­tive comme quelques, envi­ron, à peu près, plus ou moins (2000 per­sonnes) n’est assor­ti d’au­cune force d’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive. La plu­part des adverbes inten­si­fieurs ou com­pa­ra­tifs ont des effets d’in­ten­si­fi­ca­tion. Il suf­fit dès lors d’in­sé­rer à l’ex­pres­sion d’une gran­deur numé­rique un opé­ra­teur d’in­ten­si­fi­ca­tion comme presque, au moins, pas moins de, plus de (2000 per­sonnes), pour assor­tir le sens lin­guis­tique d’un juge­ment sub­jec­tif du locu­teur en faveur du suc­cès de la mani­fes­ta­tion (ou d’y insé­rer un inver­seur comme seule­ment, à peine, moins de [2000 per­sonnes] pour un juge­ment inverse). [3]Ducrot (1995) parle à ce sujet de modi­fi­ca­teurs « réa­li­sants » – consis­tant à ren­for­cer la force d’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive asso­ciée à l’in­ten­si­té concep­tuelle repré­sen­tée – et res­pec­ti­ve­ment de modi­fi­ca­teurs « déréa­li­sants » consis­tant soit à atté­nuer, soit à inver­ser l’in­ten­si­fi­ca­tion qui s’y rap­porte. Par­mi d’autres curio­si­tés séman­ti­co-prag­ma­tiques, le rôle des « inten­si­fieurs » et res­pec­ti­ve­ment des « atté­nua­teurs » ou « inver­seurs » en quoi consistent les « modi­fi­ca­teurs réa­li­sants » ou « déréa­li­sants » per­met d’ex­pli­quer acces­soi­re­ment ce qui carac­té­rise la force … Conti­nue rea­ding Dans notre exemple (1), les inten­si­fieurs ont pour effet de ren­for­cer non seule­ment l’in­ten­si­té concep­tuelle, mais l’in­ten­si­fi­ca­tion asso­ciée à l’é­non­cia­tion de la pro­po­si­tion énon­cée. Il suf­fit alors de sub­sti­tuer à l’ex­pres­sion beau­coup (de portes) un atté­nua­teur comme assez ou pas­sa­ble­ment (de portes), ou même de la pré­fa­cer par plu­tôt (beau­coup de portes), et ensuite de rem­pla­cer vrai­ment très (déçue) par un peu, assez ou plu­tôt (déçue), pour affai­blir non seule­ment les effets quan­ti­ta­tifs asso­ciés à l’in­ten­si­té concep­tuelle à laquelle réfère la pro­po­si­tion énon­cée, mais aus­si la force d’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive qui s’y rapporte.

 

2 – De l’in­ten­si­fi­ca­tion interne à l’in­ten­si­fi­ca­tion externe

Cor­ré­la­ti­ve­ment aux effets d’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive dont il vient d’être ques­tion, for­mel­le­ment indis­so­ciables de l’in­ten­si­té concep­tuelle atta­chée à l’ex­pres­sion de telle ou telle pro­po­si­tion énon­cée, l’in­ten­si­fi­ca­tion repose par ailleurs sur des indices énon­cia­tifs que nous dirons « externes » à l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle, plus ou moins déta­chés de ce qui est concep­tuel et pro­po­si­tion­nel à l’in­té­rieur du sens des expres­sions. Avant d’en venir aux pro­prié­tés dis­cur­sives ou rhé­to­riques (notam­ment hyper­bo­liques) de l’in­ten­si­fi­ca­tion, fon­dées sur des indices externes que nous dirons « contex­tuels », éma­nant de la situa­tion d’é­non­cia­tion effec­tive d’une pro­po­si­tion énon­cée en contexte, quelques consi­dé­ra­tions s’im­posent en ce qui concerne les indices externes que nous appel­le­rons « conven­tion­nels », fon­dés sur des pro­prié­tés linguistiques.

Contrai­re­ment aux indices d’in­ten­si­fi­ca­tion que nous dirons « internes », défi­nis pré­cé­dem­ment comme la contre­par­tie énon­cia­tive de l’in­ten­si­té concep­tuelle atta­chée à l’ex­pres­sion d’une pro­po­si­tion dont ils moda­lisent l’é­non­cia­tion, les indices externes dont il va désor­mais être ques­tion ne portent qu’in­di­rec­te­ment sur les pro­prié­tés quan­ti­ta­tives asso­ciées à l’ex­pres­sion d’un conte­nu pro­po­si­tion­nel. Outre les indices d’in­ten­si­fi­ca­tion pro­so­diques par accen­tua­tion ou allon­ge­ment voca­lique (Fer­ré, 2004), sur les­quels nous ne nous arrê­te­rons pas dans cette étude, nombre de pro­prié­tés lin­guis­tiques doivent à mon sens être appré­hen­dées comme des indices conven­tion­nels d’in­ten­si­fi­ca­tion externe à l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle, qui ne concernent pas direc­te­ment le conte­nu sym­bo­lique et concep­tuel de telle ou telle pro­po­si­tion énon­cée, mais les énon­cia­tions vir­tuelles d’une telle pro­po­si­tion qu’ils modalisent.

C’est le cas des pro­prié­tés dont relèvent les insultes et autres excla­ma­tions que mani­festent notam­ment cer­taines phrases en Que, Quel, Comme (Que c’est beau !, Quel idiot !, Comme il est bête !), [4]Ana­ly­sées notam­ment par Maran­din (2010) et Ans­combre (2013), à la suite de Mil­ner (1978). cer­taines phrases nomi­nales (Le con !, L’im­bé­cile !), ou issues de formes inter­ro­ga­tives (Est-il bête !, Qu’est-ce qu’il est bête !, Ce qu’il est bête !), par­fois de l’ef­fa­ce­ment d’une phrase com­plé­tive consé­cu­tive (Il est si bête !, Tel­le­ment bête !), ou assor­ties d’une forme d’ex­trac­tion empha­tique (Quelle bêtise que d’a­voir fait ça !, C’est Paul qui va être sur­pris !), etc. Dépour­vues d’ef­fets concep­tuels à visée quan­ti­ta­tive réfé­ren­tielle, ces pro­prié­tés indi­ciaires d’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive externe peuvent être supra­seg­men­tales à l’ex­pres­sion d’une pro­po­si­tion dont elles moda­lisent l’é­non­cia­tion, mais elles peuvent aus­si être le fait de diverses for­mules énon­cia­tives séquen­tiel­le­ment déta­chées de l’ex­pres­sion d’une telle pro­po­si­tion (en gras et ita­lique dans nos exemples). Dans le pas­sage ci-des­sous, par exemple, l’in­ter­jec­tion bon sang ! accen­tue pro­jec­ti­ve­ment l’in­ten­si­fi­ca­tion asso­ciée alors indi­rec­te­ment à l’é­non­cia­tion d’une pro­po­si­tion com­plexe qui lui suc­cède, dont l’in­ten­si­fi­ca­tion interne repose par ailleurs sur diverses expres­sions d’in­ten­si­té concep­tuelle [5]Nous revien­drons briè­ve­ment, à la fin de cette étude, sur les effets sar­cas­tiques asso­ciés à l’é­non­cia­tion de la pro­po­si­tion subor­don­née dont relève l’ex­pres­sion super­la­tive La meilleure du monde.:

(2) Mais, bon sang, après quatre ans, on aime­rait entendre autre chose que des jéré­miades à répé­ti­tion de la part de celui qui pré­tend faire de l’ar­mée suisse la meilleure du monde, mais n’a pas su évi­ter le scan­dale du Ser­vice de renseignement.

(Le Temps, 28-12-2012)

Bien que séquen­tiel­le­ment déta­chées de ce qui s’y trouve expri­mé concep­tuel­le­ment, les inter­jec­tions ont essen­tiel­le­ment pour fonc­tion d’ac­cen­tuer de l’ex­té­rieur l’in­ten­si­fi­ca­tion asso­ciée à l’é­non­cia­tion d’une pro­po­si­tion moda­li­sée. Elles relèvent plus géné­ra­le­ment d’un ensemble ouvert d’ex­pres­sions lin­guis­tiques for­mant une caté­go­rie très à part (à part entière?), à l’in­té­rieur de la gram­maire et du lexique, que nous assi­mi­le­rons à des « for­mules énon­cia­tives » (au sens défi­ni par Ans­combre, 1985), consis­tant à moda­li­ser notam­ment le haut degré d’in­ten­si­fi­ca­tion attri­bué à l’é­non­cia­tion d’une pro­po­si­tion. Les inter­jec­tions et autres for­mules énon­cia­tives n’ex­priment pas un concept inten­sif, une gran­deur notion­nelle atta­chée à l’ex­pres­sion d’une pro­po­si­tion. Sous un angle sémio­tique, ces expres­sions ont un sens qui n’est pas sym­bo­lique (c’est-à-dire déno­ta­tif, concep­tuel, et donc pro­po­si­tion­nel), mais exclu­si­ve­ment indi­ciaire et énon­cia­tif. Ce sont de purs indices conven­tion­nels d’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive, consis­tant en l’oc­cur­rence à coder le haut degré d’é­mo­tion du locu­teur qui les énonce, rela­ti­ve­ment à ce qui, par ailleurs, est expri­mé dans le cadre d’une pro­po­si­tion dont elles moda­lisent l’é­non­cia­tion. L’in­ten­si­fi­ca­tion émo­tive dont attestent notam­ment les inter­jec­tions ne rejaillit qu’in­di­rec­te­ment sur la déter­mi­na­tion quan­ti­ta­tive de ce qui est expri­mé dans le cadre d’une pro­po­si­tion ain­si modalisée.

Par­mi diverses pro­prié­tés énon­cia­tives indi­ciaires à effets d’ex­cla­ma­tion, asso­ciées à un jeu sty­lis­tique très éla­bo­ré et maî­tri­sé d’el­lipses, sus­pen­sions, reprises, déta­che­ments, dis­lo­ca­tions, et autres opé­ra­tions macro-syn­taxiques qui se situent sémio­ti­que­ment dans la conti­nui­té du geste, de la mimique, de l’in­to­na­tion, les inter­jec­tions sont des indices énon­cia­tifs lin­guis­tiques sur les­quels se fonde sys­té­ma­ti­que­ment le style de Céline, qui ne consiste pas tant à repré­sen­ter concep­tuel­le­ment l’in­ten­si­té des émo­tions impu­tées aux per­son­nages de son récit, qu’à en faire vivre émo­ti­ve­ment l’ex­pé­rience à son lec­teur. En (3), par exemple, rien ne concep­tua­lise le haut degré d’im­pa­tience du locu­teur dont il est ques­tion, qui repose alors exclu­si­ve­ment sur les ins­truc­tions indi­ciaires d’une inter­jec­tion d’une part, arti­cu­lées à la forme excla­ma­tive d’une phrase nomi­nale d’autre part, en vue de moda­li­ser indi­rec­te­ment le haut degré d’in­ten­si­fi­ca­tion asso­cié à l’é­non­cia­tion d’une pro­po­si­tion rela­tive à l’en­vie du locu­teur de prendre le large :

(3) Ah ! l’en­vie de s’en aller ! Pour dor­mir ! D’a­bord ! (Céline, Voyage au bout de la nuit)

Cer­tains adverbes d’é­non­cia­tion (comme sin­cè­re­ment, fran­che­ment) pos­sèdent une force indi­ciaire et des effets d’in­ten­si­fi­ca­tion externe ana­logues. Si l’on remonte notam­ment à notre exemple (1), dans la pre­mière par­tie de cette étude, l’ad­verbe fran­che­ment vient alors ren­for­cer, par un effet rétro­ac­tif de moda­li­sa­tion énon­cia­tive externe à l’ex­pres­sion des pro­po­si­tions moda­li­sées, l’in­ten­si­fi­ca­tion interne que moda­lisent par ailleurs les inten­si­fieurs beau­coup (de portes) et vrai­ment très (déçue):

(1) J’ai eu beau­coup de portes qui se fer­maient quoi en fait <ouais> et j’ai été vrai­ment très déçue fran­che­ment.

(Inter­view AIEM, Borny)

Outre les inter­jec­tions et adverbes d’é­non­cia­tion, nombre de for­mules cen­trées sur le verbe dire (ou autres verbes de parole ou d’at­ti­tude dite « pro­po­si­tion­nelle ») ont des pro­prié­tés ana­logues. C’est le cas notam­ment de diverses for­mules d’in­ten­si­fi­ca­tion excla­ma­tives comme dire que…, dis-donc ! (Per­rin, 2013a). En (4), par exemple, le locu­teur ne concep­tua­lise pas le haut degré d’in­ten­si­té qu’il attri­bue à la lon­gueur de temps que repré­sente l’ex­pres­sion 40 ans :

(4) Dire que je viens d’en prendre pour 40 ans ! (Le Monde.fr, 08-10-2010)

C’est alors exclu­si­ve­ment la force énon­cia­tive conven­tion­nelle d’une for­mule excla­ma­tive qui a pour effet d’in­ten­si­fier indi­rec­te­ment ce qui est repré­sen­té concep­tuel­le­ment dans le cadre de la pro­po­si­tion dont l’é­non­cia­tion est ain­si moda­li­sée. La force d’in­ten­si­fi­ca­tion externe que mani­feste la for­mule pré­sente ici l’é­non­cia­tion de la pro­po­si­tion je viens d’en prendre pour 40 ans comme arra­chée mal­gré lui au locu­teur, sous le coup de l’é­mo­tion que lui pro­cure une prise de conscience subite de la lon­gueur de temps dont il est question.

Un grand nombre de for­mules cen­trées sur le verbe dire (comme J’vous dis que ça, Je vous dis pas, C’est moi qui vous le dis) moda­lisent par ailleurs une forme d’en­ga­ge­ment émo­tif du locu­teur qui n’est pas excla­ma­tif, mais asser­tif, dont les effets d’in­ten­si­fi­ca­tion concernent alors la visée épis­té­mique de l’é­non­cia­tion de telle ou telle pro­po­si­tion. Ci-des­sous, par exemple, C’est moi qui vous le dis (en même temps que l’in­ter­jec­tion retrans­crite par Piouff) inten­si­fie la lon­gueur de la route dont il est question :

(5) Piouff ! La route est longue. C’est moi qui vous le dis.
(http://perles2pluie.cowblog.fr, consul­té le 05-11-2014)

De même en ce qui concerne y’a pas à dire en (6), dont la force d’in­ten­si­fi­ca­tion asser­tive est alors assor­tie d’une force de connec­teur consé­cu­tif, consis­tant à moda­li­ser rétro­ac­ti­ve­ment l’é­non­cia­tion d’une pro­po­si­tion (Oba­ma est un mec cool) comme une conclu­sion ren­for­cée par un argu­ment sup­plé­men­taire (à l’in­té­rieur d’un ensemble d’ar­gu­ments préa­lables implicites):

(6) Oba­ma c’est un mec cool, y’a pas à dire…
(http://ebeho.wordpress.com/?s=obama, 01-11-2014, consul­té le 05-11-2014)

Que dis-je en (7) est quant à lui un connec­teur refor­mu­la­tif, dont les effets moda­lisent l’é­non­cia­tion d’une pro­po­si­tion (cette école où l’on frappe les ins­ti­tu­trices) comme une inten­si­fi­ca­tion de ce qui est expri­mé dans le cadre d’une pro­po­si­tion préa­lable (cette école où l’on menace les ins­ti­tu­trices)[6]À l’in­verse de que dis-je, d’autres connec­teurs refor­mu­la­tifs comme disons, par exemple, ont en revanche des effets déréa­li­sants consis­tant à moda­li­ser l’é­non­cia­tion d’une pro­po­si­tion comme une atté­nua­tion de ce qui a été for­mu­lé préa­la­ble­ment. La sub­sti­tu­tion de disons à que dis-je en (7) impose donc une inver­sion de l’ordre des pro­po­si­tions (Cette école où l’on frappe, disons où l’on menace les ins­ti­tu­trices). :

(7) Cette école où l’on menaceque dis-je ? – où l’on frappe les ins­ti­tu­trices avec des cou­teaux de cuisine.

(Le Nou­vel Obser­va­teur, 04-06-2009)

Quel que soit ce qui les oppose res­pec­ti­ve­ment, ces marques lin­guis­tiques en quoi consistent les inter­jec­tions et autres for­mules sont des indices d’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive externe à l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle qu’elles moda­lisent. Elles s’ar­ti­culent d’une part à l’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive interne, atta­chée à l’ex­pres­sion concep­tuelle de l’in­ten­si­té quan­ti­ta­tive abor­dée dans la pre­mière par­tie de cette étude, et d’autre part à diverses formes de figures de rhé­to­rique au plan discursif.

 

3 – L’in­ten­si­fi­ca­tion rhé­to­rique par hyperbole

Sous un angle sémio­tique, les effets dis­cur­sifs ou rhé­to­riques de l’in­ten­si­fi­ca­tion ne reposent pas direc­te­ment sur les pro­prié­tés énon­cia­tives de rang lin­guis­tique dont il vient d’être ques­tion, mais sur dif­fé­rents indices d’in­ten­si­fi­ca­tion de rang pure­ment prag­ma­tique. Contrai­re­ment aux indices énon­cia­tifs conven­tion­nels atta­chés aux marques lin­guis­tiques d’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive interne ou externe à l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle, les indices que nous dirons « contex­tuels » (ou le cas échéant « cotex­tuels ») de l’in­ten­si­fi­ca­tion rhé­to­rique donnent lieu à une forme ou une autre d’in­fé­rence par abduc­tion (Den­dale, 1994), déclen­chée par la recon­nais­sance d’un fait dis­cur­sif empi­rique. Il ne s’a­git plus alors seule­ment d’ex­pri­mer l’in­ten­si­fi­ca­tion asso­ciée à l’é­non­cia­tion d’une pro­po­si­tion moda­li­sée, de la coder lin­guis­ti­que­ment, mais de l’in­duire, de la faire valoir démons­tra­ti­ve­ment au plan dis­cur­sif effec­tif. Par­mi diverses figures « cotex­tuelles », comme l’é­nu­mé­ra­tion, la refor­mu­la­tion inten­si­fiante ou l’a­na­phore rhé­to­rique[7]Impli­quées notam­ment dans l’un des vers les plus sou­vent cités de la « tirade du nez » d’Ed­mond Ros­tand : « C’est un roc!… C’est un pic!… C’est un cap!… Que dis-je, c’est un cap?… C’est une pénin­sule ! » (Cyra­no de Ber­ge­rac, I, 4)., le simple fait de répé­ter, par exemple, un adjec­tif qua­li­fi­ca­tif ou un inten­si­fieur (Paul était fâché fâché. Il avait un gros gros cha­grin, très très grave, mais grave !) – pour autant qu’il ne soit pas assi­mi­lé à un mal­heu­reux acci­dent de l’é­lo­cu­tion dû à un bégaie­ment du sujet par­lant – a pour consé­quence de pro­duire, par abduc­tion inter­pré­ta­tive, un ren­for­ce­ment rhé­to­rique de l’in­ten­si­fi­ca­tion. Dans le pas­sage ci-des­sous, par exemple, la répé­ti­tion de tota­le­ment inten­si­fie en quelque sorte ges­tuel­le­ment, au plan cotex­tuel de l’é­non­cia­tion effec­tive du locu­teur, l’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive par ailleurs asso­ciée conven­tion­nel­le­ment à la signi­fi­ca­tion de l’adverbe :

(8) La semaine pas­sée, un employeur a été pris car il fai­sait tra­vailler 60 Por­tu­gais contre un salaire de 2,06 euros de l’heure. C’est tota­le­ment tota­le­ment tota­le­ment inac­cep­table. [Le pre­mier ministre Elio di Rupo, pré­sen­tant son plan contre le dum­ping social devant l’as­sem­blée légis­la­tive de Bel­gique] (Liberation.fr, 01-12-2013)

Contrai­re­ment à la simple rédu­pli­ca­tion d’une expres­sion d’in­ten­si­té comme en (8), qui repose exclu­si­ve­ment sur l’ex­ploi­ta­tion cotex­tuelle d’une pro­prié­té élo­cu­toire du dis­cours, l’hy­per­bole est une figure de conte­nu pro­po­si­tion­nel (un « trope » ou une « figure de signi­fi­ca­tion » en rhé­to­rique clas­sique), consis­tant à exploi­ter alors contex­tuel­le­ment une forme ou une autre d’exa­gé­ra­tion pro­po­si­tion­nelle osten­ta­toire de telle ou telle pro­prié­té de l’é­tat de chose auquel le locu­teur réfère. Plu­tôt que de répé­ter sim­ple­ment un adjec­tif ou un adverbe en tant qu’in­dice cotex­tuel d’un redou­ble­ment émo­tif de ses effets d’in­ten­si­fi­ca­tion, le pro­cé­dé hyper­bo­lique consiste à exploi­ter une exa­gé­ra­tion comme l’in­dice contex­tuel d’une per­cep­tion émo­tive de l’é­nor­mi­té de ce dont il s’a­git de rendre compte.

Par­mi les figures dis­cur­sives à effets d’in­ten­si­fi­ca­tion rhé­to­rique, l’hy­per­bole occupe incon­tes­ta­ble­ment une place à part, le point culmi­nant (si l’on ose dire) de ce qui a trait à l’in­ten­si­fi­ca­tion. N’im­porte quelle pro­prié­té inten­sive du lan­gage – qu’elle soit interne ou externe à l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle – peut être impli­quée dans une hyper­bole, qui ne se réa­lise au bout du compte que si l’ex­pres­sion du haut degré se trouve en outre relayée contex­tuel­le­ment par la recon­nais­sance d’une exa­gé­ra­tion osten­ta­toire consis­tant à mettre en scène l’e­thos hyper­bo­lique d’une sorte de jeu de rôle énon­cia­tif per­cep­tif et émo­tif du locu­teur, à effet d’in­ten­si­fi­ca­tion rhé­to­rique ; comme si l’é­nor­mi­té de ce dont il s’a­git de rendre compte avait per­tur­bé tem­po­rai­re­ment sa per­cep­tion et son émo­tion. Dans le pas­sage ci-des­sous, par exemple, les pro­cé­dés inten­sifs n’a­bou­tissent fina­le­ment à aucune hyper­bole, car le locu­teur reven­dique au bout du compte expli­ci­te­ment la ratio­na­li­té de ce qu’il exprime. Après avoir fait mine de vou­loir s’ap­puyer sur une com­pa­rai­son inten­sive à effets d’exa­gé­ra­tion hyper­bo­lique, le locu­teur finit ici par annu­ler rétro­ac­ti­ve­ment les vir­tua­li­tés figu­rales de son dis­cours (tout en jouant néan­moins sur les effets syl­lep­tiques de la locu­tion du jamais-vu):

(9) Un sacré chal­lenge pour Muse [Téles­cope chi­lien] qui, grâce à ses per­for­mances, devrait détec­ter et per­mettre d’é­tu­dier des galaxies cent mil­lions de fois moins brillantes que les étoiles les moins lumi­neuses obser­vables à l’œil nu. Au sens propre, du jamais-vu.

(JDD, 08-09-2013)

L’exa­gé­ra­tion hyper­bo­lique est au cœur des figures vives par com­pa­rai­son, méta­phore ou méto­ny­mie, fon­dées sur l’é­non­cia­tion effec­tive d’un conte­nu appré­hen­dé comme osten­si­ble­ment inap­pro­prié (ou du moins déca­lé) rela­ti­ve­ment aux pro­prié­tés de tel ou tel état de chose auquel le locu­teur réfère, en vue d’in­ten­si­fier ce qu’il cherche à com­mu­ni­quer figu­ré­ment. Si l’on dit, par exemple, que Pierre est un âne, un coq, un paon, un ours, un singe, un bull­do­zer, l’ob­jec­tif est d’in­ten­si­fier symp­to­ma­ti­que­ment, par l’e­thos hyper­bo­lique d’un sté­réo­type asso­cié à un point de vue méta­pho­rique, ce que le locu­teur met en scène comme une exa­gé­ra­tion osten­ta­toire de telle ou telle pro­prié­té de Pierre. Les méta­phores vives en par­ti­cu­lier – comme encore une fois dans le fameux vers de la « tirade du nez » rap­por­té dans la note 7 – ne sont géné­ra­le­ment que des formes par­ti­cu­lières d’hy­per­boles dont le locu­teur joue (ou se joue) en vue d’in­ten­si­fier telle ou telle pro­prié­té de l’é­tat de chose auquel il réfère (Per­rin, 1996). Le pas­sage sui­vant, par exemple, peut être inter­pré­té comme une hyper­bole, dans la mesure où Bay­rou, confron­té à ce qu’il conçoit comme l’é­nor­mi­té réfé­ren­tielle de spé­cu­la­tions rela­tives à son éven­tuelle alliance avec Sar­ko­zy, s’emploie alors à les réfu­ter par une forme d’i­mage méta­pho­rique consis­tant à inten­si­fier émo­ti­ve­ment son refus d’y enga­ger ne serait-ce que le bout de l’ongle du petit doigt :

(10) Sa qua­li­fi­ca­tion au second tour étant hau­te­ment impro­bable, le Béar­nais ira-t-il jus­qu’à s’al­lier au sor­tant pour « battre Hol­lande » ? « Je ne met­trai pas le bout de l’ongle du petit doigt dans ces spé­cu­la­tions, vous enten­dez ? J’ai assez confiance pour ne pas envi­sa­ger des hypo­thèses de cet ordre », pro­tes­tait same­di Bayrou.

(Libération.fr, 02-04-2012)

Certes, les indices énon­cia­tifs contex­tuels en quoi consistent les figures vives ne s’op­posent que gra­duel­le­ment aux indices conven­tion­nels d’in­ten­si­fi­ca­tion interne en quoi consistent les figures plus ou moins lexi­ca­li­sées qui en sont issues dia­chro­ni­que­ment (Per­rin, 2013b). À terme, les pro­prié­tés contex­tuelles hyper­bo­liques atta­chées notam­ment aux méta­phores vives finissent par se réduire aux traits séman­tiques de simples expres­sions d’in­ten­si­té concep­tuelle, dont l’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive n’a fina­le­ment plus d’ef­fets osten­ta­toires d’exa­gé­ra­tion rhé­to­rique au plan dis­cur­sif. Dans le cadre d’un énon­cé comme Marie est un peu bécasse, par exemple, le sens méta­pho­rique est inté­gra­le­ment absor­bé par les vir­tua­li­tés concep­tuelles et énon­cia­tives internes du mot bécasse, qui ne fait alors plus du tout réfé­rence à l’oi­seau par le biais d’une image méta­pho­rique à effets d’exa­gé­ra­tion hyper­bo­lique. De même, dans l’exemple (1) abor­dé au début de cette étude, la méta­phore asso­ciée à la notion de portes qui se ferment ou qui s’ouvrent n’ac­tive plus d’i­mage méta­pho­rique hyper­bo­lique. Nombre d’ex­pres­sions figées d’o­ri­gine hyper­bo­lique cor­res­pondent désor­mais à de simples locu­tions inten­sives comme bête à pleu­rer (au sens de « très bête »), fou à lier (au sens de « com­plé­te­ment fou »), (jolie) à cro­quer (« vrai­ment jolie »), blanc comme neige (« très blanc »), léger comme l’air (« très léger »), géné­ra­le­ment dépour­vues de sens lit­té­ral à effet d’exa­gé­ra­tion rhé­to­rique (sauf à être défi­gées contex­tuel­le­ment). Avant cepen­dant de se lexi­ca­li­ser dia­chro­ni­que­ment sous la forme de simples expres­sions inten­sives, les pro­cé­dés hyper­bo­liques consistent par nature à ins­tru­men­ta­li­ser lit­té­ra­le­ment une exa­gé­ra­tion (méta­pho­rique ou autre), en tant que symp­tôme contex­tuel d’une perte de contrôle émo­tif du locu­teur. Moins émous­sée par l’u­sage que cer­taines locu­tions méta­pho­riques du haut degré comme en mettre sa main (en don­ner sa tête) à cou­per, l’i­mage du bout de l’ongle du petit doigt que Bay­rou refuse d’en­ga­ger dans les spé­cu­la­tions de son rap­pro­che­ment avec Sar­ko­zy demeure suf­fi­sam­ment vive pour engen­drer la prise en compte d’une exa­gé­ra­tion hyper­bo­lique.[8]Sous l’ef­fet notam­ment des ins­truc­tions indi­ciaires asso­ciées à une for­mule ver­bale d’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive externe, de forme inter­ro­ga­tive (vous enten­dez ?).

Entre tous, le style de Céline a por­té l’in­ten­si­fi­ca­tion rhé­to­rique à son plus haut degré (si l’on ose dire, encore une fois). En vue de mettre en jeu et, ce fai­sant, de faire par­ta­ger au lec­teur l’ex­pé­rience de ses émo­tions énon­cia­tives, l’en­tre­prise de Céline mobi­lise notam­ment les pro­cé­dés tant lin­guis­tiques que prag­ma­tiques de l’in­ten­si­fi­ca­tion, les jeux rhé­to­riques notam­ment hyper­bo­liques (et aus­si lito­tiques et iro­niques) qui s’y rap­portent. Le pas­sage sui­vant par exemple en témoigne, qui nous conduit pro­gres­si­ve­ment de l’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive à diverses hyper­boles, pour nous faire éprou­ver en l’oc­cur­rence à la fois le dégoût et le désir mal­sain que lui ins­pirent les traits d’une des nom­breuses figures fémi­nines dia­bo­liques et ten­ta­trices peu­plant le châ­teau de Sigmaringen :

(11) par­don!… cette tronche!… vous auriez dit toute la Place Blanche et les plus pires leveuses des Bois… […] mais pour le minois, par­don!… du Roche­chouart et « des­sous de métro»… la bouche pul­peuse-ava­leuse, encore peut-être pire que

Lou­koum!… la bouche à ava­ler le trot­toir, l’é­di­cule et tous les clients, et leurs organes et les croû­tons!… les yeux?… de ces braises!… l’ar­deur fond de vol­cans pas éteints… ter­ribles dangereux!…

(Céline, D’un châ­teau l’autre)

Le pre­mier énon­cé de ce pas­sage se rap­proche for­mel­le­ment de l’exemple (3) ana­ly­sé pré­cé­dem­ment (deuxième par­tie), qui consis­tait à inten­si­fier, à par­tir de pro­prié­tés énon­cia­tives externes à l’ex­pres­sion de la pro­po­si­tion énon­cée, l’en­vie du locu­teur de prendre le large. Comme c’est le cas fré­quem­ment chez Céline, chaque nou­veau motif des­crip­tif ou nar­ra­tif com­mence par s’ap­puyer sur les ins­truc­tions indi­ciaires d’une forme ou une autre d’in­ter­jec­tion ou for­mule énon­cia­tive (ici l’in­ter­jec­tion par­don!…), arti­cu­lée à la force excla­ma­tive d’une phrase nomi­nale démons­tra­tive (cette tronche!…), en vue d’a­bord de moda­li­ser le haut degré d’in­ten­si­fi­ca­tion asso­cié à l’é­non­cia­tion d’une pro­po­si­tion dont l’ex­pres­sion se réduit en l’oc­cur­rence à une simple déno­mi­na­tion péjo­ra­tive. Loin encore de l’e­thos hyper­bo­lique auquel Céline s’ap­prête à avoir recours, la stra­té­gie énon­cia­tive mise en jeu repose ain­si dans un pre­mier temps sur une forme de cap­ta­tion émo­tive par subrep­tion pro­po­si­tion­nelle, une forme de réti­cence ou de qua­si-pré­té­ri­tion, au sens de la rhé­to­rique clas­sique, consis­tant à sug­gé­rer par omis­sion ce que l’é­mo­ti­vi­té du locu­teur le retient d’a­bord d’é­non­cer expli­ci­te­ment. Cette attaque sus­pen­sive à effets de litote ini­tiale accen­tue alors par contraste la sou­daine reprise en main de sa parole par le locu­teur, qui s’a­ban­donne ensuite à une suc­ces­sion d’hy­per­boles en cas­cades, dont les effets d’exa­gé­ra­tion émo­tive s’ap­puient sur dif­fé­rents pro­cé­dés d’in­ten­si­fi­ca­tion rhé­to­rique par com­pa­rai­sons et méta­phores vives, avant de s’é­chouer fina­le­ment sur deux ultimes adjec­tifs à effets d’in­ten­si­fi­ca­tion interne (ter­ribles dan­ge­reux!…).

De façon géné­rale, le style de Céline fait res­sor­tir une affi­ni­té sys­té­ma­tique de la force d’in­ten­si­fi­ca­tion atta­chée aux indices conven­tion­nels en quoi consistent les excla­ma­tions, inter­jec­tions et autres for­mules énon­cia­tives externes à l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle, et de celle atta­chée aux indices contex­tuels en quoi consiste l’é­non­cia­tion par hyper­bole (ou par­fois par litote) asso­ciée indi­rec­te­ment aux pro­prié­tés énon­cia­tives internes à l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle. Le motif sty­lis­tique ain­si éla­bo­ré fait appa­raître que l’in­ten­si­fi­ca­tion émo­tive asso­ciée conven­tion­nel­le­ment à cer­taines pro­prié­tés énon­cia­tives externes à l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle favo­rise la visée émo­tive asso­ciée à l’in­ten­si­fi­ca­tion rhé­to­rique par hyper­bole (et plus géné­ra­le­ment l’in­ten­si­fi­ca­tion interne à l’ex­pres­sion des pro­po­si­tions énon­cées), visée qui contri­bue à jus­ti­fier en retour les effets émo­tifs externes de l’intensification.

 

4 – L’in­ten­si­fi­ca­tion par effets de litote

À la dif­fé­rence de l’hy­per­bole, la litote ne consiste pas à exa­gé­rer mais à mini­mi­ser, à sous-esti­mer osten­si­ble­ment le haut degré de déter­mi­na­tion quan­ti­ta­tive de telle ou telle pro­prié­té consti­tu­tive de l’é­tat de chose auquel une pro­po­si­tion réfère. Contrai­re­ment à l’hy­per­bole, qui joue sur une exa­gé­ra­tion par l’ex­pres­sion du haut degré d’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive, la litote a recours aux pro­cé­dés déréa­li­sants de l’in­ten­si­fi­ca­tion, asso­ciés à diverses expres­sions comme pas très (malin), assez (fin), plu­tôt (gen­til), un peu (fou), en vue d’at­té­nuer lit­té­ra­le­ment les effets d’in­ten­si­fi­ca­tion de ce qu’elle exprime. La néga­tion d’une expres­sion du haut degré de pola­ri­té inverse (comme pas très malin, pas génial, pas gen­til gen­til) est un moyen d’ap­pui fré­quem­ment exploi­té par la litote, par­mi dif­fé­rents pro­cé­dés consis­tant à conte­nir loca­le­ment l’ex­pres­sion interne du haut degré d’in­ten­si­fi­ca­tion d’une pro­po­si­tion énon­cée. Il est bien connu depuis Dumar­sais que la litote ne vise pas défi­ni­ti­ve­ment à abais­ser, à affai­blir l’in­ten­si­fi­ca­tion de ce qu’elle repré­sente (voir notam­ment Horak, 2011). Ce n’est pas, comme l’eu­phé­misme (Bon­homme, de La Torre & Horak, 2012), pour en limi­ter les effets inten­si­fiants que la litote consiste à mini­mi­ser lit­té­ra­le­ment le haut degré d’in­ten­si­fi­ca­tion atta­ché à l’é­non­cia­tion d’une pro­po­si­tion qu’elle exprime, mais au contraire pour les faire valoir au plan rhé­to­rique, les réta­blir par sous-enten­du. La litote et l’hy­per­bole se confrontent aux mêmes cir­cons­tances asso­ciées à l’é­nor­mi­té contex­tuelle de ce qu’elles repré­sentent, et visent le même genre d’in­ten­si­fi­ca­tion rhé­to­rique à l’ar­ri­vée. Seuls les moyens énon­cia­tifs et rhé­to­riques d’y par­ve­nir dif­fèrent, en par­ti­cu­lier les atti­tudes émo­tives dont elles pro­cèdent. En témoigne notam­ment l’exemple ci-des­sous, où l’in­ter­lo­cu­teur confirme expli­ci­te­ment dans sa réponse les effets d’in­ten­si­fi­ca­tion rhé­to­rique impli­ci­te­ment atta­chés à une forme de litote :

Pas facile facile comme situation
À qui le dis-tu c’est clair que c’est une situa­tion très dif­fi­cile.

(Inter­view AIEM, Borny)

Plu­tôt que de jouer, comme l’hy­per­bole, sur les débor­de­ments d’une exa­gé­ra­tion comme indices contex­tuels d’une perte de contrôle émo­tif du locu­teur à effets d’in­ten­si­fi­ca­tion, la litote repose sur un jeu moins direct et fron­tal, consis­tant à mettre en scène une forme de contrôle par la pudeur et la rete­nue émo­tive du locu­teur, face à l’é­nor­mi­té contex­tuelle de ce dont il cherche à rendre compte. À l’op­po­sé de l’e­thos hyper­bo­lique, qui consiste à s’a­ban­don­ner d’une seule pièce à l’exa­gé­ra­tion par l’ex­pres­sion du haut degré, l’e­thos de la litote consiste au contraire à conte­nir osten­si­ble­ment les débor­de­ments d’une émo­tion pour­tant légi­time du locu­teur. Alors que l’e­thos hyper­bo­lique se rap­proche de celui d’un cri de joie ou de souf­france, des larmes de la pleu­reuse consis­tant à sur­en­ché­rir sur la gra­vi­té de sa dou­leur, la litote met en scène la digni­té et la maî­trise, le stoï­cisme de l’é­mo­tion conte­nue. Elle repose ce fai­sant sur un jeu énon­cia­tif plus com­plexe que l’hy­per­bole, impli­quant de faire valoir indi­rec­te­ment le haut degré d’in­ten­si­fi­ca­tion qu’elle consiste fron­ta­le­ment à mas­quer. Plu­tôt que d’ex­ploi­ter sans rete­nue l’ex­pres­sion du haut degré jus­qu’à l’exa­gé­ra­tion rhé­to­rique, la litote doit ain­si mani­fes­ter la volon­té du locu­teur de conte­nir loca­le­ment l’ex­pres­sion du haut degré d’in­ten­si­fi­ca­tion d’une pro­po­si­tion, de sous-esti­mer l’é­tat de chose auquel elle réfère, ceci par le moyen de dif­fé­rents indices qui peuvent être contex­tuels (à com­men­cer par l’é­vi­dence réfé­ren­tielle de ce dont il est ques­tion) ou cotex­tuels (par exemple, lors­qu’une hyper­bole suc­cède à une forme coré­fé­ren­tielle de litote, comme à l’at­taque de (11); ou encore, comme nous allons le voir en (15), lors­qu’une litote refor­mule une énon­cia­tion anté­rieure hyperbolique).

Au besoin, les effets de la litote peuvent aus­si s’ap­puyer indi­rec­te­ment sur les pro­prié­tés conven­tion­nelles de l’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive. La litote exploite alors à cet effet notam­ment ce qui oppose l’ex­pres­sion du haut degré d’in­ten­si­té concep­tuelle, dont relève l’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive interne à l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle, à l’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive externe que mani­festent notam­ment les inter­jec­tions et autres for­mules. Contrai­re­ment aux pro­prié­tés internes à l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle de l’in­ten­si­té forte, incom­pa­tibles avec la litote et cor­ré­la­ti­ve­ment indis­so­ciables de l’hy­per­bole, les for­mules énon­cia­tives externes inten­si­fient indif­fé­rem­ment l’é­non­cia­tion d’une pro­po­si­tion par effets de litote ou d’hy­per­bole. La dif­fé­rence tient au fait que l’hy­per­bole, en vue de signa­ler les débor­de­ments d’une exa­gé­ra­tion émo­tive du locu­teur, s’ap­puie d’un même geste et indif­fé­rem­ment sur les pro­prié­tés inten­sives à la fois internes et externes à l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle. Tan­dis que la litote, en revanche, en vue de faire valoir, au plan interne de la pro­po­si­tion énon­cée, une émo­tion conte­nue du locu­teur, s’ap­puie sur un dés­équi­libre de ces pro­prié­tés. À défaut de pou­voir prendre appui le cas échéant sur cer­tains indices contex­tuels asso­ciés à sa situa­tion d’é­non­cia­tion effec­tive, la litote accen­tue alors à cet effet les pro­prié­tés inten­sives externes à l’ex­pres­sion de telle ou telle pro­po­si­tion énon­cée, afin d’en faire valoir loca­le­ment l’in­ten­si­fi­ca­tion interne défi­ci­taire. Dans le pas­sage ci-des­sous, par exemple, l’ad­verbe d’é­non­cia­tion sin­cè­re­ment joue ce rôle, qui auto­rise de para­phra­ser par « très mal­hon­nête » ce qui est com­mu­ni­qué figu­ré­ment par l’é­non­cia­tion de la pro­po­si­tion C’est pas très très hon­nête :

(13) Les cinq mille mil­liards d’é­co­no­mie qu’an­nonce Gor­don Brown, c’est quand même… Sin­cè­re­ment, c’est pas très très honnête !

(France Inter, L’é­di­to éco, 01-04-2009)

La for­mule je peux dire joue ci-des­sous un rôle ana­logue chez Céline, qui per­met dès lors de para­phra­ser l’é­non­cia­tion de la pro­po­si­tion pas beau­coup admi­ré les femmes par très peu admi­ré les femmes, et ensuite l’é­non­cia­tion de j’é­tais sen­sible par quelque chose comme j’é­tais très sen­sible ou vrai­ment sen­sible :

(14) pas beau­coup admi­ré les femmes, je peux dire, dans une pour­tant jupon­nière vie… mais là je peux dire j’é­tais sen­sible

(Céline, D’un châ­teau l’autre)

Bien que cer­taines pro­prié­tés internes déréa­li­santes – comme la néga­tion d’un inten­si­fieur en (13) et (14): pas très très, pas beau­coup – contri­buent par­fois à aggra­ver le dés­équi­libre sur lequel se fonde la litote, il n’en demeure pas moins que ce dés­équi­libre dépend alors essen­tiel­le­ment des ins­truc­tions énon­cia­tives externes à l’ex­pres­sion de la pro­po­si­tion énon­cée, seules sus­cep­tibles de mani­fes­ter le haut degré d’in­ten­si­fi­ca­tion que pré­tend conte­nir et faire valoir figu­ré­ment le locu­teur au plan rhé­to­rique. À deux reprises en (14), la for­mule je peux dire suf­fit à assu­rer ce dés­équi­libre sur lequel repose la litote, asso­ciée par­fois à l’é­non­cia­tion d’une pro­po­si­tion sus­cep­tible d’être alors dépour­vue de toute ins­truc­tion interne déréa­li­sante. La pro­po­si­tion j’é­tais sen­sible ne com­prend en l’oc­cur­rence aucun modi­fi­ca­teur interne à effets d’at­té­nua­tion. [9]C’est le cas éga­le­ment, par exemple, de l’é­non­cia­tion de la pro­po­si­tion la route est longue en (5) – dans la deuxième par­tie de cette étude –, dont l’in­ten­si­fi­ca­tion interne est dés­équi­li­brée par les ins­truc­tions externes d’une inter­jec­tion pré­po­sée d’une part, et celles d’une for­mule ver­bale énon­cia­tive post­po­sée de l’autre. Compte tenu du fait qu’au­cune marque de haut degré ne vient alors inten­si­fier cor­ré­la­ti­ve­ment la lon­gueur de la route au plan interne de l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle, ces for­mules imposent un ren­for­ce­ment rhé­to­rique de l’in­ten­si­fi­ca­tion concep­tuelle … Conti­nue rea­ding

Le dés­équi­libre en ques­tion joue dans la litote un rôle ana­logue à celui que joue l’exa­gé­ra­tion dans l’hy­per­bole. Dans les deux cas, le pro­cé­dé consiste à exploi­ter une émo­tion énon­cia­tive à effets d’in­ten­si­fi­ca­tion. Soit le locu­teur se laisse alors empor­ter par l’e­thos hyper­bo­lique d’une exa­gé­ra­tion émo­tive, soit au contraire il adopte la pos­ture émo­tive de rete­nue asso­ciée à l’e­thos de la litote. La com­plé­men­ta­ri­té de ces deux figures dis­cur­sives d’in­ten­si­fi­ca­tion rhé­to­rique est sys­té­ma­ti­que­ment exploi­tée dans le style de Céline, qui s’ap­puie notam­ment sur le contraste et, ce fai­sant, sur la déter­mi­na­tion réci­proque des atti­tudes et émo­tions énon­cia­tives dont elles pro­cèdent, face à la constante énor­mi­té de cir­cons­tances que le récit céli­nien s’emploie par ce moyen à faire éprou­ver à son lec­teur tan­tôt par hyper­bole, tan­tôt par litote (assor­ties ou non res­pec­ti­ve­ment d’une dimen­sion iro­nique). En témoigne notam­ment l’exemple (15), qui nous conduit d’une pre­mière longue séquence nar­ra­tive – consis­tant à inten­si­fier pro­gres­si­ve­ment les richesses extra­va­gantes d’un train que les digni­taires pétai­nistes de Sig­ma­rin­gen ont affré­té pour assu­rer leur fuite éper­due à tra­vers l’Al­le­magne en déroute – à la conci­sion rete­nue d’une obser­va­tion laco­nique du nar­ra­teur comme per­son­nage sous forme de litote (vous aurez eu du confort):

(15) Vous pen­sez le luxe ! toute l’é­lé­gance wil­hel­mienne, per­sane, et turque mélan­gée!… vous ima­gi­nez, ces bro­carts, tapis­se­ries, ten­tures, cor­de­lières ! pire que chez Laval!… divans, sofas, poufs, cuirs à reliefs ! et des tapis!… ce qu’ils avaient trou­vé de plus épais ! super-Bou­kha­ra!… super-Indes!… des rideaux d’une tonne, en brise-bise!… oh, ils avaient pas regar­dé ! […] vous pou­viez pas en mettre plus!… je lui dis, je me sou­viens encore, à Marion… « je sais pas si vous arri­ve­rez, mais vous aurez eu du confort ! »

(Céline, D’un châ­teau l’autre)

Der­rière la varié­té des formes et des effets d’in­ten­si­fi­ca­tion mis en œuvre, l’in­té­rêt de ce pas­sage tient d’a­bord à l’in­fla­tion pro­gres­sive de l’in­ten­si­fi­ca­tion d’une des­crip­tion nar­ra­tive consis­tant à nou­veau – comme dans l’exemple (11) – à gon­fler peu à peu l’e­thos hyper­bo­lique du nar­ra­teur comme tel, infla­tion que vient ensuite d’un seul coup for­mel­le­ment ren­ver­ser l’e­thos lito­tique du locu­teur comme per­son­nage de l’his­toire rela­tée. Par ce contraste, le style de Céline fait res­sor­tir notam­ment ce qui oppose la débauche de moyens, l’am­pleur linéaire logor­rhéique des pro­cé­dés d’in­ten­si­fi­ca­tion internes et externes à l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle du haut degré asso­ciés à l’hy­per­bole, aux pro­cé­dés d’é­co­no­mie par omis­sion (pré­té­ri­tion, réti­cence) sur les­quels se fonde notam­ment l’at­té­nua­tion par déréa­li­sa­tion de l’in­ten­si­fi­ca­tion interne à l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle de toute forme de litote. Compte tenu des effets d’in­ten­si­fi­ca­tion de ce qui pré­cède, la litote n’a alors nul besoin de s’ap­puyer sur une quel­conque inter­jec­tion ou autre pro­prié­té énon­cia­tive externe à l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle de ce que le locu­teur cherche à com­mu­ni­quer figu­ré­ment. Les effets hyper­bo­liques de la séquence préa­la­ble­ment énon­cée suf­fisent ici à assu­rer cotex­tuel­le­ment le dés­équi­libre dont découle la fai­blesse inten­sive de l’ex­pres­sion sur laquelle repose l’é­non­cia­tion de cette der­nière pro­po­si­tion sous forme de litote.

 

5 – Conclu­sion et perspectives

L’ob­jec­tif de cette étude était d’ap­pré­hen­der ce qui arti­cule les pro­prié­tés concep­tuelles aux pro­prié­tés énon­cia­tives et ensuite aux effets rhé­to­riques de l’in­ten­si­fi­ca­tion. Le che­min par­cou­ru nous a donc conduit dans un pre­mier temps des pro­prié­tés lin­guis­tiques de l’in­ten­si­té concep­tuelle à celles de l’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive (1ère par­tie), et des pro­prié­tés énon­cia­tives que nous avons appe­lées internes aux pro­prié­tés externes à l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle (2ème par­tie), avant de nous mettre sur la voie de l’in­ten­si­fi­ca­tion rhé­to­rique dont relèvent l’hy­per­bole (3ème par­tie) et fina­le­ment la litote (4ème par­tie). Ce che­mi­ne­ment s’in­ter­rompt ici pro­vi­soi­re­ment, peut-être un peu bru­ta­le­ment, à l’o­rée de ce qui consti­tue à mon sens l’autre ver­sant des effets rhé­to­riques de l’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive, qui a trait au sar­casme et à l’i­ro­nie. L’es­pace impar­ti ne nous per­met­tra pas de nous y enga­ger, mais il importe d’a­voir en vue que les formes d’in­ten­si­fi­ca­tion sur les­quelles se fondent res­pec­ti­ve­ment l’hy­per­bole et la litote déter­minent indi­rec­te­ment ce qui a trait à diverses formes de sar­casme et d’i­ro­nie, dont les pro­prié­tés consistent alors à exploi­ter pré­ci­sé­ment l’e­thos hyper­bo­lique ou lito­tique à des fins poly­pho­niques de type polémique.

De façon géné­rale, le sar­casme et l’i­ro­nie consistent à mettre en scène l’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive d’une sub­jec­ti­vi­té émo­tive à laquelle le locu­teur fait écho (au sens de Sper­ber et Wil­son, 1989), en vue de la tour­ner en déri­sion. Sans pré­tendre évi­dem­ment faire ici le tour de ce qui oppose le sar­casme et l’i­ro­nie – que j’a­vais ana­ly­sés par le pas­sé (Per­rin, 1996) comme des formes de déri­sion énon­cia­tive ana­logues, res­pec­ti­ve­ment expli­cites et impli­cites –, pas davan­tage que de cla­ri­fier défi­ni­ti­ve­ment ce qui dis­tingue leurs tour­nures res­pec­ti­ve­ment hyper­bo­lique ou lito­tique, je me contente de rele­ver au pas­sage que notre exemple (2), abor­dé dans la deuxième par­tie de cette étude, com­prend notam­ment une forme de sar­casme asso­ciée à l’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive d’une pro­po­si­tion impu­tée à un pré­sident hel­vé­tique qui pré­tend faire de l’ar­mée suisse la meilleure du monde. L’as­si­mi­la­tion de cette énon­cia­tion super­la­tive vir­tuel­le­ment hyper­bo­lique à un sar­casme (expli­cite), plu­tôt qu’à une forme d’i­ro­nie (impli­cite), tient en l’oc­cur­rence aux effets « contre­fac­tifs » du verbe pré­tendre, impli­quant que le locu­teur ne reven­dique pas per­son­nel­le­ment le point de vue qu’il prend pour cible. Toutes choses égales par ailleurs, si son énon­cia­tion avait été moda­li­sée comme pré­ten­du­ment prise en charge par le locu­teur, la pro­po­si­tion selon laquelle l’ar­mée suisse serait la meilleure du monde aurait alors été inter­pré­tée comme une forme d’exa­gé­ra­tion à effets ironiques.

Plu­tôt que d’ex­ploi­ter une exa­gé­ra­tion à des fins d’in­ten­si­fi­ca­tion hyper­bo­lique, les exa­gé­ra­tions per­çues comme iro­niques s’ap­puient sur une énon­cia­tion à effets poly­pho­niques échoïques consis­tant à feindre une telle stra­té­gie, en vue de faire endos­ser impli­ci­te­ment l’exa­gé­ra­tion qui s’y rap­porte à celui qui est pris pour cible. Loin d’am­pli­fier dans ces condi­tions l’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive de ce dont il est ques­tion, la perte de contrôle émo­tif asso­ciée à l’e­thos hyper­bo­lique de l’exa­gé­ra­tion se retourne alors contre celui auquel l’i­ro­niste fait écho, qu’il cherche ain­si à tour­ner en déri­sion. Quant aux iro­nies asso­ciées à une forme de litote, elles consistent en revanche à faire endos­ser l’af­fai­blis­se­ment de l’in­ten­si­fi­ca­tion qui s’y rap­porte à celui qui est pris pour cible. Plu­tôt que d’ex­ploi­ter l’af­fai­blis­se­ment énon­cia­tif de telle ou telle pro­po­si­tion en vue de reven­di­quer le contrôle d’une émo­tion due à l’é­nor­mi­té de ce que repré­sente la litote, l’e­thos iro­nique consiste à le faire endos­ser à celui que l’i­ro­niste prend pour cible, qu’il accuse dès lors au contraire d’en sous-esti­mer l’é­nor­mi­té. Les mêmes effets d’in­ten­si­fi­ca­tion sur les­quels reposent l’hy­per­bole et la litote sont ain­si impli­qués dans le sar­casme et dans l’i­ro­nie, qui tout sim­ple­ment les exploitent à des fins rhé­to­riques offen­sives de nature poly­pho­nique, sur les­quelles nous revien­drons plus posé­ment à une autre occasion.

 

Biblio­gra­phie

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Notes

Notes
1 Les expres­sions inten­sives seront mar­quées en gras dans tous les exemples de cette étude. Nous revien­drons, dans la seconde par­tie, sur les effets de l’ad­verbe d’é­non­cia­tion fran­che­ment, que nous défi­ni­rons comme un moda­li­sa­teur d’in­ten­si­fi­ca­tion « externe » à l’ex­pres­sion de la pro­po­si­tion énoncée.
2 En ce qui concerne dif­fé­rents aspects de cette dis­tinc­tion entre les notions d” »inten­si­té » et d” »inten­si­fi­ca­tion », voir les diverses approches réunies par Ans­combre et Tam­ba (2013), en par­ti­cu­lier les articles d’Ans­combre, d’Ad­ler et Asnes, de Lar­ri­vée, de Lenepveu.
3 Ducrot (1995) parle à ce sujet de modi­fi­ca­teurs « réa­li­sants » – consis­tant à ren­for­cer la force d’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive asso­ciée à l’in­ten­si­té concep­tuelle repré­sen­tée – et res­pec­ti­ve­ment de modi­fi­ca­teurs « déréa­li­sants » consis­tant soit à atté­nuer, soit à inver­ser l’in­ten­si­fi­ca­tion qui s’y rap­porte. Par­mi d’autres curio­si­tés séman­ti­co-prag­ma­tiques, le rôle des « inten­si­fieurs » et res­pec­ti­ve­ment des « atté­nua­teurs » ou « inver­seurs » en quoi consistent les « modi­fi­ca­teurs réa­li­sants » ou « déréa­li­sants » per­met d’ex­pli­quer acces­soi­re­ment ce qui carac­té­rise la force d’in­ten­si­fi­ca­tion asso­ciée à l’emploi figu­ra­tif de cer­taines expres­sions concep­tuel­le­ment non gra­duables ou quan­ti­ta­tives à la base (comme l’ad­jec­tif car­ré dans le cadre d’une construc­tion comme : Un rai­son­ne­ment un peu / vrai­ment très car­ré).
4 Ana­ly­sées notam­ment par Maran­din (2010) et Ans­combre (2013), à la suite de Mil­ner (1978).
5 Nous revien­drons briè­ve­ment, à la fin de cette étude, sur les effets sar­cas­tiques asso­ciés à l’é­non­cia­tion de la pro­po­si­tion subor­don­née dont relève l’ex­pres­sion super­la­tive La meilleure du monde.
6 À l’in­verse de que dis-je, d’autres connec­teurs refor­mu­la­tifs comme disons, par exemple, ont en revanche des effets déréa­li­sants consis­tant à moda­li­ser l’é­non­cia­tion d’une pro­po­si­tion comme une atté­nua­tion de ce qui a été for­mu­lé préa­la­ble­ment. La sub­sti­tu­tion de disons à que dis-je en (7) impose donc une inver­sion de l’ordre des pro­po­si­tions (Cette école où l’on frappe, disons où l’on menace les ins­ti­tu­trices).
7 Impli­quées notam­ment dans l’un des vers les plus sou­vent cités de la « tirade du nez » d’Ed­mond Ros­tand : « C’est un roc!… C’est un pic!… C’est un cap!… Que dis-je, c’est un cap?… C’est une pénin­sule ! » (Cyra­no de Ber­ge­rac, I, 4).
8 Sous l’ef­fet notam­ment des ins­truc­tions indi­ciaires asso­ciées à une for­mule ver­bale d’in­ten­si­fi­ca­tion énon­cia­tive externe, de forme inter­ro­ga­tive (vous enten­dez ?).
9 C’est le cas éga­le­ment, par exemple, de l’é­non­cia­tion de la pro­po­si­tion la route est longue en (5) – dans la deuxième par­tie de cette étude –, dont l’in­ten­si­fi­ca­tion interne est dés­équi­li­brée par les ins­truc­tions externes d’une inter­jec­tion pré­po­sée d’une part, et celles d’une for­mule ver­bale énon­cia­tive post­po­sée de l’autre. Compte tenu du fait qu’au­cune marque de haut degré ne vient alors inten­si­fier cor­ré­la­ti­ve­ment la lon­gueur de la route au plan interne de l’ex­pres­sion pro­po­si­tion­nelle, ces for­mules imposent un ren­for­ce­ment rhé­to­rique de l’in­ten­si­fi­ca­tion concep­tuelle atta­chée à l’ad­jec­tif longue. Il suf­fit alors d’in­té­grer à la for­mu­la­tion de cette pro­po­si­tion un inten­si­fieur comme tel­le­ment, vrai­ment, très très (longue), ou de rem­pla­cer l’ad­jec­tif longue par inter­mi­nable, pour abo­lir tout effet de litote et même bas­cu­ler le cas échéant dans l’hy­per­bole. À l’in­verse, un affai­blis­se­ment de l’in­ten­si­fi­ca­tion interne atta­chée à l’ad­jec­tif longue (par un modi­fi­ca­teur à effets déréa­li­sants comme plu­tôt, un peu, assez) aurait pour consé­quence d’ac­cen­tuer le dés­équi­libre, et ce fai­sant l’ef­fet de litote qui s’y rapporte.