Dans A. Rabatel, J.-M. Leblanc et M. Temar (dir.)
Sciences du langage et neurosciences
Paris, Lambert Lucas, 2016, 189–209
Laurent Perrin
Université de Paris-Est Créteil, CEDITEC
Résumé
A l’interface du langage et de l’esprit, la subjectivité détermine la valeur des informations associées à ce que l’esprit conçoit et que représente le langage. On a coutume de négliger cette part subjective, que le langage et l’esprit humains ont hérité du cri animal dont ils sont issus, de la minimiser ou tout bonnement de l’ignorer. Je défends au contraire l’idée que ce qui a trait à la subjectivité de l’esprit se retrouve aujourd’hui dans le langage, sous la forme de ce qui concerne les propriétés énonciatives du sens des énoncés. Le premier volet de cette présentation porte sur les fondements neuronaux de la subjectivité, enracinée jusque dans les esprits d’avant la conscience. Le second volet définit sommairement la place de la subjectivité dans l’esprit humain conscient, à l’arrière-plan de ce qu’il cherche à appréhender. Quant au troisième volet, il a pour objectif de circonscrire ce qui concerne les traces de la subjectivité dans le langage, les effets interprétatifs associés aux propriétés énonciatives qui s’y rapportent, au cœur même du sens linguistique et de la grammaire des langues naturelles.
1. Avant-propos
De portée générale, cette étude s’intéresse aux fondements neurocognitifs de la subjectivité de l’esprit, dont relève la valeur des informations représentées et communiquées. Nous aborderons sous cet angle, parmi d’autres questions majeures des sciences du langage, ce qui concerne la ligne de partage épistémologique entre sémantique et pragmatique. Il sera question de ce qui oppose le sens parfois qualifié de symbolique (conceptuel et propositionnel) des mots et des phrases à une dimension du sens des énoncés que nous définirons comme indiciaire (énonciative et subjective). Il s’agit surtout ici de remettre en question l’idée très répandue selon laquelle le langage se rapporterait exclusivement à la pensée symbolique et à la raison logique, corrélative du même réductionnisme appliqué à la cognition. C’est la question de la subjectivité, à l’interface du langage et de l’esprit, qui se trouve ainsi placée au centre de nos préoccupations.
1.1. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il importe de souligner à la fois l’évidence et la fragilité de l’articulation entre sciences du langage, sciences cognitives et neurosciences. Alors que, depuis un demi-siècle au moins, de nombreux chercheurs conçoivent le langage comme une propriété de l’esprit, lui-même en bonne voie d’être appréhendé comme simple produit des mécanismes neurophysiologiques du cerveau, l’hypothèse qu’il existe une correspondance terme à terme entre ce qui a trait au cerveau, à l’esprit et au langage demeure à ce jour peu consensuelle et loin d’être stabilisée. C’est néanmoins sur ce terrain que certains nourrissent l’espoir de dégager de fortes analogies, si ce n’est une pure et simple identité formelle et fonctionnelle, non seulement entre structures neurales et structures mentales, mais encore entre certaines structures neurales ou mentales et certaines structures linguistiques générales. Alors que le rejet de ce qu’il est convenu d’appeler le dualisme cartésien sonne le glas aujourd’hui non seulement de l’immatérialité de l’esprit, mais aussi de l’opposition nature-culture (Descola 2005), et de l’exception humaine (Schaeffer 2007), le langage et l’esprit humain conservent une part d’irréductibilité qui n’en est que plus difficile à circonscrire. Et si la conscience et le langage humain sont bien au sommet de l’esprit, que faire alors de la subjectivité ? Comment la situer par rapport à la conscience, et qu’en est-il de son inscription dans le langage et dans l’esprit ?
1.2. Au plan de l’évolution, le langage et la conscience, la subjectivité qui s’y rapporte, ne sont que des composantes élaborées de l’esprit, qui s’est développé progressivement pour permettre aux animaux d’interagir avec le monde selon leurs besoins, à la poursuite de leur autonomie sensorielle et motrice d’abord, mais aussi sociale, culturelle, et finalement intellectuelle. Quelles que soient leurs glorieuses conquêtes (toujours transitoires et perfectibles), le cerveau et l’esprit humain sont issus d’un bricolage évolutif ayant consisté à perfectionner par étapes le système nerveux animal. Ces aménagements ont engendré peu à peu diverses formes d’esprit capables de former des images et de manipuler des représentations, dont ont fini par émerger la conscience et le langage humain sous sa forme élaborée. On conçoit généralement le langage symbolique articulé comme une propriété « d’ordre supérieur » de la conscience humaine, elle-même issue d’une forme de « conscience primaire » propre aux animaux évolués (Edelman 2004), ceci dans le cadre d’un dispositif qui n’est qu’un contrecoup à retardement du travail de l’esprit d’abord inconscient. Ce retard, cette dépendance de la conscience se manifeste non seulement au plan de l’évolution et de l’acquisition, mais aussi au plan de la cogitation et notamment de l’interprétation des énoncés. Les pensées ne viennent à l’esprit conscient qu’un bon quart de seconde après le déclenchement neuronal de leur élaboration (à partir d’un stimulus sensoriel ou par simple association conceptuelle), pour être finalement appréhendées sous la forme de représentations d’états de choses, préconstruites et évaluées par l’esprit, mais à l’insu de la conscience (Dehaene 2014 : 177s). Parmi les acquis récents des neurosciences, il est établi désormais que l’esprit conscient n’est pas tout, qu’une bonne part de ce qui est élaboré mentalement n’est pas conscient, et que ce qui le devient finalement n’émerge à la conscience que très partiellement et tardivement, afin d’assurer ce qui relève de « l’espace de travail » dévolu au raisonnement (Dehaene 2014 : 227s). Or ce qui concerne la subjectivité est une condition, mais qui échappe en grande partie à la conscience et à la raison objective qu’elle conditionne.
1.2.1. En tant que propriété centrale d’ordre supérieur de la conscience, le langage humain est issu du cri et du comportement animal, et de ce fait adossé à un vaste ensemble d’opérations mentales impliquant diverses formes d’intuitions subjectives et d’émotions associées aux propriétés de la conscience primaire et aux cogitations inconscientes qui s’y rapportent. Les questions que certains se posent à ce sujet concernent ce qui distingue le langage humain, ce qui l’oppose au langage du cri animal dont il procède. En quoi le langage articulé engage-t-il l’aptitude symbolique de la conscience supérieure humaine ? Comment le langage émotif et indiciaire du cri animal qui a accompagné, durant les millions d’années d’évolution des australopithèques, paranthropes et autres pré-humains, la conquête de la vie sociale et culturelle à travers l’épouillage, la fabrication d’outils, a‑t-il pu basculer dans le symbolique et le langage articulé propre au genre homo (si ce n’est au sapiens) ?
1.2.2. Mon approche repose sur un questionnement inverse et complémentaire. Le langage symbolique articulé est caractérisé certes par quelque chose d’unique et d’irréductible, propre à la conscience supérieure humaine. Pour autant, n’a‑t-il pas conservé quelque chose de la force indiciaire de la conscience primaire et du cri animal dont il est issu ? Qu’est-il advenu de ces qualités émotives originelles ? Comment s’articulent-elles à ce qui est symbolique à l’intérieur du sens ? On a coutume de négliger cette part subjective, que le langage et l’esprit humains ont hérité du cri animal, de la minimiser ou simplement de l’ignorer. Je défends au contraire l’idée que cette part enfouie de la subjectivité, associée à la conscience primaire et aux propriétés énonciatives des énoncés et des discours, se retrouve aujourd’hui au cœur même du sens linguistique et jusque dans la grammaire des langues naturelles.
1.3. Cette étude comprend trois volets. Le premier revient sur les racines profondes de la subjectivité. Il s’agit de souligner que l’évolution n’a fait à ce sujet que relayer, dans l’esprit humain conscient comme dans le langage, certaines fonctions primitives très anciennes de la subjectivité, enracinées dans le substrat neuronal d’avant la conscience. Le second volet définit sommairement la place de la subjectivité dans l’esprit conscient. La difficulté est alors de saisir en quoi celle-ci conditionne la conscience humaine d’ordre supérieur, tout en restant en quelque sorte à l’arrière-plan de ce qu’elle cherche à appréhender. Quant au troisième volet, il a pour objectif de circonscrire grossièrement ce qui concerne les traces de la subjectivité dans le langage, les effets interprétatifs associés aux propriétés énonciatives qui s’y rapportent.
2. La subjectivité des esprits d’avant la conscience
La neurologie nous apprend que certaines propriétés de l’esprit humain remontent à l’organisation des cerveaux les plus élémentaires, bien avant l’émergence de la conscience. C’est le cas notamment de l’articulation de ce que l’esprit associe au « soi » et de ce qu’il associe au « non-soi », c’est-à-dire au monde, à l’environnement. « Deux principales sortes de signaux sont décisives, relève sur ce point Edelman (2004 : 74), ceux du « soi », qui constituent les systèmes de valeur et les éléments régulateurs du cerveau et du corps et de leurs composants sensoriels, et ceux du « non-soi », signaux issus du monde qui sont transformés par le biais des encartages globaux ». Par-delà les fonctions de base du cerveau (comme la régulation des battements cardiaques, de la respiration, de la température corporelle), la fonction même de toute forme d’esprit est d’ajuster par le soi les réactions de l’organisme aux contraintes de l’environnement. Pour ce faire, l’esprit doit être en mesure de catégoriser ce qui se rattache au non-soi, aux phénomènes physiques de l’environnement que parviennent à saisir les capteurs sensoriels de l’organisme. Et l’esprit doit d’autre part attribuer une valeur à cette information, en mesurer la valence hédonique en fonction des besoins de l’organisme, ceci par le moyen des « sens du dedans » que décrit André Holley (2015 : 11), dévolus à la captation des réactions viscérales et motrices de l’organisme aux stimuli, à la saisie intéroceptive des effets attachés aux humeurs et autres conséquences endocrines de la perception. La vocation primordiale de l’esprit est ainsi de catégoriser en vue d’identifier, mais surtout en vue d’attribuer une valeur (de dangerosité, de répulsion, de convoitise…) aux stimuli qui lui parviennent, ceci en fonction de sa simple hérédité d’abord, ensuite en fonction de l’expérience et des conditionnements d’une mémoire inconsciente au départ, la « mémoire de valeur-catégorie » de Gerald Edelman (2004 : 74). Cette forme d’esprit élémentaire permet depuis longtemps à nombre de poissons, de reptiles et d’oiseaux de diligenter très efficacement leur comportement. Quels que soient les avantages dont l’évolution l’a ensuite pourvu, l’esprit humain a hérité de certaines propriétés de cette articulation du soi au non-soi, du dedans au dehors, dont relèvent à l’arrivée les oppositions cognitives et linguistiques qui vont nous intéresser, fondées sur l’attribution de valeurs (subjectives) aux catégories (objectives) associées aux représentations conscientes. [1]Sans prétendre apporter une réponse à la difficile question de ce qui circonscrit le domaine de l’esprit à l’intérieur du cerveau, nous le limiterons ici arbitrairement, pour les besoins de la démonstration, à ce qui relève des transformations attachées à l’ « encartage » des informations relatives aux valeurs-catégories telles que les conçoit Edelman. Les tâches de l’esprit seront donc appréhendées par opposition à la captation initiale des stimuli de l’environnement par les organes sensoriels, tout comme à ce qui détermine les réactions réflexes et … Continue reading
2.1. Sans entrer dans le détail de l’évolution neuro-anatomique et physiologique des systèmes nerveux et des cerveaux, deux propriétés au moins semblent constitutives du substrat neuronal de l’organisation sur laquelle se fonde cette articulation des valeurs- catégories dans l’esprit humain.
2.1.1. La première implique un certain degré d’autonomie des systèmes ou réseaux de neurones attachés respectivement au soi et au non-soi, tant en ce qui concerne la source des informations véhiculées, qu’en ce qui concerne l’itinéraire et la destination des signaux qui s’y rapportent. Ainsi les informations des circuits d’évaluation du soi remontent au cerveau et à l’esprit de l’intérieur du corps, pour rester généralement cantonnées au système limbique et autres régions sous-corticales chez les mammifères, si ce n’est pour une part au système neurovégétatif et au tronc cérébral. Les circuits perceptifs de l’état de l’environnement, par contre, font remonter l’information des organes sensoriels périphériques vers le cortex primaire et secondaire des fonctionnalités qui les concernent, y compris chez nombre d’espèces dépourvues de conscience très élaborée. Il est intéressant de relever à ce propos que selon Holley (2015 : 65), parmi les cerveaux des mammifères, celui des primates serait le seul à avoir évolué de façon à faire remonter le soi au cortex, dans la région insulaire et orbito- frontale. C’est ainsi que chez les primates, les sens du dedans se seraient peu à peu organisés pour se hisser au niveau des sens du dehors, justifiant de les assimiler à un « sixième sens » à part entière (le titre de l’ouvrage de Holley), assorti d’une région corticale dédiée, particulièrement développée chez les hominidés et surtout chez l’homme (l’insula). Une telle observation n’est pas sans rapport avec ce qui caractérise la subjectivité au sens fort et humain du terme, réservée aux « sentiments d’émotion » selon Damasio (2010 : 145), plutôt qu’aux émotions tout court ou autres « marqueurs somatiques » à simples effets évaluatifs.
2.1.2. Quant à la seconde propriété constitutive du substrat neuronal de cette articulation de l’esprit humain, elle implique une forme de dépendance hiérarchique des informations du soi par rapport au non-soi, dont relève le statut particulier de ce qui concerne la valeur, parmi les attributs associés par l’esprit aux stimuli de l’environnement. Contrairement au non-soi qui concerne la qualité et l’intensité des stimuli, le cas échéant l’identité et la force, la taille, la distance, l’influence contextuelle des objets que l’esprit se représente, le soi détermine leur valeur par le biais des « marqueurs somatiques » définis par Damasio (2010 : 215), le cas échéant par le biais des effets émotifs et subjectifs associés aux représentations référentielles du non-soi dans l’esprit conscient. Ce qui renvoie au soi est ainsi par définition indirect et relatif, puisqu’il tient à la captation des effets du non-soi sur l’organisme, à l’appréhension des changements ponctuels que ces effets font subir à l’organisme. Il en découle que c’est le soi, le dedans, qui dépend pour l’esprit du non-soi, du dehors, et non l’inverse. On comprend dans ces conditions que Damasio définisse le soi comme « une relation entre l’organisme et l’objet » (2010 : 32), comme un « changement essentiel » sur l’organisme « causé par tout objet perçu » (2010 : 247). Transposé à ce qui se produit dans l’esprit conscient, appréhender le soi ne consiste donc pas à penser à soi (comme à un objet), mais à capter ce que l’on ressent subjectivement lorsqu’on pense à un objet (y compris à soi bien évidemment). Le soi, le dedans, ne relève pas dans ces conditions de la simple représentation d’un objet que l’esprit perçoit (et qu’éventuellement il conçoit), mais de l’appréhension subjective d’une appréciation relative à une telle représentation.
Peu importe que cette appréciation précède alors de plusieurs centaines de millisecondes, non seulement l’appréhension dont elle fait l’objet, mais la prise de conscience de la représentation même qu’elle prend pour objet. Le retard de la conscience implique de toute façon une préséance des opérations de l’esprit inconscient sur l’organisation des représentations référentielles et des inférences de la raison qui prennent ensuite le relai, préséance qui retire à ces dernières toute influence déterminante en ce qui concerne la valeur. La dépendance hiérarchique du soi dont il est question ne repose ainsi sur aucun ordre logique ou chronologique imposant une quelconque autonomie ou antériorité des informations associées ensuite consciemment à l’environnement ; elle signifie simplement que le soi présuppose une forme de non-soi plus ou moins élaborée (et non l’inverse), quitte à ce que cette dernière achève de se construire parfois après-coup, sous l’influence de la valeur subjective que le soi détermine à l’insu de la conscience. Cela est particulièrement évident dans les cas de « contagion motrice ou émotionnelle », par exemple, ou encore dans ce qui a trait aux diverses formes d’ « intelligence collective » ou autre partage de l’esprit entre congénères. Fondatrice de ce qui détermine l’empathie par les « neurones miroirs » dans ses versions élaborées, l’appréhension du soi par contagion émotionnelle n’implique aucune prise en compte anticipée du non-soi qui s’y rapporte. La peur, la joie, la tristesse, par exemple, sont contagieuses, même indépendamment de toute saisie par l’esprit des événements qu’elles concernent. Quant à l’intelligence collective – par exemple des insectes sociaux, bancs de poissons, oiseaux migrateurs ou troupeaux de moutons – elle ne repose pas non plus sur une saisie individuelle de l’ensemble des propriétés de l’environnement dont la valeur fait l’objet d’un partage.
2.2. Nous reviendrons plus loin sur le rôle de la conscience relativement à cette division neuronale de l’organisation de l’esprit entre soi et non-soi, dont relève rien de moins que l’opposition entre subjectivité et objectivité, entre ce qui se rapporte aux sentiments d’émotion et respectivement aux opérations de la raison, dans l’esprit humain conscient comme dans le langage. Mais avant d’aborder de front la difficile question de la relation entre langage, conscience et subjectivité, il est intéressant de souligner, toujours à la suite de Holley (2015 : 21, 54), que cette distinction entre soi et non-soi n’est véritablement aisée pour l’esprit humain qu’en ce qui concerne la vue, l’ouïe, et peut-être le toucher ; cette opposition devient en revanche beaucoup plus délicate en ce qui concerne par exemple le goût, l’odorat, le sens de la température, la sensibilité à la douleur et au plaisir, dont le substrat neuronal ne remplit pas les conditions d’autonomie et de dépendance hiérarchique du soi et du non-soi dont il vient d’être question. Le goût, par exemple est un sens du dehors en vertu des capteurs périphériques de la langue et du palais, sensibles aux substances chimiques de l’environnement, mais on découvre depuis peu qu’il est aussi un sens du dedans relié inconsciemment aux neurones de l’estomac et de l’intestin, et dont l’aire de projection corticale relève en outre de l’insula antérieure. Et sans parler de l’odorat, dont les effets sont reliés au goût dans les arômes, et dont les connexions intéroceptives remontent elles aussi à l’insula par des ramifications échappant à la conscience. Quant aux sensations de la température, de la douleur physique, de la souffrance psychologique et du plaisir, inutile de relever qu’elles s’appuient aussi sur des systèmes dont les propriétés neurales interdisent à l’esprit de départager aisément ce qui les rattache au soi et au non-soi. Quelle que soit l’assurance que lui procure la conscience primaire de ses désirs et de ses besoins, aussi bien que la conscience d’ordre supérieur de ce qu’il conçoit, l’esprit humain n’est pas apte à faire facilement la part de ce qui détermine subjectivement son appréhension des températures, ou encore des goûts, des arômes, de l’odeur des choses qu’il appréhende. Pas davantage qu’il n’est prédisposé à objectiver la douleur et la souffrance, le bien-être ou le plaisir qu’il est capable de ressentir.
2.2.1. Il est évident que ces dernières observations ne sont pas sans liens avec ce qui détermine accessoirement l’organisation lexicale des champs conceptuels associés aux notions linguistiques qui s’y rapportent. C’est ainsi que les couleurs correspondent à des dénominations à la fois précises et variées dans les langues naturelles, alors que les goûts, les arômes, les odeurs ne sont généralement saisissables que par métaphore, souvent assorties de synesthésies dans le langage poétique. [2]Qui n’est pas réservé à Baudelaire ni à la poésie ; le langage fleuri consacré à la description des parfums ou des vins, par exemple, en témoigne. De même en ce qui concerne l’articulation des sens concrets et abstraits dont sont pourvues diverses notions comme celles de goût, de dégoût, de douleur ou de souffrance, de plaisir, qui ne sont que la contrepartie de certaines articulations de l’esprit. Quel que soit l’intérêt de ces observations, nous n’allons pas nous y attarder dans cette étude, qui n’implique pas tant la nature et la limite psychosensorielle de ce qui peut être catégorisé mentalement et dénommé, que l’articulation cognitive systématique de valeurs subjectives aux catégories objectives correspondantes ; articulation que l’on retrouve également dans le langage, comme nous allons le voir.
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Notes
⇧1 | Sans prétendre apporter une réponse à la difficile question de ce qui circonscrit le domaine de l’esprit à l’intérieur du cerveau, nous le limiterons ici arbitrairement, pour les besoins de la démonstration, à ce qui relève des transformations attachées à l’ « encartage » des informations relatives aux valeurs-catégories telles que les conçoit Edelman. Les tâches de l’esprit seront donc appréhendées par opposition à la captation initiale des stimuli de l’environnement par les organes sensoriels, tout comme à ce qui détermine les réactions réflexes et viscérales de l’organisme au stimuli, à la détermination par le cerveau de ce que l’esprit s’approprie ensuite par proprioception et intéroception. Qu’il me soit permis à ce sujet de remercier Pierre Halté, dont les remarques m’ont conduit notamment à apporter cette dernière précision, parmi bien d’autres observations développées dans cette étude. |
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⇧2 | Qui n’est pas réservé à Baudelaire ni à la poésie ; le langage fleuri consacré à la description des parfums ou des vins, par exemple, en témoigne. |