Laurent Per­rin,
Uni­ver­si­té de Paris Est Cré­teil, CEDITEC, EA 3119
lperrinaiassa@gmail.com laurentperrin.com

Dans Gérard Petit, Patrick Haillet et Xavier-Laurent Sal­va­dor (dir.)

La déno­mi­na­tion : lexique et dis­cours, Paris, Cham­pion, 2017, p. 185–202

 


 

Intro­duc­tion

Au sens le plus large, le fige­ment lin­guis­tique peut être défini comme ce qui entrave la mobi­lité de toute com­bi­na­toire morpho-syntaxicosémantique ou inférence prag­ma­tique. Le fige­ment concerne l’ensemble des idio­tismes, des métaphores lexicalisées aux locu­tions, phrases idio­ma­tiques et pro­verbes. Contrai­re­ment aux expres­sions libres, les expres­sions figées ont un sens lexi­cal uni­taire glo­ba­le­ment codé, certes par­tiel­le­ment ana­ly­sable, mais qui ne repose pas intégralement sur la com­po­si­tion de ses par­ties. Le sens des expres­sions figées ne se com­pose pas, mais se décompose ou se recom­pose en contexte, selon les contraintes de son sens lexi­cal uni­taire ; il ne se construit pas, mais se déconstruit dans l’interprétation, en vue de redis­tri­buer le fruit des énonciations passées de l’expression qui s’est pro­gres­si­ve­ment lexi­ca­lisé. A l’interface de la lin­guis­tique et de la prag­ma­tique, de la langue et de la parole, sous un angle à la fois dia­chro­nique et syn­chro­nique, le sens des expres­sions figées ren­verse l’ordre habi­tuel­le­ment impar­ti à la for­ma­tion et à l’interprétation de l’expression[1]Cette étude recoupe cer­tains éléments abordés notam­ment dans Per­rin (2013), dans le cadre d’un numéro de la revue Pra­tiques consacré aux formes de fige­ment lin­guis­tique, ain­si que de défigement interprétatif et dis­cur­sif. L’objectif est ici à la fois de préciser cer­tains points, ain­si que de généraliser à l’ensemble des formes de fige­ments, diverses hypothèses ini­tia­le­ment centrées sur le sens des locu­tions dans une œuvre de Gio­no..

  1. lexique et discours 

Lorsque l’on cherche à rendre compte des rela­tions entre lexique et dis­cours, la première dif­fi­culté consiste à faire la part de ce qui est préconstruit et fixé dans le lexique, par oppo­si­tion d’un côté à ce qui est construit au moyen de syn­tagmes et de phrases, de l’autre à ce qui est interprété en fonc­tion d’un contexte et de périodes dis­cur­sives plus vastes. Par­mi les ques­tions à débattre, se pose notam­ment celle de l’ordre d’articulation entre ces niveaux de découpage du sens. Le point de vue domi­nant en lin­guis­tique nous incite à conce­voir le lan­gage comme un dis­po­si­tif consis­tant, à par­tir de ce qui est recon­nu et mémorisé dans le lexique, à tran­si­ter du lexème au syn­tagme et à la phrase, et ensuite de l’énoncé au dis­cours, texte et contexte. Selon ce modèle très général et consen­suel, le sens se construit par étapes suc­ces­sives, de l’appréhension empi­rique des unités lexi­cales de sur­face à leur orga­ni­sa­tion mor­pho­syn­taxique, puis vers les hau­teurs plus abs­traites de la com­po­si­tion sémantique et fina­le­ment de l’interprétation prag­ma­tique [2]Diverses approches viennent bien sûr tra­ver­ser et lézarder cet édifice, soit en réduisant radi­ca­le­ment la part de ce qui est codé, mémorisé lexi­ca­le­ment, notam­ment les effets polysémiques attachés aux expres­sions (les approches dites « construc­ti­vistes » de Cadiot et Viset­ti 2001), soit en s’appuyant sur une appréhension tex­tuelle des traits sémantiques à différents niveaux (la « sémantique interprétative » de Ras­tier 2009), soit même en inver­sant l’ordre de préséance com­po­si­tion­nel des par­ties sur le tout (les approches fondés sur l’« … Conti­nue rea­ding.

Au plan stric­te­ment lin­guis­tique de ce qui a trait au sens des mots et aux phrases hors contexte, ce modèle repose sur un prin­cipe selon lequel le sens d’une expres­sion com­plexe résulte de l’assemblage de ses par­ties. Le prin­cipe dit de « com­po­si­tion­na­lité »[3]Attri­bué à Frege, et fon­da­teur ensuite de différentes théories lin­guis­tiques, notam­ment de la gram­maire générative trans­for­ma­tion­nelle. est un modèle interprétatif par emboîtements suc­ces­sifs de com­bi­na­toires auto­nomes, sti­pu­lant que l’interprétation des par­ties doit être complète pour qu’elles puissent se com­bi­ner entre elles à un niveau supérieur. Une interprétation com­po­si­tion­nelle part des éléments linéaires de sur­face, stockés dans la mémoire lin­guis­tique à long terme des sujets par­lants, c’est‑à-dire des lexèmes, que l’on délinéarise aux différents plans morphosyntaxico-sémantiques en les asso­ciant par étapes à des construc­tions plus com­plexes et plus abs­traites. Tam­ba (2011) parle à ce sujet de « montée » com­po­si­tion­nelle du sens des éléments vers la synthèse phras­tique. La procédure s’applique récursivement jusqu’à la saturation

des variables lin­guis­tiques, qui détermine le pas­sage au plan prag­ma­tique. Outre les difficultés associées à l’indétermination de ce qui est mémorisé à long terme dans le lexique à l’entrée du dis­po­si­tif (input), d’autres problèmes sur­gissent lorsqu’il s’agit de définir ce qui met fin au pro­ces­sus et en fixe la sor­tie (out­put), qui concerne ensuite l’interprétation prag­ma­tique des énoncés en contexte et la mémoire dis­cur­sive à court terme des sujets par­lants. Entre les deux, le prin­cipe de com­po­si­tion­na­lité est censé s’appliquer sans entraves.

Un pre­mier niveau de difficultés que ren­contre ce modèle tient au fait que la mémoire à long terme, dont relève le lexique, n’est pas cog­ni­ti­ve­ment un système limité à un ensemble prédéfini d’éléments simples, confinés à l’entrée du dis­po­si­tif interprétatif ; la mémoire est un espace dyna­mique dont l’activation – lar­ge­ment tri­bu­taire des opérations sémantico-pragmatiques qu’elle nour­rit – inter­vient à chaque étape de l’interprétation, et à différents niveaux de struc­tu­ra­tion. Ain­si, non seule­ment les mots, mais également les locu­tions, métaphores lexicalisées et autres idio­tismes, mobi­lisent la mémoire à long terme des sujets par­lants. Les lexi­co­graphes ne se sont jamais privés d’ailleurs d’en dres­ser des inven­taires sous la forme de dic­tion­naires divers. Et par ailleurs, un second niveau de difficultés tient au fait que les locu­tions et métaphores lexicalisées mettent en ques­tion le sta­tut dérivé du sens prag­ma­tique et rhétorique de l’expression. Loin d’être relégué à la sor­tie (out­put) du dis­po­si­tif interprétatif, le sens prag­ma­tique des locu­tions est pour par­tie codé dans le lexique, et ain­si ramené à la source (input) de ce dis­po­si­tif. À un niveau très général et définitoire du champ même de la lin­guis­tique, les locu­tions et autres expres­sions figées mettent en ques­tion ce qui oppose les traits sémantiques des expres­sions aux effets contex­tuels des énoncés. Elles imposent un par­tage et un ordre d’articulation différent de ce qui tient d’une part aux ins­truc­tions sémantiques lin­guis­tiques, d’autre part à l’interprétation et aux inférences contex­tuelles des énoncés et des discours.

  1. locu­tions et exPres­sions figées Polylexicales 

On sait que les locu­tions sont des unités poly­lexi­cales dont les propriétés syn­taxiques se trouvent plus ou moins entravées (Gross 1975, Ruwet 1983, Mej­ri 2002), mais plus profondément dont l’interprétation n’est pas com­po­si­tion­nelle (Katz & Pos­tal 1963, Gross 1981, 1997, 2003, Tam­ba 2011). Contrai­re­ment aux expres­sions libres comme cas­ser une assiette, rou­ler sa ciga­rette ou C’est un jeu de gamin, les locu­tions comme cas­ser la croûte, rou­ler sa bosse ou C’est un jeu d’enfant ont un sens codé uni­taire, certes par­tiel­le­ment ana­ly­sable, mais qui ne repose pas sur la com­po­si­tion de ses par­ties. Ce sont au contraire les par­ties qui semblent alors dépendantes de leur assem­blage. On com­prend le sens du sub­stan­tif croûte en fonc­tion de l’action de man­ger (un mor­ceau de pain), ou celui du verbe rou­ler en fonc­tion de l’idée de voyage (d’un bos­su), celui de jeu en fonc­tion de l’idée de faci­lité (pour un enfant).

À la suite de Nun­berg et alii (1994), Tam­ba (2011 : 113) relève à ce sujet que le sens des locu­tions ne repose pas sur l’assemblage com­po­si­tion­nel des par­ties d’un tout, mais sur un mou­ve­ment inverse de redis­tri­bu­tion d’un tout uni­taire que l’interprète tente par­fois de décomposer, avec plus ou moins de bon­heur ; le sens des locu­tions redis­tri­bue un tout préétabli sur les par­ties les moins opaques de l’expression. Pour Nun­berg et alii, la part com­po­si­tion­nelle du sens des locu­tions tient à leur degré d’analysibilité[4]«Their com­po­si­tio­na­li­ty – that is, the degree to which phra­sal mea­ning, once known, can be ana­ly­zed in terms of contri­bu­tions of the idiom parts » (Nun­berg et alii 1994, p. 498).. Tam­ba réserve quant à elle la notion de « com­po­si­tion­na­lité » aux sens des expres­sions libres, et parle d’« ana­ly­si­bi­lité » gra­duelle du sens des locu­tions et pro­verbes. Plus une expres­sion est ana­ly­sable, plus elle per­met une redis­tri­bu­tion de son sens uni­taire sur ses par­ties, et plus elle est perçue comme trans­pa­rente. Et inver­se­ment donc, moins une expres­sion est ana­ly­sable, plus elle est opaque. Les locu­tions par­fai­te­ment trans­pa­rentes comme noyer son cha­grin dans la bou­teille, blanc comme neige sont des cas limites ; la plu­part des locu­tions comme rou­ler sa bosse, reprendre du poil de la bête, bayer aux cor­neilles recèlent un cer­tain degré d’opacité. L’opacité complète d’une expres­sion peut être due au fait que son sens codé uni­taire est sans rap­port sai­sis­sable avec son sens com­po­si­tion­nel, et donc inapte à toute redis­tri­bu­tion sur ses par­ties (comme dans poser un lapin, prendre la mouche), ou parce que l’expression est désormais indécomposable en rai­son de l’évolution dia­chro­nique du système (dans le cas d’expressions comme avoir maille à par­tir, à tire-lari­got).

Bien enten­du, cette décomposition ou recom­po­si­tion ana­ly­tique en quoi consiste le sens des locu­tions, non seule­ment n’est que facul­ta­tive et par­tielle, tou­jours plus ou moins inachevée, mais ne peut être le fruit d’une simple inver­sion de l’application du prin­cipe de com­po­si­tion­na­lité. C’est un tout uni­taire, et non le résultat d’une quel­conque com­po­si­tion, qui est alors à la source de l’interprétation. Rien n’indique que la part d’analysibilité des locu­tions redis­tri­bue systématiquement les éléments hérités de la com­po­si­tion des expres­sions libres dont elles sont issues. Le sens uni­taire des locu­tions ne se confond pas avec le point de satu­ra­tion des variables lin­guis­tiques que vise le prin­cipe de com­po­si­tion­na­lité, pas davan­tage qu’avec le sens référentiel et contex­tuel qui en découle. Ce n’est pas un sens com­po­si­tion­nel issu d’une com­bi­na­toire lin­guis­tique à visée référentielle qui se trouve alors redis­tri­bué sur les par­ties de l’expression, mais une dénomination générique uni­taire et codée. Le sens générique ou dénominatif de cas­ser la croûte pour « man­ger », rou­ler sa bosse pour « voya­ger », c’est un jeu d’enfant pour « c’est facile », en témoigne notam­ment, par oppo­si­tion au sens com­po­si­tion­nel à visée référentielle (ou événementielle) de cas­ser une assiette, rou­ler sa ciga­rette ou jeu de gamin.

Par-delà leur rigi­dité for­melle au plan syn­taxique, les locu­tions ont un sens générique uni­taire plus ou moins opaque, qui trans­cende et contrôle à différents degrés leur ana­ly­si­bi­lité, et ce fai­sant la rela­tive trans­pa­rence associée à la visée référentielle et inférentielle qui s’y rap­porte. Comme expres­sion libre et com­po­si­tion­nelle, cas­ser une assiette réfère à une action dont on peut inférer contex­tuel­le­ment qu’elle témoigne le cas échéant d’une mal­adresse, ou au contraire de l’adresse d’un tireur (aux pigeons), ou encore d’un geste de colère irrépressible, etc. Si en revanche une expres­sion figée comme cas­ser la croûte signi­fie « man­ger », c’est avant tout pour avoir été d’abord mémorisée comme une unité préalablement codée en ce sens (une dénomination selon Klei­ber 1984, 2001). Quelle que soit leur com­plexité for­melle, les locu­tions sont des dénominations, c’est‑à-dire des unités génériques mémorisées à long terme dans le lexique. On peut certes ensuite ana­ly­ser cas­ser la croûte comme le pro­duit d’une figure événementielle concer­nant une croûte de pain que l’on brise sous la dent (dont atteste notam­ment la varia­tion avec cas­ser la graine). Outre qu’il n’est pas forcément exact his­to­ri­que­ment (à l’origine, cas­ser la croûte impli­quait plutôt une idée de par­tage du pain rom­pu entre amis), ce sens ana­ly­tique métonymique nécessite en tout cas d’avoir mémorisé par avance le sens codé de l’expression sur laquelle repose l’inférence. Alors qu’une expres­sion libre comme jeu de gamin réfère à un événement com­pa­tible avec toutes sortes d’inférences contex­tuelles associées à l’amusement, à l’insouciance ou au ridi­cule, c’est un jeu d’enfant en revanche signi­fie « c’est facile », plutôt qu’«amusant » ou « bébête », quitte à remo­ti­ver ensuite acces­soi­re­ment cette conven­tion par une inférence asso­ciant les jeux d’enfants à la faci­lité. Le sens codé de l’expression figée contrôle alors et contraint les inférences contex­tuelles sus­cep­tibles d’être associées à son sens référentiel et com­po­si­tion­nel résiduel (Coul­mas 1981, Moes­chler 1992, Rey 1997). Nous obser­ve­rons dans cette étude que cette redis­tri­bu­tion ana­ly­tique du sens uni­taire des expres­sions figées repose sur une forme d’allusion échoïque à un sens com­po­si­tion­nel pure­ment vir­tuel, qui ne peut de toute façon abou­tir qu’à tra­vers un défigement interprétatif de l’expression.

  1. métaPhores figées

Par­mi d’autres propriétés, les locu­tions et expres­sions figées poly­lexi­cales sont sou­vent assimilées à des métaphores mortes ou autres figures lexicalisées. Les locu­tions sont d’ailleurs bien sou­vent définies comme des sortes de métaphores ou figures figées. Et par ailleurs on parle par­fois de métaphores figées pour rendre compte du sens métaphorique d’unités lexi­cales simples, plutôt que de rang syn­tag­ma­tique ; si l’on dit, par exemple, que Pierre est un âne, un coq, un paon, un ours, un singe, un bull­do­zer (ou à l’aide d’un verbe sup­port comme faire l’âne, le coq, le paon…), par oppo­si­tion au sens référentiel de ces expres­sions lorsqu’elles désignent un ani­mal ou une machine de chan­tier (ou à nombre d’expressions comme un san­glier, un chim­panzé, un vélo, une voi­ture, qui ne sont pas assor­ties des mêmes propriétés). Dans un énoncé comme « Marie est une bécasse » (« fait la bécasse » ou « est un peu bécasse »), le sens métaphorique est figé, ins­crit dans les virtualités sémantiques du mot bécasse, qui ne fait même plus du tout référence à l’oiseau. Le fige­ment n’entrave alors bien évidemment pas les propriétés syn­taxiques d’une unité poly­lexi­cale, mais une simple com­bi­na­toire de traits sémantiques abs­traits, qui fixe notam­ment les propriétés prédicatives (vs référentielles) de l’expression.

Les métaphores vives en revanche ne sont en rien figées. Dans l’exemple ci-des­sous, le mot mar­cas­sin, même appliqué à un humain, réfère à l’animal, car la métaphore n’est en rien figée. Elle se déploie alors à un niveau exclu­si­ve­ment référentiel et inférentiel, et doit ain­si être motivée expli­ci­te­ment pour pou­voir être interprétée dans tel ou tel sens, selon le jeu des homo­lo­gies sym­bo­liques à l’oeuvre dans l’allégorie de Moa­ti en marcassin :

Moa­ti est un mar­cas­sin. Rond, agité, facétieux, il ne pose pas ses ques­tions, il les renifle, à petit coup, comme ce syl­vestre ani­mal lorsque, tout excité, il cherche sa pitance. [Libération, 11 jan­vier 2000]

De même en ce qui concerne le sub­stan­tif lapin dans ce pas­sage de Céline, qui donne lieu à une métaphore vive appli­quant au cœur comme organe des émotions l’image d’un lapin affolé[5]Sur les figures vives comme représentations attachées à une image littérale contre­fac­tuelle, assor­tie d’un sens figuré impli­cite et fac­tuel, je ren­voie à Per­rin (1996). :

Mon cœur au chaud, ce lapin, derrière sa petite grille de côtes, agité, blot­ti, stu­pide… [Céline, Voyage au bout de la nuit]

Le sens du mot lapin ne doit pas se confondre alors avec sa fonc­tion dans le cadre d’une séquence du genre « Ce chaud lapin de Paul… », où l’expression chaud lapin ne fait plus forcément référence ni inférence à l’animal (sauf à être défigée contex­tuel­le­ment, comme nous allons le voir dans la dernière par­tie de cette étude). Dans le cas des locu­tions comme dans celui des métaphores lexicalisées, l’expression n’est pas libre­ment interprétée selon sa visée référentielle et les inférences contex­tuelles et situa­tion­nelles qui s’y rap­portent[6]Sur les métaphores figées, ou lexicalisées, se référer à Pran­di (1992), Cadiot (1994), Tam­ba (2000, 2011)..

Certes, le fige­ment n’est pas de même nature et n’a pas forcément les mêmes effets selon qu’il prend pour objet un polysème asso­cié à une unité lexi­cale simple, une locu­tion de rang syn­tag­ma­tique, ou encore une phrase complète, idio­ma­tique ou pro­ver­biale (voir sur ce point Tam­ba 2011, Per­rin 2012). La ques­tion se pose néanmoins de la légitimité d’un tel rap­pro­che­ment de ces différents niveaux d’application de la notion. Y a‑t-il un quel­conque recou­pe­ment entre ces formes de fige­ment de portées différentes ? Les locu­tions notam­ment, qui sont de rang syn­tag­ma­tique, ont-elles quelque chose en com­mun avec les métaphores figées de rang lexi­cal simple, dont les frontières sont plus dif­fi­ciles à dis­cer­ner car elles sont dépourvues d’effets syn­taxiques internes ? Le fige­ment ne concerne pas alors les propriétés syn­taxiques d’une unité poly­lexi­cale, mais une simple com­bi­na­toire de traits sémantiques abs­traits et une oppo­si­tion d’emplois (prédicatif/référentiel) non marquée (repérable néanmoins à par­tir de tests lin­guis­tiques). Pour les locu­tions en revanche, le plan sémantique peut être laissé de côté si l’on se concentre sur leurs propriétés syn­taxiques. Elles peuvent alors être appréhendées (et ont été de fait appréhendées) sous un angle syn­taxique (Gross 1975, Ruwet 1983), sans forcément tenir compte de ce qui entrave sémantiquement la com­po­si­tio­na­lité du sens, la com­bi­na­toire sémantique qui s’y rap­porte. Leurs effets métaphoriques peuvent-ils être alors pour autant définitivement ignorés, ou relégués à un niveau pure­ment contex­tuel ? On retombe ici sur la ques­tion de savoir s’il existe un domaine de faits sémantiques auto­nomes à l’intérieur du champ lin­guis­tique, entre la mor­pho­lo­gie et la syn­taxe des mots et des phrases d’une part, et l’interprétation prag­ma­tique des énoncés en contexte d’autre part.

Une approche du fige­ment focalisée sur le plan syn­taxique per­met d’ignorer ce qui se joue au plan sémantique aus­si bien des locu­tions que des lexèmes métaphoriques. Tel qu’il est en revanche appréhendé dans cette étude, le fige­ment en soi concerne aus­si bien les locu­tions que l’encodage de cer­tains effets contex­tuels sus­cep­tibles d’être associés aux unités lexi­cales simples, notam­ment métaphoriques ou métonymiques (Mor­tu­reux 2003). Le fige­ment n’entrave alors bien évidemment pas l’application de règles syn­taxiques, mais exclu­si­ve­ment de propriétés mor­pho­lo­giques, par­fois seule­ment de cer­tains traits sémantiques des expres­sions. Ain­si le sens prédicatif du mot bécasse entrave les propriétés com­bi­na­toires de cer­tains de ses traits référentiels. « Ma sœur est une bécasse » ne signi­fie pas que ma sœur est un oiseau. L’ensemble des effets polysémiques associés à une expres­sion résulte d’une forme de fige­ment de ses effets contex­tuels en traits sémantiques. Si le mot boîte s’applique en français à un night-club ou à une entre­prise, plutôt qu’à une voi­ture, et inver­se­ment le mot caisse à une voi­ture et non à un night-club ou une entre­prise (tout comme bahut s’applique à un lycée, armoire à un indi­vi­du impo­sant, etc.), c’est en ver­tu d’une forme de fige­ment qui fixe dans chaque cas cer­taines potentialités sémantiques associées à des termes inter­chan­geables comme métaphores vives au plan contex­tuel. Vu sous cet angle, le fige­ment porte indifféremment sur l’application de n’importe quel ensemble de règles associées à une expression.

Bien sou­vent, le sens notam­ment métonymique ou métaphorique de cer­taines unités lexi­cales simples semble inséparable de l’analysibilité de locu­tions ou autres formes de fige­ment de rang syn­tag­ma­tique. Ain­si le sens métaphorique du sub­stan­tif bécasse (au sens métaphorique de « sotte », « nigaude ») est lié à l’analysibilité d’une locu­tion comme faire la bécasse, tout comme un sens du mot boîte est lié à l’analysibilité de l’expression boîte de nuit, ou du mot armoire à l’expression armoire à glace, ou encore comme cer­tains sens du mot rayon semblent indis­so­ciables de l’analysibilité de locu­tions comme c’est mon rayon, en connaître un rayon. De façon sans doute plus dif­fuse, les mots épine et rose ne sont pas sans rap­port avec l’analysibilité de diverses locu­tions, col­lo­ca­tions ou pro­verbes comme tirer une épine du pied, frais comme une rose, il n’y a pas de roses sans épines. Le même genre de cor­res­pon­dance peut évidemment être établi, à d’autres niveaux de découpage syn­tag­ma­tique, par exemple entre de nom­breuses locu­tions ver­bales comme vendre la peau de l’ours, mettre la char­rue avant les bœufs et l’analysibilité des pro­verbes cor­res­pon­dants (Per­rin 2012)

L’hermétisme et la rigi­dité de ce qui consti­tue, dans la tra­di­tion lin­guis­tique, la barrière du lexème – qui détermine le pré-carré de la mor­pho­lo­gie et lexi­co­lo­gie – consti­tue sans doute para­doxa­le­ment un obs­tacle à l’appréhension du sens lexi­cal. Cette barrière du lexème se trouve mise à mal au moins à deux niveaux. Au plan d’abord de ce qui oppose les mots composés aux locu­tions, qui n’est de loin pas cla­ri­fié. Les pre­miers seraient des lexèmes, contrai­re­ment aux secondes (qualifiées par­fois de « lexies » pour contour­ner la dif­fi­culté) ; mais com­ment expli­quer ce qui fait bas­cu­ler une locu­tion comme cas­ser la croûte ou jeu d’enfant en simple verbe ou attri­but comme tenir tête ou tire-au-flanc ? S’agit-il alors de mots composés, comme les sub­stan­tifs por­te­feuille ou tête‑à-queue ? Y a‑t-il une différence, et de quelle nature, entre fige­ment et lexi­ca­li­sa­tion ? (Lecolle 2006) Et par ailleurs, la barrière du lexème est aus­si mise à mal en rai­son du fait que le fige­ment ne s’arrête pas, comme on l’a vu, à la poly­lexi­ca­lité et à la syn­taxe, mais concerne aus­si bien la polysémie d’unités lexi­cales simples. Le fige­ment ne concerne plus alors la ques­tion de la frontière entre syn­taxe et sémantique lexi­cale, mais à nou­veau celle bien plus générale de la limite entre sens construit en contexte et sens ins­truit lin­guis­ti­que­ment, dont découlent les effets polysémiques associés aux expres­sions dans les dic­tion­naires. Tout comme les précédentes, cette ques­tion fait elle aus­si lar­ge­ment débat (Cadiot 1994, Klei­ber 1999, Pran­di 2010).

  1. fige­ment dia­chro­nique et sens syn­chro­nique délocutif des exPres­sions figées 

Par­mi les ques­tions à débattre, celle de la dimen­sion dia­chro­nique du fige­ment (Com­bettes 2013) – et sur­tout de ses effets sur le sens syn­chro­nique des expres­sions – est cen­trale. Per­sonne ne conteste la dimen­sion dia­chro­nique du fige­ment qui conduit cer­tains faits de parole, notam­ment cer­taines métaphores vives, par simple effet de répétition, à se figer pro­gres­si­ve­ment et fina­le­ment à se lexi­ca­li­ser. Mais la ques­tion des effets gra­duels de cette évolution dia­chro­nique sur le sens syn­chro­nique des expres­sions n’est pas clarifiée. Dia­chro­ni­que­ment, le fige­ment concerne l’établissement pro­gres­sif de tout ce qui est préconstruit dans le lan­gage, c’est‑à-dire de ce qui est codé lexi­ca­le­ment et donc pré-mémorisé à l’intérieur du sens, par oppo­si­tion d’une part à ce qui est gram­ma­ti­ca­le­ment construit, d’autre part à ce qui est inféré contex­tuel­le­ment. Le fige­ment est un pro­ces­sus dia­chro­nique qui a pour effet de transférer dans le lexique, à tra­vers l’établissement de rou­tines interprétatives fondées sur la répétition de formes plus ou moins iden­tiques, ce qui tient ini­tia­le­ment aux opérations de construc­tion mor­pho­syn­taxique et sémantico-pragmatique sur les­quelles se fonde l’interprétation des énoncés. Les expli­ca­tions clas­siques (par exemple Mor­gan 1978, Sper­ber et Wil­son 1989) asso­cient le fige­ment dia­chro­nique à une évolution pro­gres­sive, de conven­tions d’usage en conven­tions de langue, qui abou­tit à une consi­gna­tion lin­guis­tique gra­duelle, sous la forme de traits sémantiques, de ce qui tient ini­tia­le­ment aux effets contex­tuels de cer­tains énoncés. Qu’elles soient simples ou com­plexes, mono ou poly­lexi­cales, les expres­sions figées sont en voie de lexi­ca­li­sa­tion inachevée. Elles se situent donc par définition à mi-che­min, ou à che­val, entre ce qui est construit et ce qui est mémorisé.

Le degré de fige­ment des expres­sions se mesure syn­chro­ni­que­ment à leur degré d’opacité (ou inver­se­ment de trans­pa­rence) sémantique, c’est‑à-dire à leur degré d’analysibilité. Entre cas­ser sa pipe, cas­ser les pieds, qui sont des expres­sions figées très contraintes et opaques, et cas­ser son assiette, la vais­selle, construc­tions libres et tota­le­ment trans­pa­rentes, diverses locu­tions comme cas­ser la croûte, cas­ser la baraque, cas­ser les oreilles, cas­ser sa tire­lire, cas­ser l’ambiance sont perçues comme plus ou moins engagées sur le che­min de l’évolution dia­chro­nique en quoi consiste le fige­ment, et corrélativement comme plus ou moins sou­mises aux contraintes interprétatives qui s’y rap­portent au plan syn­chro­nique. Ces juge­ments reposent notam­ment sur le degré de tolérance des locu­tions face à diverses trans­for­ma­tions syn­taxiques par sub­sti­tu­tion d’éléments, complétion, sub­stan­ti­va­tion, pas­si­va­tion, cli­vage, etc. Cas­ser les oreilles ou sa tire­lire sont moins figées que cas­ser sa pipe, cas­ser les pieds, ou même que cas­ser la croûte, comme en témoignent l’existence de sub­stan­tifs dérivés comme casse-pipe, casse-pieds, casse-croûte (vs *casse-oreilles). Cas­ser les oreilles sup­porte mieux en revanche la pas­si­va­tion (« Les oreilles du public ont été cassées, écorchées lors de ce concert » vs « ? La croûte a été cassée par les convives à la bonne fran­quette », « *Les pieds de Paul ont été cassés par Pierre »). La trans­pa­rence sémantique de l’expression s’en res­sent ; cas­ser les oreilles ou sa tire­lire sont plus trans­pa­rentes que cas­ser la croûte, cas­ser la baraque, qui sont elles-mêmes moins opaques que cas­ser sa pipe, cas­ser les pieds. Par­mi les métaphores lexi­cales simples, un oiseau, une baleine, un éléphant même sont par défaut plus trans­pa­rentes que un coq, un paon, un ours, un singe (compte tenu notam­ment de l’existence de locu­tions comme faire le coq, le paon, l’ours, le singe), elles-mêmes sans doute moins opaques que un âne, une bécasse (ou faire l’âne, la bécasse), qui ne mobi­lisent même plus forcément de représentation métaphorique animalière la plu­part du temps.

Sémantiquement, les expres­sions figées sont donc ambi­va­lentes ; derrière leur sens lexi­cal uni­taire émergeant dia­chro­ni­que­ment que j’ai appelé ailleurs « des­cen­dant » (dans Per­rin 2011, 2013), ces expres­sions possèdent un sens « ascen­dant », sou­vent métaphorique ou tro­pique, ana­lysé par les sujets par­lants comme à l’origine du précédent. Selon le degré de fige­ment de l’expression, son sens lexi­cal des­cen­dant peut être plus ou moins ana­ly­sable, et corrélativement son sens ascen­dant plus ou moins acces­sible et recom­po­sable. Plus une expres­sion est figée, moins son sens codé des­cen­dant est ana­ly­sable, et moins son sens ascen­dant est recom­po­sable. À terme, lorsque la lexi­ca­li­sa­tion d’une expres­sion s’achève dia­chro­ni­que­ment, son sens codé des­cen­dant finit par s’opacifier tota­le­ment, et son sens ascen­dant par se perdre de vue. Poser un lapin, cas­ser les pieds sont ain­si deve­nues pour ain­si dire inana­ly­sables, et l’on ne capte plus aujourd’hui, derrière l’expression avoir maille à par­tir, de figure associée à un dif­fi­cile par­tage (par­tir) de menue mon­naie (maille) ; pas davan­tage que le verbe voler au sens de « dérober » ne recèle aujourd’hui de sens ascen­dant métaphorique asso­cié à la chasse au vol (par un fau­con). Et inver­se­ment donc, moins une expres­sion est figée, plus son sens codé des­cen­dant est ana­ly­sable, et plus son sens ascen­dant métaphorique est intel­li­gible. Si la trans­pa­rence assu­rant la recom­po­si­tion du sens ascen­dant de cer­taines expres­sions figées (comme cas­ser l’ambiance, noyer son cha­grin dans la bou­teille) paraît totale, la plu­part se situent à mi-che­min entre trans­pa­rence et opacité.

Ain­si définie, l’ambivalence interprétative des expres­sions figées semble rela­ti­ve­ment simple, mais il faut tenir compte du fait qu’à par­tir d’un cer­tain degré de fige­ment dia­chro­nique, le sens ascen­dant recom­posé des expres­sions figées s’écarte par­fois de leur sens com­po­si­tion­nel d’origine his­to­ri­que­ment avéré. Comme on l’a vu, l’image métonymique de la croûte du pain qui se brise sous la dent, attachée au sens ascen­dant de cas­ser la croûte, diverge de son sens his­to­rique asso­cié à un par­tage du pain rom­pu entre amis. De même, la métaphore à laquelle ren­voie l’expression figée de forme négative ne pas faire long feu au sens de « ne pas durer long­temps » ne résulte pas dia­chro­ni­que­ment d’une métaphore associée à la brièveté d’un feu (comme dans feu de paille), mais d’une phrase négative intégrant la locu­tion de forme posi­tive cor­res­pon­dante faire long feu au sens d’« échouer à faire feu », « consu­mer trop len­te­ment la mèche d’un fusil pour amor­cer la car­touche », issue du lan­gage tech­nique des arti­fi­ciers. Dans ne pas faire long feu, un sens ascen­dant métaphorique ima­gi­naire entre aujourd’hui en résonance avec d’autres locu­tions associées à l’embrasement d’un feu (comme feu de paille, avoir le feu au cul, y’a pas le feu), pour occul­ter syn­chro­ni­que­ment leur sens dia­chro­nique ori­gi­nel. Ce mou­ve­ment de recom­po­si­tion d’un sens ascen­dant ima­gi­naire entraîne par­fois les sujets par­lants sur des pistes interprétatives d’autant plus hasar­deuses que le sens codé de l’expression est deve­nu opaque. Une expres­sion comme avoir maille à par­tir pour­rait par exemple ins­pi­rer la recom­po­si­tion d’un sens ascen­dant asso­cié aux mailles d’un chan­dail qui s’effilent, cas­ser sa pipe ou poser un lapin ren­voyer à dieu sait quelles images de pipes ou de lapins, au gré des ins­pi­ra­tions de l’interprète.

Quoi qu’il en soit de ces dérives interprétatives, elles révèlent que le sens dia­chro­nique ascen­dant des expres­sions figées n’est pas en soi déterminant sous un angle syn­chro­nique, que ce sens ascen­dant n’est pas un fait his­to­rique avéré, mais le fruit d’une pro­jec­tion interprétative, qui assor­tit l’expression d’un sens enten­du comme hérité du passé, issu de ses énonciations antérieures. Quel que soit le passé réel de l’expression vérifiable his­to­ri­que­ment, l’analysibilité de son sens codé des­cen­dant engage une interprétation consis­tant à recom­po­ser par ana­lo­gie, par res­sem­blance for­melle, un sens ascen­dant vir­tuel­le­ment attri­bué aux énonciations passées d’une expres­sion perçue comme ances­trale, identifiée au lan­gage des anciens, du moins à une habi­tude col­lec­tive dévolue à un « on-locu­teur » ima­gi­naire (Ans­combre 2005). Ain­si définie, l’analysibilité du sens des­cen­dant des expres­sions figées détermine un effet de relec­ture cita­tive, une forme d’écho vir­tuel à un sens ascen­dant, sou­vent métaphorique ou tro­pique, attri­bué à leurs énonciations passées[7]On com­prend acces­soi­re­ment dans ces condi­tions que les expres­sions figées puissent être assimilées à des expres­sions dites « idio­ma­tiques », qui ne se confondent pas avec les expres­sions libres et trans­pa­rentes de la langue com­mune, propres à l’ensemble des sujets par­lants, mais qui appar­tiennent au registre d’un groupe social par­ti­cu­lier, iden­ti­fié au on-locu­teur des énonciations aux­quelles elles font écho. En ce qui concerne les propriétés échoïques (au sens de Sper­ber et Wil­son 1989) des expres­sions idio­ma­tiques et pro­verbes, voir notam­ment Gou­vard (1996), et … Conti­nue rea­ding. Que ce sens ascen­dant soit ou non avéré his­to­ri­que­ment ne joue aucun rôle. Compte tenu du fait qu’elle n’est en rien codée dans le sens des­cen­dant de l’expression cas­ser la croûte, l’idée de par­tage n’est donc pas (ou plus) aujourd’hui en mesure d’en déterminer l’analysibilité ni le sens ascen­dant, qui ne trouve dès lors à se recom­po­ser qu’en fai­sant écho à l’évocation figu­rale d’une croûte de pain cra­quant sous la dent.

En rai­son de son ana­ly­si­bi­lité, le sens codé des­cen­dant des expres­sions figées ne dénomme pas un concept pur et simple, mais un concept ana­ly­sable, par res­sem­blance for­melle, comme le pro­duit d’un sens ascen­dant iden­ti­fié à ce que sont censées avoir représenté figurément leurs énonciations passées imputées à un on-locu­teur. Une telle approche revient en fait à assi­mi­ler les expres­sions figées à des expres­sions syn­chro­ni­que­ment « délocutives » de leurs énonciations passées[8]La première approche lin­guis­tique de la notion de « délocutivité» revient à Ben­ve­niste (1966). Sur la généralisation et l’exploitation de cette notion en syn­chro­nie, voir Cor­nu­lier (1976), Ans­combre et Ducrot (1983). Voir aus­si Ans­combre (1985).. L’allusion délocutive (ou autodélocutive) attachée à l’analysibilité des expres­sions figées est une ins­truc­tion donnée à l’interprète de recom­po­ser par ana­lo­gie une construc­tion libre expri­mant une figure vive vir­tuel­le­ment attribuée aux énonciations passées aux­quelles elles font écho. L’affinité des expres­sions figées avec « comme on dit », « comme dit l’expression », « on dit que…» (ou avec toute autre forme de qua­li­fi­ca­tion générique expli­cite de leurs énonciations passées) atteste notam­ment de cette force délocutive attachée à l’analysibilité de leur sens codé des­cen­dant, qui ne se perd définitivement que lorsque ce der­nier s’opacifie complètement, et ce fai­sant neu­tra­lise à la source toute ten­ta­tive de recom­po­si­tion d’un sens ascen­dant délocuté.

  1. défigement interPrétatif et dis­cur­sif de lexPres­sion

La dif­fi­culté attachée à l’interprétation comme à l’appréhension théorique des expres­sions figées tient au fait que leur ambi­va­lence sémantique les expose en dis­cours, soit à se fondre par­mi les unités lexi­cales ordi­naires et à pas­ser inaperçues, soit, à l’inverse, à être défigées dans l’interprétation sous la forme de figures vives. Le piège à éviter serait d’ignorer ce qui arti­cule ces deux ver­sants de la signi­fi­ca­tion des expres­sions figées, qui les expose tantôt à se confondre avec de simples unités lexi­cales en ver­tu de leur sens codé des­cen­dant uni­taire, tantôt à être défigées contex­tuel­le­ment sous l’effet d’une actua­li­sa­tion dis­cur­sive de leur sens ascen­dant délocuté, et ce fai­sant à se muer en figures de rhétorique. Or l’intérêt des expres­sions figées, qui jus­ti­fie d’y avoir si fréquemment recours, est précisément de tirer par­ti de ces deux ver­sants complémentaires de leur signification.

Si l’on dit par exemple que Jacques Chi­rac a été réélu dans un fau­teuil face à Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002, le sens codé des­cen­dant uni­taire de l’expression dans un fau­teuil (au sens de « confor­ta­ble­ment » ou « aisément ») est com­pa­rable à celui d’une expres­sion comme les doigts dans le nez (au sens de « faci­le­ment », « sans peine »). A ce pre­mier niveau d’interprétation, à condi­tion de faire abs­trac­tion de ce qui a trait à leur ana­ly­si­bi­lité et à leur sens ascen­dant, ces expres­sions sont sub­sti­tuables sans trop de dom­mages. Ce qui bloque leur sub­sti­tu­tion n’intervient que si l’on prend en compte la force délocutive attachée à l’analysibilité de leur sens codé des­cen­dant, en ver­tu de laquelle elles font res­pec­ti­ve­ment écho à un sens ascen­dant iden­ti­fié à leurs énonciations passées ayant impliqué figurément, soit le confort et le repos que pro­cure un fau­teuil, soit la désinvolture, l’assurance de celui dont le succès est assuré. Dire que Jacques Chi­rac a été réélu dans un fau­teuil ou dire qu’il l’a été les doigts dans le nez implique res­pec­ti­ve­ment des effets ascen­dants différents, sus­cep­tibles d’être jugés plus ou moins appropriés à la situa­tion effec­tive à laquelle l’énoncé réfère, plus généralement à la pro­duc­ti­vité interprétative contex­tuelle de l’expression.

Sous-esti­mer ces effets conduit à réduire le sens à sa fonc­tion représentative la plus élémentaire, détachée de toute forme d’analysibilité de ce qui est lexi­ca­le­ment codé ; autre­ment dit à igno­rer ce qui est propre aux formes de fige­ment qui par­courent le sens par­fois insi­dieu­se­ment, pour être fréquemment défigées dans l’interprétation sous la forme de figures vives. Bien que par défaut en retrait du sens inten­tionné par le locu­teur, cantonnés à l’arrière-plan de ce qui est osten­si­ble­ment com­mu­niqué, ces effets ascen­dants sont néanmoins tou­jours sus­cep­tibles d’être activés par l’interprète, au risque de per­tur­ber et d’affaiblir, ou au contraire de ren­for­cer la per­ti­nence de telle ou telle expres­sion en contexte. Le défigement dis­cur­sif consiste à actua­li­ser contex­tuel­le­ment le sens ascen­dant délocuté des expres­sions figées, le cas échéant à rani­mer la figure, l’image métaphorique ou métonymique qu’elles recèlent, en vue d’assurer figurément la per­ti­nence attachée à l’analysibilité de leur sens codé des­cen­dant[9]Conformément au « prin­cipe de per­ti­nence » de Sper­ber et Wil­son (1989), le défigement vient alors enri­chir le sens inten­tionné par le locu­teur, en vue de com­pen­ser le surcoût d’effort interprétatif dû à l’analysibilité du sens des­cen­dant de l’expression, qui conduit à son sens ascen­dant.. Avant de se fondre dia­chro­ni­que­ment dans le lexique et de pas­ser inaperçues, les expres­sions figées ne sont bien sou­vent exploitées dis­cur­si­ve­ment que pour leurs virtualités de défigement, les jeux rhétoriques associée aux énonciations passées aux­quelles elles font échos. Ain­si définies, les expres­sions figées sont celles qui incitent à être défigées figurément pour être interprétées.

S’il prend conscience, par­fois avec un temps de retard, que les propriétés contex­tuelles de ce à quoi il réfère risquent de contre­dire les effets rhétoriques ascen­dants associées à l’analysibilité du sens codé des­cen­dant de telle ou telle expres­sion figée à laquelle il a recours (par exemple en qua­li­fiant de jeu d’enfant un com­por­te­ment qui pour­rait être jugé enfan­tin, ou de dire d’un bos­su qu’il a roulé sa bosse), le locu­teur ne peut rat­tra­per le faux pas que par la for­mule « c’est le cas de le dire », qui a précisément pour seule fonc­tion de jouer ce rôle. Les for­mules comme « on dit que », « comme on dit » sont en revanche un levier dont dis­pose le locu­teur en vue non seule­ment d’annoncer les effets figu­raux ascen­dants des expres­sions figées aux­quelles il a recours, mais sur­tout d’en tirer pro­fit par une forme ou une autre de défigement rhétorique. Dans le pas­sage sui­vant, par exemple, l’enchaînement métaphorique « moi j’avais fon­du toute l’armoire à fusibles » a pour effet d’actualiser rétroactivement le sens ascen­dant délocuté de l’expression péter les plombs, dont le défigement est alors annoncée par la for­mule « on dit (de x) que » :

On dit des gens qu’ils pètent les plombs, moi j’avais fon­du toute l’armoire à fusibles [Libération, 8 sep­tembre 2013]

Le même genre de défigement rhétorique est à l’oeuvre dans le pas­sage ci-des­sous, à ceci près que l’activation du sens ascen­dant de l’expression dans un fau­teuil n’est alors nul­le­ment favorisée proac­ti­ve­ment par une for­mule du type « on dit que » ou « comme on dit ». Seul l’enchaînement « Un très immense fau­teuil… » assure ici rétroactivement le défigement rhétorique de l’expression :

Jacques Chi­rac est réélu. dans un fau­teuil. Un très immense fau­teuil dont cha­cun, et lui-même, sent bien le côté exces­si­ve­ment monu­men­tal pour être vrai­ment garan­ti d’époque. Mais il l’occupe désormais. Pour cinq ans. Et en sachant que ledit fau­teuil est déjà rede­ve­nu une très compliquée citrouille. [Le Monde, 7 mai 2002]

Dans ces deux exemples, aucune expres­sion de sens équivalent ne peut être substituée aux expres­sions figées. De même que péter les plombs n’est pas remplaçable par une expres­sion comme cra­quer ner­veu­se­ment, par exemple, centrée sur une simple refor­mu­la­tion de son sens codé des­cen­dant, l’expression dans un fau­teuil ne pour­rait évidemment être rem­placé par les doigts dans le nez, ou même par confor­ta­ble­ment. Ce blo­cage tient au fait que l’expression figée n’est alors énoncée que pour être aussitôt défigée par un enchaînement qui actua­lise rétroactivement les effets de son sens ascen­dant. Le sens codé des­cen­dant de l’expression dans un fau­teuil au sens de « confor­ta­ble­ment » n’a d’autre but en l’occurrence que de contrôler et ce fai­sant de moti­ver la recom­po­si­tion d’un sens ascen­dant asso­cié à l’image métaphorique de Chi­rac ins­tallé dans un fau­teuil, en vue de décrire ensuite figurément sa réélection dans sa com­plexité, comme à la fois confor­table et fina­le­ment trop large pour ne pas lui pro­cu­rer aus­si une forme d’inconfort ou d’instabilité. Le sens codé des­cen­dant de l’expression figée ne fonc­tionne alors que pour amor­cer, en ver­tu de son ana­ly­si­bi­lité, la recom­po­si­tion d’un sens ascen­dant fondé sur son propre défigement dis­cur­sif dans la suite de la chro­nique, afin d’assurer pro­jec­ti­ve­ment la moti­va­tion d’une métaphore vive[10]Conformément tou­jours au « prin­cipe de per­ti­nence » de Sper­ber et Wil­son (1989), le défigement de l’expression tend alors non seule­ment à ren­ta­bi­li­ser son ana­ly­si­bi­lité, mais à moti­ver et ce fai­sant à alléger l’effort consacré à l’interprétation de cette métaphore vive..

Comme il est cou­rant dans le dis­cours, le sens d’une figure vive s’appuie alors sur le défigement c’est‑à-dire sur l’actualisation contex­tuelle d’un sens ascen­dant attri­bué aux énonciations délocutées aux­quelles fait écho l’analysibilité de telle ou telle expres­sion figée (Per­rin 2013). Bien sou­vent, l’expression figée source d’un défigement dis­cur­sif n’est même pas énoncée expli­ci­te­ment. Dans le pas­sage précédent, par exemple, l’enchaînement « Mais il l’occupe désormais… » ren­voie par ana­phore à une tout autre valeur sémantique du mot fau­teuil, associés cette fois à une expres­sion figée métonymique centrée le rôle présidentiel (lorsqu’on parle d’occu­per le fau­teuil « de président » ou « de pre­mier ministre »), avant que le filage allégorique ne métamorphose fina­le­ment « ledit fau­teuil » de car­rosse en citrouille de Cen­drillon. De manière ana­logue, dans le pas­sage sui­vant, les expres­sions en gras n’ont de sens que par le défigement figu­ral de l’expression man­ger son cha­peau, en vue de décrire les renie­ments suc­ces­sifs du Ministre de la Jus­tice, forcé de recu­ler et fina­le­ment d’abdiquer face aux résistances à sa pro­po­si­tion de loi sur l’avortement :

Après avoir gri­gnoté son cha­peau, Domi­nique Per­ben le mange tout cru. Ven­dre­di, sur Europe 1, le ministre de la Jus­tice a déclaré qu’il lui parais­sait « préférable d’abandonner » l’amendement Gar­raud créant un délit d’interruption invo­lon­taire de gros­sesse, alors qu’il y a quelques jours, il envi­sa­geait seule­ment de le « réécrire ». [Libération, 6–7 sep­tembre 2003]

Le défigement dis­cur­sif est un jeu rhétorique qui s’engage à par­tir d’un cer­tain degré de fige­ment dia­chro­nique des expres­sions, ceci par une acti­va­tion (ou réactivation) contex­tuelle de leur sens ascen­dant, au besoin sous l’influence de mani­pu­la­tions syn­taxiques ou séquentielles (ici par la sub­sti­tu­tion du verbe gri­gno­ter au verbe man­ger dans l’expression man­ger son cha­peau, ensuite par la complétion adver­biale man­ger « tout cru »). Il n’est pas sans intérêt d’observer que les différents tests de sub­sti­tu­tion, complétion, détachement, cli­vage, pas­si­va­tion, qui per­mettent acces­soi­re­ment aux lin­guistes de mesu­rer les degrés de fige­ment des expres­sions en langue, rendent compte aus­si bien de leurs virtualités de défigement interprétatif en dis­cours (Mej­ri 2013). Les mêmes opérations qui per­mettent aux lin­guistes de cir­cons­crire le champ de leurs obser­vables, consti­tuent empi­ri­que­ment ce qui intéresse l’analyse du dis­cours et la sémantique ou prag­ma­tique interprétative (Main­gue­neau & Gre­sillon 1984, Ras­tier 1997), notam­ment en ce qui concerne le défigement de la langue à des fins poétiques et sty­lis­tique dans cer­tains textes littéraires (Law­son 2013, Per­rin 2013). La logogenèse des textes littéraires (Pri­vat 2009), entre autres approches, n’est rien de moins qu’une poétique ou herméneutique du défigement de l’expression comme prin­cipe d’interprétation des textes. La logogenèse comme herméneutique pour­rait s’intéresser au fait que dans le pas­sage de Céline évoqué précédemment (par­tie 3) :

Mon cœur au chaud, ce lapin, derrière sa petite grille de côtes, agité, blot­ti, stupide…

le mot lapin déclenche certes fron­ta­le­ment une métaphore vive appliquée aux émotions qui font battre le cœur à l’image d’un lapin affolé, mais que par ailleurs la cooc­cur­rence avec l’adjectif chaud appelle insi­dieu­se­ment à remo­ti­ver cette métaphore par un défigement interprétatif de l’expression ce chaud lapin (fondée sur un détachement de l’adjectif), dont les effets rhétoriques ne sont pas à négliger. Il en découle que le mal­heu­reux sujet célinien aban­donné à ses tour­ments est peut‑être moins inno­cent qu’il n’y paraît au pre­mier abord.

La problématique de la dénomination se situe au car­re­four de plu­sieurs champs dis­ci­pli­naires : la Lin­guis­tique, la Ter­mi­no­lo­gie, la Lexi­co­gra­phie, la Psy­cho­lo­gie, la Psy­cha­na­lyse, la Socio­lo­gie, la Phi­lo­so­phie (qu’elle soit du lan­gage ou non), la Logique ou encore la Poli­tique et le mar­ke­ting. Épistémologiquement, la dénomination four­nit une notion qui appar­tient de plein droit à l’appareil des­crip­tif des langues. Le nom dénomination, et le verbe dénommer dont il est dérivé sont res­pec­ti­ve­ment attestés en français depuis le XIVe et le XIIe siècle. Le concept qui leur est asso­cié accom­pagne le pro­ces­sus de consti­tu­tion des langues, et plus particulièrement du lexique. C’est dire qu’il se perd dans la nuit des temps. La dénomination est née avec le besoin de l’homme de clas­ser le réel, de le sym­bo­li­ser par la ver­ba­li­sa­tion, de synthétiser son expérience cog­ni­tive sur le monde et d’échanger avec ses sem­blables. Le présent ouvrage cherche à ana­ly­ser la dénomination aus­si bien comme procédure d’identification et de clas­se­ment que comme notion appar­te­nant à l’appareil théorique des Sciences du lan­gage, que ce soit au plan du lexique que de celui des discours.

Sous la direc­tion de Gérard PETIT, Patrick HAILLET et Xavier-Laurent SALVADOR, avec les contri­bu­tions de : Jean-Jacques BRIU, San­drine DELOOR, Loïc DEPECKER, Dar­do DE VECCHI, Maria Lui­sa DONAIRE, Mar­co FASCIOLO, Oli­via GUERIN, Ade­lai­da HERMOSO, Mus­ta­pha KRAZEM, Phi­lippe MONNERET, Laurent PERRIN, Gérard PETIT, Lau­rence ROSIER, Jean-François SABLAYROLLES, Xavier-Laurent SALVADOR, Zina SIBACHIR, Jean SZLAMOWICZ.

LEXICA
Mots et Dic­tion­naires N
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Notes

Notes
1 Cette étude recoupe cer­tains éléments abordés notam­ment dans Per­rin (2013), dans le cadre d’un numéro de la revue Pra­tiques consacré aux formes de fige­ment lin­guis­tique, ain­si que de défigement interprétatif et dis­cur­sif. L’objectif est ici à la fois de préciser cer­tains points, ain­si que de généraliser à l’ensemble des formes de fige­ments, diverses hypothèses ini­tia­le­ment centrées sur le sens des locu­tions dans une œuvre de Giono.
2 Diverses approches viennent bien sûr tra­ver­ser et lézarder cet édifice, soit en réduisant radi­ca­le­ment la part de ce qui est codé, mémorisé lexi­ca­le­ment, notam­ment les effets polysémiques attachés aux expres­sions (les approches dites « construc­ti­vistes » de Cadiot et Viset­ti 2001), soit en s’appuyant sur une appréhension tex­tuelle des traits sémantiques à différents niveaux (la « sémantique interprétative » de Ras­tier 2009), soit même en inver­sant l’ordre de préséance com­po­si­tion­nel des par­ties sur le tout (les approches fondés sur l’« ana­ly­si­bi­lité » des expres­sions dont il sera ques­tion ici-même, par exemple Nun­berg et al. 1994, Tam­ba 2011), ou encore en déléguant prag­ma­ti­que­ment cer­taines propriétés lexi­cales des expres­sions (les approches dites « exter­na­listes » inspirées de Put­nam 1988, par exemple Reca­na­ti 1997), jusqu’à assi­mi­ler cer­tains effets contex­tuels des énoncés aux traits sémantiques des expres­sions (les approches prag­ma­tiques « intégrées » d’Anscombre et Ducrot 1983). Les obser­va­tions apportées dans cette étude s’inscrivent dans leur sillage.
3 Attri­bué à Frege, et fon­da­teur ensuite de différentes théories lin­guis­tiques, notam­ment de la gram­maire générative transformationnelle.
4 « Their com­po­si­tio­na­li­ty – that is, the degree to which phra­sal mea­ning, once known, can be ana­ly­zed in terms of contri­bu­tions of the idiom parts » (Nun­berg et alii 1994, p. 498).
5 Sur les figures vives comme représentations attachées à une image littérale contre­fac­tuelle, assor­tie d’un sens figuré impli­cite et fac­tuel, je ren­voie à Per­rin (1996).
6 Sur les métaphores figées, ou lexicalisées, se référer à Pran­di (1992), Cadiot (1994), Tam­ba (2000, 2011).
7 On com­prend acces­soi­re­ment dans ces condi­tions que les expres­sions figées puissent être assimilées à des expres­sions dites « idio­ma­tiques », qui ne se confondent pas avec les expres­sions libres et trans­pa­rentes de la langue com­mune, propres à l’ensemble des sujets par­lants, mais qui appar­tiennent au registre d’un groupe social par­ti­cu­lier, iden­ti­fié au on-locu­teur des énonciations aux­quelles elles font écho. En ce qui concerne les propriétés échoïques (au sens de Sper­ber et Wil­son 1989) des expres­sions idio­ma­tiques et pro­verbes, voir notam­ment Gou­vard (1996), et Klei­ber (2008). Voir aus­si sur ce sujet Per­rin (2011 et 2012).
8 La première approche lin­guis­tique de la notion de « délocutivité» revient à Ben­ve­niste (1966). Sur la généralisation et l’exploitation de cette notion en syn­chro­nie, voir Cor­nu­lier (1976), Ans­combre et Ducrot (1983). Voir aus­si Ans­combre (1985).
9 Conformément au « prin­cipe de per­ti­nence » de Sper­ber et Wil­son (1989), le défigement vient alors enri­chir le sens inten­tionné par le locu­teur, en vue de com­pen­ser le surcoût d’effort interprétatif dû à l’analysibilité du sens des­cen­dant de l’expression, qui conduit à son sens ascendant.
10 Conformément tou­jours au « prin­cipe de per­ti­nence » de Sper­ber et Wil­son (1989), le défigement de l’expression tend alors non seule­ment à ren­ta­bi­li­ser son ana­ly­si­bi­lité, mais à moti­ver et ce fai­sant à alléger l’effort consacré à l’interprétation de cette métaphore vive.